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son droit, mais à alléguer le titre auquel il le rattache, par exemple une donation, un testament. La question se trouvera alors placée sur un terrain positif, et il sera possible au demandeur d'établir que ce titre n'existe pas. S'il n'y réussit pas, il sera débouté de sa prétention. Si au contraire il y réussit, la présomption sera en sa faveur, et ce sera au défendeur qui aura succombé une première fois, à justifier, s'il se peut, de l'existence d'un autre titre. Ce tempérament n'est pas seulement une affaire de pratique; il est parfaitement conforme aux principes que nous avons posés dans la première partie de cet article. Nous avons reconnu que, dans les cas où une proposition négative ne peut se prouver, cela tient à ce qu'elle est indéfinie; rendez-la définie en la concentrant sur un point, et rien de plus aisé que de sortir

d'embarras.

En résumé, pour réduire la question à sa plus simple expression, en empruntant les formes de la logique, l'opinion que nous avons essayé de combattre peut se ramener à ce syllogisme : une proposition négative n'est pas susceptible d'être prouvée; or, celui qui allègue une proposition qui n'est pas susceptible d'être prouvée peut rejeter la preuve sur l'adversaire; donc celui qui allègue une proposition négative peut rejeter la preuve sur l'adversaire. Nous avons établi que toute négative sérieuse est susceptible de démonstration; ce qui fait tomber la majeure. La mineure est en opposition avec les principes les plus constants sur le règlement d'une bonne procédure. Elle s'appuie faussement sur le droit romain, qui la repousse en principe, et ne la consacre dans une espèce particulière que sous l'influence d'idées qui n'ont plus cours aujourd'hui. Nous sommes donc conduits forcément à cette conclusion que chez nous

c'est toujours au demandeur à prouver, et qu'il peut le faire, même lorsqu'il s'agit d'un fait négatif; il le pourra bien plus généralement, si on admet cette sage restriction que, pour rendre la négative définie, on pourra obliger la partie adverse à préciser ses prétentions.

E. BONNIER.

XIV. Sur l'origine et l'âge de la loi salique.

Par le docteur ZŒPFL,

professeur à l'Université de Heidelberg.

Parmi les monuments qui nous sont restés de l'époque Mérovingienne et Carlovingienne, aucun n'a sollicité plus vivement l'attention des historiens et des jurisconsultes de deux grandes nations sorties de même souche, la France et l'Allemagne, que la loi des Francs connue sous le nom de lex salica. Et en effet, quelque diverse qu'ait été la marche des deux législations française et allemande, il est vrai de dire cependant que toutes deux ont dans ce premier monument un point commun de départ. Nous espérons démontrer prochainement, dans un autre article, qu'il y a même dans le droit actuel une beaucoup plus grande ressemblance qu'on ne suppose entre les deux législations, et que plus d'une institution d'origine purement germanique s'est non-seulement conservée dans le droit français d'aujourd'hui, mais même s'y est développée plus heureusement qu'elle ne l'a fait dans la mère-patrie. Cette communauté de développement juridique donne un intérêt tout particulier à l'étude patiente des sources anciennes communes aux deux législations.

Jusqu'à ce jour c'est l'Allemagne, ce semble, qui s'est livrée avec le plus d'ardeur à des recherches sur l'âge et l'origine de la loi salique. Sans parler du livre déjà

ancien mais solide d'Eccard', nous avons un traité spécial sur la loi salique par Wiarda, et un travail remarquable de E.-A. Feuerbach3, à qui on ne peut refuser le mérite d'avoir, le premier, porté la lumière sur les origines de la loi salique, en soumettant à un nouvel examen les anciennes idées, et surtout en réfutant les opinions de Wiarda. Enfin il vient de paraître un essai sur la loi salique par Hermann Müller*, dans lequel l'auteur, mettant à profit sa profonde érudition philologique et surtout sa parfaite connaissance de la langue germanique, a donné de certains points les explications les plus nouvelles et les plus lumineuses, sans cependant avoir complétement épuisé le sujet.

En France, il semble que ces études aient été négligées, et depuis Pithou nous ne connaissons aucun travail critique ayant pour objet la loi salique; car nous ne pouvons ranger dans cette catégorie les intéressantes réflexions de M. Guizot sur le caractère de cet ancien monument. Mais d'un article inséré dans une des dernières livraisons de la Bibliothèque de l'école des chartes, recueil qui se recommande également par le goût de sa rédaction et par la publication de documents inédits, nous apprenons qu'un des savants français les

1

Leges Francorum Sal, et Rip. Francfort, 1720.

2 Histoire et explication de la loi salique (Geschichte und Auslegung des salischen Gesetzes). Brême, 1808.

La loi salique et les différents travaux dont elle a été l'objet (Die Lex salica und ihre verschiedenen Recensionen). Erlangen, 1831. *Sur l'âge et le pays de la loi salique et de la loi des Thuringes (Der lex salica und lex Angl. et Werinorum Alter und Heimath). Würzbourg, 1840.

* Glossarium, dans Baluze, à la suite des Capit. reg. Franc. Paris, 1677, t. H, p. 682 et suiv.

* Cours d'histoire moderne, 't. lor.

plus remarquables, M. Pardessus, s'occupe actuellement d'un commentaire sur la loi salique. L'Allemagne ne fera pas des vœux moins sincères que la France pour l'accomplissement de cette œuvre impatiemment attendue.

Le moment nous paraît donc favorable pour publier des remarques qui pourront peut-être compléter en quelques points les recherches faites jusqu'à ce jour; et nous nous estimerions heureux si nous pouvions ainsi aider au rapprochement des opinions divergentes dont la loi salique est encore aujourd'hui l'objet.

Depuis les solides recherches de Müller, que nous ne reproduirons pas ici, c'est chose démontrée que la loi salique n'a point été rédigée sur le sol germanique; la rive droite du Rhin n'est certainement pas sa patrie, comme M. Guizot semble le croire. Le pays où est né la loi salique et où elle a pris son premier développement, c'est la Belgique. J'entends par ce nom le Hainaut, le Brabant, le pays Wallon, la Zeelande, la Toxandrie et la Hollande méridionale; c'est-à-dire ces provinces que les Francs avaient occupées pendant longtemps avant le V. siècle, et dont les frontières, comme l'a fort bien démontré Müller, font encore aujourd'hui la limite des idiomes germaniques et romains. Également il est indubitable que la rédaction originaire de la loi salique s'est faite en latin. Chez aucune des nations germaniques, hormis les Goths, qui habitaient les bords de la mer Noire, et les Anglo-Saxons, la langue n'était passée à l'état de langue écrite; et en toute l'Europe il n'y a pas un monument de la langue allemande qui remonte plus haut que le IX siècle. Dans les X, XI et XIIe siècles, c'était encore un usage général de rédiger en latin tous les actes, toutes les

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coutumes, toutes les lois; le Miroir de Saxe et le Miroir de Souabe, qui datent du XIII° siècle, sont les premiers essais de droit allemand traités en langue allemande ; et le recès de l'empire (Reichsabschied) de l'an 1235 est la plus ancienne loi connue, qui ait été, dit-on, rédigée à la fois en allemand et en latin; encore ce point est-il contesté. D'ailleurs toutes les lois germaniques contemporaines de la loi salique sont rédigées en latin; telles sont les leges Bajuvariorum, Alamanorum, Frisionum, Saxonum, Thuringorum, etc. Enfin les anciens mots germaniques insérés dans quelques manuscrits de la lex salica, et connus sous le nom de Glossa Malbergicæ, ne sont rien autre chose qu'un premier essai de traduction allemande de quelques expressions latines, traduction sans doute faite dans le but de faciliter aux Scabini l'intelligence de la loi.

En outre, Feuerbach a victorieusement démontré, contre Wiarda, que les plus anciens manuscrits de la loi salique sont les trois manuscrits glosés de Wolfenbuttel ( publié par Eccard), de Fulda (publié par Hérold), et de Paris (publié par Schilter ). Des cinquantecinq manuscrits connus de la loi salique, il n'y en a que cinq qui portent les Glossa Malbergicæ, et ce sont ces cinq manuscrits, surtout les trois que nous venons de nommer, qui, tous différents les uns des autres, donnent les leçons les plus importantes par leur variété, tandis que les cinquante autres manuscrits se ressemblent presque absolument, et dans la forme et dans le fond. Feuerbach a démontré que cet accord des manuscrits vient de ce qu'ils ont tous pour type l'édition ou la révision de la loi salique faite par Charlemagne, ainsi que nous l'apprend Eginhard son historien. Au conIV. 2 SERIE.

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