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sûreté tant que la quittance de ce prix ne leur est pas représentée.

De là, on arrive à cette conséquence, qu'aujourd'hui le vendeur, au moins en ce qui touche le droit de préférence dont nous traitons en ce moment, n'a besoin d'aucune inscription ni transcription pour conserver son privilége; que la vente produisant ses effets sans aucune mention sur les registres publics, doit les produire intégralement ; qu'on ne peut la scinder et réputer certaines clauses connues et d'autres ignorées du public; qu'en un mot, les diverses clauses forment un tout indivisible. On peut même dire, en termes plus énergiques, que l'aliénation connue du public par l'examen du titre n'est qu'une aliénation partielle', puisque le vendeur a conservé un droit réel qui est le privilége. Je sais que le résultat auquel j'arrive ainsi choque une jurisprudence qui paraît constante; mais je me crois permis de le présenter comme logiquement déduit du principe adopté sur les mutations à titre onéreux 2. On entre ainsi dans un ordre d'idées in

1 J'ai plusieurs fois exprimé ma pensée sous cette forme, mais je n'y tiens pas, si elle peut choquer ceux qui ne veulent absolument pas que l'hypothèque et le privilége soient des démembrements de la propriété, et qui peuvent concevoir qu'une personne ait sur un objet la propriété entière, c'est-à-dire, le droit réel le plus complet, tandis que d'autres ont aussi des droits réels sur le même objet.

2 Je n'ai pas entendu m'expliquer sur ce principe lui-même, cela sortait de mon sujet. Peut-être est-il une conséquence naturelle de la disparition de l'art. 91. Au reste, dans le système opposé, on tire des arguments bien puissants, 1o de ce que le Code civil nonseulement n'a jamais statué en termes exprès sur le transport de la propriété immobilière à l'égard des tiers (ce qui rend inapplicable à l'article 26 de la loi du 11 brumaire la disposition abrogatoire de la loi du 30 ventôse an x11), mais paraît même se référer

telligible; on met de côté franchement cette menteuse publicité du privilége qui se réduit à une forme inutile, et on ne fausse pas l'institution de l'inscription hypothécaire imaginée pour avertir les tiers (Voir notre second article, n° de septembre, page 708).

Il suivra de notre solution que dans le cas de faillite de l'acheteur, le vendeur ne sera point déchu de son privilége, à défaut d'inscription aux époques déterminées par l'article 448 du Code de commerce (comp. ancien article 443, ibid.); la masse des créanciers qui a connu le contrat de vente a également connu la dette du prix. Et quelle utilité trouve-t-on d'ailleurs à enlever au vendeur son privilége en lui laissant une action en résolution'? Celui qui a le droit de reprendre l'immeuble en nature à défaut de payement du prix, n'a-t-il pas, à bien plus forte raison, le droit d'être payé par préférence sur la valeur de cet immeuble? Un résultat contraire n'est-il pas choquant pour la raison, et ne faut-il pas le rejeter, quand il n'est pas consacré par un texte formel de la loi ?

au système de la loi de brumaire dans l'art. 1583; 2° de ce que plusieurs articles du Code civil, tels que notre art. 2108 et les art.2189 et 2198, tous deux copiés dans la loi de brumaire, sont inonciliables avec le nouveau système. Cette matière, supérieurement traitée dans plusieurs écrits par M. Blondeau, l'a été aussi avec un grand talent par M. Bonjean dans une thèse de licence (29 août 1829). Cette thèse de licence, je ne crains pas de le dire, mériterait les honneurs d'une réimpression.

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1 On sait qu'une jurisprudence constante admet que le droit de résolution conféré par les art. 1184 et 1654 est un droit réel, c'est-àdire, opposable aux tiers.

2 Ce que j'ai trouvé de plus extraordinaire, sur cette matière, est un arrêt de la cour de Lyon, confirmé par arrêt de rejet de la cour de cassation du 16 juillet 1818 (Sirey, T. XVIII, part. 1, p. 27),

Il nous reste à considérer le privilége du vendeur sous le rapport du droit de suite.

II. Dans le système du Code civil, le privilége du vendeur, se révèle en même temps que l'aliénation aux sous-acquéreurs de la propriété, comme aux créanciers hypothécaires. Nulle aliénation nouvelle ne peut être concédée par l'acheteur, si ce n'est sous réserve de ce privilége. Il nous suffit donc de répéter ici, en deux mots, ce que nous avons longuement développé en traitant du droit de préférence, c'est-à-dire que la publicité des mutations à titre onéreux n'existant plus, l'article 2108 devient inapplicable. La vente étant supposée connue des tiers sans transcription, la créance du prix l'est également, soit de l'adjudicataire sur saisie, soit du nouvel acquéreur; le droit de suite du vendeur doit donc

- Comme si

qui décide qu'un vendeur non payé est déchu de son privilége, pour ne s'être pas inscrit dans les dix jours qui ont précédé la faillite de l'acheteur, et qu'en outre il est censé avoir renoncé à son action en résolution en demandant à exercer son privilége. avant de recourir à la résolution, moyen extrême et que les lois fiscales rendent si coûteux, il n'était pas naturel qu'il essayât de se faire payer d'une manière ou d'une autre! (Comp. art. 1654.) Comme si la renonciation au droit de résolution, en supposant même qu'il y eût renonciation, n'était pas au moins subordonnée à la condition de l'exercice du privilége! Sans aucun doute, les juges ont cédé au sentiment de répulsion que fait éprouver un système dans lequel le privilége périt et la résolution subsiste. Mais ce système n'en est pas moins virtuellement consacré dans l'arrêt; car, en ne se présentant pas à l'ordre, le vendeur eût été admis à exercer le droit de résolution. M. Duranton, T. XIX, p. 124, dit que même en produisant à l'ordre, le vendeur ne [serait nullement déchu du droit de résolution, s'il avait fait des réserves. Mais ces réserves sont-elles nécessaires? Doit-on facilement présumer l'abandon d'un droit important? Non sans doute, et des lois faites dans cet esprit seraient des piéges tendus aux particuliers.

exister à leur égard indépendamment d'une publicité spéciale, comme existe le droit de résolution'.

Arrivons tout de suite à l'article 834 du Code de procédure, disposition jetée au milieu de matières étrangères, et dont le but secret était de satisfaire la régie, mécontente de voir ses recettes diminuer depuis que la transcription n'était plus utile pour l'acquisition de la propriété immobilière. Depuis cet article, tout acquéreur (indépendamment des articles 2180 in fine, 2181 et 2198) a un intérêt des plus grands à transcrire pour faire apparaître les inscriptions des créanciers hypothécaires, qui avaient déjà le droit de s'inscrire avant la mutation de propriété. Dès lors, on a pu dire que vendeur, à l'égard des créanciers dont nous venons de parler, est considéré comme étant encore propriétaire, nonseulement jusqu'à la transcription, mais encore jusqu'à l'expiration de quinzaine à partir de la transcription. Ainsi, même après l'accomplissement de cette formalité, l'acheteur n'est pas encore saisi de la propriété erga omnes. La fin de cet article 834 réserve formellement au

le

'Le contraire a été jugé plusieurs fois, et notamment par un arrêt de rejet de la cour de cassation du 13 décembre 1813, rendu sur une espèce antérieure au Code de Proc. civile. (Sirey, 1814, part. 1, p. 46; V. surtout le 4o considérant.) Mais trouve t-on même un texte dans le Code civil qui subordonne le droit de suite du vendeur à une inscription prise avant la revente de l'immeuble? Ce n'est certes pas dans l'art. 2166. Et je le répète encore, que signifierait une législation qui refuserait le privilége en accordant le droit de résolution? Jamais de pareils résultats ne sont entrés dans la pensée des rédacteurs du Code.

• Voyez l'histoire de cet article dans M. Locré, Esprit du Code de procédure, T. IV, p. 27 à 60. On n'eût sans doute pas songé à cet expédient législatif, si le Code de procédure eût été rédigé après la loi de finance de 1816. (V. les art. 52 et 54 de cette loi.)

IV. 2 SÉRIE.

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vendeur le droit résultant de l'article 2108. Que signifient ces mots? S'agit-il ici de rétablir ou de confirmer la nécessité de rendre public le privilége du vendeur, en sorte que ce privilége puisse s'évanouir dans certains cas pour cause d'inobservation de l'article 2108? Je ne le crois pas, et voici mes motifs. A l'époque où s'élaborait le Code de procédure, on était loin d'être d'accord sur les effets de la transcription; et dans la relation de M. Locré, on voit que le grandjuge, ministre de la justice, le conseil d'état, et la régie de l'enregistrement avaient des opinions divergentes sur cette matière, et notamment que le grandjuge regardait la loi de brumaire comme demeurée en pleine vigueur. Le conseil d'état n'avait garde de s'expliquer d'une manière précise sur ces questions difficiles, en rédigeant un titre du Code de procédure. Antérieurement (le 11 fructidor an xii), il avait émis un avis opposé à l'opinion du grand-juge. Cet avis avait déplu à la régie et, par suite, au chef du gouvernement. Le conseil d'état a voulu contenter la régie en faisant un article qui, d'une part, rend la transcription fort utile, et, d'autre part, semble établir dans une rédaction obscure et embarrassée que le vendeur est dépouillé de la propriété par la vente, et en un mot, que l'aliénation précède la transcription. La fin de l'article relative au privilége du vendeur et du cohéritier se ressent de l'obscurité du début. Au fond tout ce qu'on veut exprimer, dans cette fin d'article, relativement au vendeur, c'est qu'il n'est pas soumis à l'inscription, et qu'à son égard il existe un droit spécial, consacré par l'article 2108, c'està-dire, que son privilége est connu en même temps que la vente tout entière. Maintenant, comment la vente ellemême sera-t-elle connue? c'est une question à part. D'après

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