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spection du procès-verbal du juge commissaire (Code de procédure, art. 754) permet en effet de constater l'absence de production, tout aussi clairement que la production des titres.

Mais s'il est vrai que, toutes les fois que je nie une qualité, j'affirme forcément la qualité contraire; que, toutes les fois que je nie l'accomplissement de conditions légales, j'affirme virtuellement l'existence matérielle d'un état de choses contraire à la loi, il y a plus de difficulté pour la négative de fait. Lorsqu'on met en avant un fait précis, déterminé, la négative de ce fait semble avoir quelque chose d'insaisissable qui échappe à l'analyse. De là la vieille maxime: magis creditur duobus testibus affirmantibus quam mille negantibus. Toutefois, il n'est pas douteux que la négative de fait même ne soit susceptible d'une preuve directe. C'est ce qui arrivera, si elle consiste dans l'allégation d'un autre fait positif, dont l'existence ne soit pas compatible avec celle du fait d'abord allégué; par exemple, si un accusé invoque un alibi. On retombe alors dans la négative génératrice des docteurs, et toute difficulté s'évanouit. Mais s'il n'existe pas, en faveur de la négative, d'arguments d'une nature aussi décisive, elle devient alors moins facile à établir que l'affirmative. Mais à quoi cela tient-il? Ce n'est pas, comme on se l'imagine ordinairement, qu'il y ait impossibilité de prouver une proposition négative; nous venons de voir que cette preuve est très-praticable dans une infinité de circonstances. Cela tient à ce qu'ici la négative est indéfinie. Circonscrivez-la, opposez aux témoins qui déclarent avoir vu commettre le crime, d'autres témoins qui, présents au même lieu et à la même heure, déclareront n'avoir rien vu; et la seconde preuve aura tout autant de poids que

la première. Mais les choses se passent rarement ainsi ; celui qui nie n'est que trop souvent obligé d'avoir recours à des inductions, et alors sa position est moins favorable, non parce qu'il nie, mais parce qu'il fait reposer sa preuve négative sur des faits plus ou moins vagues. Si negativa indefinita probari non potest, dit Cocceius, id non indè est, quia negativa, sed quia indefinita; nec affirmativa indefinita potest. Ainsi, si j'affirme en général que vous avez été corrompu, que vous avez malversé, sans pouvoir préciser en quoi ni comment, voilà une proposition affirmative qui ne sera pas non plus susceptible de preuve. Et pourquoi ? parce qu'elle est indéfinie.

Allons plus loin, cherchons à pénétrer au fond des choses. Toute proposition alléguée est ou nue, ou appuyée sur des preuves. Dans le premier cas, il est évident que l'affirmation ou la dénégation n'ont d'autre valeur que l'autorité personnelle de celui qui les met en avant. Dans le second cas, soit que l'on affirme, soit que l'on nie, puisqu'on invoque des arguments, on allègue des faits plus ou moins précis, que l'on entreprend de démontrer. Ainsi, l'accusé, qui plaide sa non-culpabilité, ne peut appuyer sa dénégation que sur des faits justificatifs qu'il affirme. Donc toute négation sérieuse implique affirmation. Certe, si diligenter attendas, dit la glose, non est aliqua negativa, quæ tacitam non habeat affirmativam. Si la proposition négative de l'accusé ne repose quelquefois que sur de faibles inductions (probatur per obliquum negativa), n'en est-il pas trop souvent de même de la proposition affirmative de l'accusateur? Les faits allégués par l'une comme par l'autre des parties peuvent être ou parfaitement précis, ou tout à fait insaisissables, ou de nature à présenter

une des nuances qui séparent ces deux extrêmes. Mais il ne faut pas s'imaginer qu'ils soient insaisissables, par cela seul qu'ils viennent à l'appui d'une proposition négative. Quoi de plus précis qu'un alibi? Quoi de plus vague qu'une accusation fondée sur les mauvais antécédents de l'accusé ? Mais, dira-t-on, il est des négations qui, par leur nature, échappent tout à fait à la preuve, telles que celle-ci : Je n'ai jamais rencontré Titius. Cette exception apparente rentre dans la règle générale, qui voit dans toute négative une affirmation virtuelle. Pour prouver que je n'ai jamais rencontré Titius, il faudrait que j'eusse des témoins qui ne m'eussent pas perdu de vue de toute ma vie, et qui rendissent compte de toutes mes démarches: preuve positive, mais moralement impossible. Ici la négative s'analyse en un nombre infini de propositions affirmatives, comme la ligne courbe se décompose en lignes droites. Les faits, pris isolément, n'ont rien que de positif; la difficulté tient à leur multiplicité. Or, la même impossibilité morale, provenant de la nature complexe d'une proposition simple en apparence, peut se rencontrer dans une proposition affirmative, telle que celle-ci : j'ai toujours porté au doigt telle bague.

En résumé, toute preuve d'une négative, si elle mérite le nom de preuve, suppose l'affirmation de certains faits. Ou bien ces faits sont des faits précis, directement opposés à ceux qu'invoquerait l'adversaire, ce qui arrive toujours dans les négatives de droit ou de qualité; alors la négative est génératrice, elle conduit à une affirmation positive, palpable. Ou bien, ce qui arrive souvent dans la négative de fait, les faits invoqués à l'appui de la négative sont indéfinis; et alors il est vrai que la preuve sera difficile, quelquefois même moralement impossible.

Mais il en serait de même d'une proposition affirmative composée des mêmes éléments: non quia negativa, seď quia indefinita.

Deuxième point.

Le fardeau de la preuve doit-il incomber dans tous les cas
à celui qui affirmé ?

Deux grands principes dominent toute la théorie des preuves. Le premier, c'est qu'en matière réelle, la présomption est en faveur de celui qui possède; c'est à celui qui ne possède pas à prouver son droit. Le second, c'est qu'en matière personnelle, c'est à celui qui se prétend créancier de telle ou telle personne, à prouver qu'il l'est effectivement. On exprime ces deux vérités par une formule plus générale, quand on dit que c'est au demandeur à faire la preuve, le non-possesseur et le prétendu créancier jouant forcément le rôle de demandeur. Mais quand, la preuve de la demande une fois faite, l'autre partie allègue à son tour, soit une défense proprement dite, telle que le payement, soit une exception, comme le délai légal de trois mois et quarante jours pour faire inventaire et délibérer, c'est à elle à justifier du fait sur lequel elle s'appuie : reus in exceptione actor est (Ulp., l. 1, ff de probat.). Si le demandeur primitif réplique à son tour, ce sera à lui à prouver que sa réplique est fondée, et ainsi de suite jusqu'à l'infiui. En un mot, quiconque allègue un fait nouveau, còntraire à la position acquise de l'adversaire, doit établir la vérité de ce fait1.

1 L'exposition de ces règles, si élémentaires, si incontestables, suffit pour faire toucher au doigt le peu de fondement de l'explication adoptée par de bons esprits, sur le fameux sane uno casu du titre de actionibus, § 2, aux Institutes. Le cas unique (en dehors des actions confessoire et négatoire) où le possesseur serait obligé de

Ces principes, qui ne sont autre chose que la raison et le bon sens appliqués à la procédure, sont aussi les seuls que consacre le Code civil en traitant de la preuve des obligations; et il est constant que ce qui est dit sous cette rubrique doit s'appliquer aux preuves en général :

prouver, serait l'hypothèse d'un propriétaire qui, recouvrant la possession de son héritage qu'on était en train d'usucaper, se trouve en butte à l'action publicienne, et réduit à prouver qu'il est dans le cas de l'exception justi dominii, c'est-à-dire qu'il est propriétaire du fonds même qu'il possède. Mais rien de plus simple que cette prétendue singularité, rien de plus aisé à concilier avec les principes qui protégent la possession.

Celui qui intente l'action publicienne, ne possédant pas, est obligé de prouver qu'il était dans les conditions voulues pour l'usucapion. Maintenant, cette preuve faite, le défendeur veut établir qu'il est propriétaire. Peut-on l'en croire sur parole, quand le demandeur a clairement établi, lui, qu'il avait la chose in bonis ? Non, évidemment; les rôles sont forcément intervertis. Le défendeur invoque un fait nouveau, pour lequel il se constitue demandeur. C'est à lni à en justifier. La présomption que la possession créait en sa faveur dans la première phase de l'instance, s'est évanouie en présence de la preuve faite par l'autre partie. Dès lors, il n'est plus censé posséder, de même que la maxime favorabiliores sunt rei quam actores, perd toute sa faveur quand une fois la créance est constatée. L'anomalie consisterait précisément à décider le contraire. Et il n'y a là aucune subtilité particulière au droit romain. Chez nous, et dans toutes les législations modernes, il en serait de même dans l'hypothèse d'un dépositaire qui viendrait à découvrir qu'il est propriétaire de l'objet du dépôt. Une fois la preuve du dépôt faite contre lui, vainement invoquerait-il sa possession pour se dispenser de prouver que l'objet lui appartient. On lui répondrait que le principe qui dispense le possesseur de la preuve ne s'est jamais entendu que de la défensive contre la demande primitive, et non de l'offensive, qui fait l'objet d'une demande reconventionnelle. Il n'y a donc, dans l'espèce, aucune exception aux principes bien constants de la matière, et cette explication trop vantée ne vaut guère mieux que celle qui consistait à lire non uno easu.

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