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être conséquent, reconnaître que l'article 2108 est abrogé, et chercher à constater avec soin toutes les conséquences de cette abrogation. En y réfléchissant, on voit qu'on pouvait imaginer différents moyens de se tirer d'embarras et de suppléer à la transcription, au lieu de s'attacher servilement à la lettre morte d'un article auquel tout sens raisonnable était enlevé.

1° On aurait pu admettre dans la pratique l'usage d'une inscription prise à l'avance par le futur vendeur, c'est-à-dire avant la conclusion définitive du contrat, que l'on n'aurait considéré comme réalisé (ce qui est même assez ordinairement dans la pensée de ceux qui traitent sur un immeuble), que par la rédaction de l'écrit notarié ou sous seing-privé. Cette inscription d'une sorte de privilége éventuel eût fait connaître à l'avance, quel droit le vendeur devait conserver lors de la consommation de la vente. Une telle inscription eût beaucoup ressemblé à l'inscription prise par l'architecte, avant le commencement des travaux destinés à créer une plus value. Au moment de la vente réalisée par la confection de l'acte, comme au fur et à mesure des augmentations produites par les travaux, le privilége aurait frappé la valeur immobilière mise dans le patrimoine du débiteur. Une pleine et entière publicité eût révélé ce fait à tous les créanciers hypothécaires de ce dernier. On eût ainsi rendu applicable à la vente, et sans transcription, l'article 2106, tel que nous l'avons interprété, et tel qu'il s'applique dans le cas de l'article 2110.

2o On aurait pu, lors de chaque vente d'un immeuble, convenir que l'aliénation serait subordonnée à la transcription de l'acte de vente, et faire de l'accomplissement de cette formalité une véritable condition suspensive; ce qui, certainement, est une clause parfaitement licite.

La prudence des parties aurait ainsi corrigé les mauvais effets de l'abandon du principe de la loi de brumaire ; on aurait marché comme par le passé ; l'article 2108 se serait appliqué à la lettre et sans effort; droit réel trans. féré, droit réel conservé par le vendeur, tout aurait été à la fois rendu public 1.

Il est évident que l'un ou l'autre de ces deux modes de procéder n'aurait été qu'un correctif conventionnel, un remède imaginé par la prudence des parties, et non par la sagesse du magistrat interprète de la loi commune. Nous devons donc poursuivre notre tâche, et rechercher comment, dans l'hypothèse d'une] vente pure et simple, la lacune résultant de l'abrogation implicite de l'article 2108 pourra être comblée, et le privilége du vendeur conservé.

La question étant posée en ces termes, je ne vois que deux solutions possibles. La première consisterait à appliquer, par analogie, au privilége du vendeur les dispositions qui accordent à d'autres créanciers privilégiés, un certain délai pour prendre inscription, et font produire à cette inscription tout l'effet qu'elle aurait eu si elle avait accompagné l'acquisition d'où naît le privilége. On voit que nous faisons allusion aux dispositions des articles 2109 et 2111. Ainsi, par exemple, le cohéritier ou copartageant a soixante jours pour inscrire

1 La possibilité d'une convention de ce genre est indiquée dans les débats d'un procès qui a donné lieu à un arrêt de la cour de Grenoble du 8 février 1810. (Sirey, 1810, p. 1, p. 382.)

2 On peut y joindre les dispositions 1o de la première loi du 5 septembre 1807, art. 3, sur le privilége pour le recouvrement des frais de justice dus par les condamnés; 2o de la deuxième loi du 5 septembre 1807, art. 5, sur les priviléges qui frappent les biens des comptables.

le privilége qu'il a sur les immeubles échus aux autres copartageants, pour les soultes ou le prix des licitations. Cette disposition est pleine de sagesse; car un partage est une opération souvent très-compliquée, d'où résultent entre les copartageants des rapports très-nombreux; de sorte que la lecture seule de l'acte, en supposant qu'il dût étre transcrit au bureau des hypothèques1, pourrait ne pas suffire, pour donner au public une connaissance exacte des priviléges grevant chacun des immeubles échus aux divers héritiers. Les rédacteurs du Code avaient senti la nécessité absolue de détacher du corps de l'acte ces divers priviléges des copartageants, et de faire connaître chacun d'eux par inscription spéciale, à la différence du privilége du vendeur qui se détache bien plus aisément dans l'acte de vente, où la créance du prix figure comme une clause saillante et principale.

Ainsi, dans le système primitif du Code, le privilége du vendeur existait par la transcription seule, parce que la transcription suffisait pour la faire connaître 2, tandis que l'inscription avait paru indispensable pour rendre notoires les divers priviléges, existant au profit de tel ou tel copartageant sur telle ou telle portion des immeubles héréditaires; ce qui avait nécessité la fixation d'un délai pour la prise de ces diverses inscrip

'J'emploie ces expressions: en supposant qu'il dût être transcrit; car même sous l'empire de la loi de brumaire, on admettait généralement que l'art. 26 ne s'appliquait pas aux actes de partage, à cause de la règle que les partages sont déclaratifs de propriété. Quant à la mutation opérée par décès au profit de la masse des héritiers, elle n'avait point été, à tort ou à raison, soumise à la loi de la transcription.

* On se rappelle que, pour plus de clarté, on avait cependant enjoint au conservateur de faire d'office et sur le vu de la transcription, l'inscription du privilége. (V. art. 2108.)

tions. Mais enfin, la transcription ne pouvant plus jouer le rôle que lui assignait l'article 2108, il n'eût certes pas été déraisonnable d'appliquer dorénavant par analogie l'article 2109 au privilége du vendeur, et de dire que ce dernier devrait s'inscrire dans les soixante jours, à l'effet de primer tous les créanciers de l'ache

teur.

Certes personne n'aurait été lésé par une telle jurisprudence; le vendeur n'aurait pu se plaindre d'être traité, quant à la longueur du délai, comme le cohéritier ou copartageant qui peuvent avoir à faire un grand nombre d'inscriptions différentes ; et les tiers ne pourraient blåmer une pratique qui, en somme, aurait pour résultat une augmentation de publicité.

Cette solution, je suis prêt à le reconnaitre, peut être regardée comme trop hardie, et résultant d'un argument d'analogie qui sort des limites de l'interprétation proprement dite; mais on conviendra du moins qu'elle serait encore préférable à la doctrine admise par les auteurs, et qui peut se résumer en ces termes : fidélité au texte de l'article 2108, bien que ce texte n'ait plus aujourd'hui aucun sens raisonnable. Quoi qu'il en soit, je ne m'arrête pas à cette solution, et voici

1 M. Troplong (Com. sur l'art. 2106, no 270) voit dans la diversité de ces dispositions de l'incohérence. Elles me semblent, au contraire, empreintes d'une haute sagesse ; à mon avis, les rédacteurs du Code ont rarement aussi bien fait. Je m'étonne aussi que ce jurisconsulte paraisse ne pas apercevoir pourquoi les créanciers et les légataires, qui veulent exercer le privilége de séparation des patrimoines, ont un délai beaucoup moins restreint que les copartageants. N'est-il pas évident que l'on a considéré que ces créanciers ou légataires peuvent ne pas se trouver sur les lieux lors du décès du de cujus?

pour quel motif. Si le législateur n'a pas jugé indispensable l'inscription du privilége du vendeur, c'est que la seule connaissance de la vente lui a paru suffisante. Comme on l'a dit plus haut, le privilége n'en est qu'un fragment, une clause particulière. L'acte de vente n'était réputé connu des tiers que par la transcription qui en révélait à la fois tout le contexte, tant au profit. de l'acheteur qu'au profit du vendeur. Aujourd'hui tout est changé; on a abandonné presque entièrement le système de la publicité, sage et bienfaisante institution qui avait porté de si heureux fruits dans quelques-unes de nos provinces du Nord. La vente, en dépit du vote du conseil d'état et de l'article 1583 du Code civil 1, transfère la propriété à l'acheteur, non-seulement à l'égard du vendeur, mais à l'égard des tiers. Dès lors il est admis que la mutation de propriété est suffisamment connue des personnes intéressées, par l'inspection des titres de propriété, dont la représentation doit être le préliminaire indispensable de tout traité avec le propriétaire. Cette présomption est sans doute fautive dans bien des cas; puisque celui qui a aliéné l'immeuble peut avoir gardé les titres, et en réalité les garde toujours lorsque l'aliénation n'est que de certains démembrements de propriété, comme l'usufruit, l'usage, les servitudes. Mais si jamais l'existence d'un droit réel est révélé par la lecture des titres de propriété, c'est incontestablement l'existence du privilége du vendeur; car l'acte de vente qui constate l'acquisition de l'acheteur, constate qu'il est débiteur du prix d'achat, et les personnes qui traitent avec lui ne doivent pas se croire en

1 Art. 1583 : ...... La propriété est acquise de droit à l'acheteur à l'égard du vendeur, dès qu'on est convenu de la chose et du prix......

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