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traire, les manuscrits glosés semblent appartenir à une époque où la lex salica n'ayant pas encore une forme légale, chaque détenteur d'un manuscrit y pouvait ajouter à son gré. Il n'y a donc rien d'étonnant, si quelquefois les manuscrits glosés désignent une institution comme hors d'usage, par exemple la Chrenecruda du titre Lxi, tandis que ce titre additionnel manque dans la révision de Charlemagne (lex salica emendata); comme aussi on aurait tort de conclure à l'ancienneté de la lex emendata, parce qu'elle ne contient qu'une seule disposition, là où la loi glosée (la lex antiqua) en contient plusieurs sur un même objet; car cette simplicité de la lex emendata peut dépendre, soit d'une mutilation du texte ancien, soit de l'emploi de manuscrits où manquaient ces additions.

Après avoir indiqué ces résultats incontestables des recherches faites jusqu'à ce jour, passons maintenant à l'examen d'un point sur lequel on n'est pas tombé d'accord ; je veux parler de l'âge de la loi salique. L'opinion erronée de Wiarda, qui considérait les manuscrits glosés comme des remaniements de la lex emendata, a fait penser que la lex salica ne remontait pas au delà du VII° siècle; et il est vrai de dire que nos plus anciens manuscrits n'ont pas une date plus ancienne. Mais ce fait seul ne prouve nullement que la loi n'ait pas été rédigée à une époque antérieure; le contraire résulte clairement du texte de la loi glosée; le titre LXVIII, § 1, se réfère à une legem antiquam, c'est-à-dire à un nianuscrit plus ancien qui avait un titre de plus que les manuscrits ordinaires. Wiarda et, après lui, M. Guizot se sont mépris sur le sens de ce passage, en le rapportant à la lex emendata.

Une objection plus importante c'est que les premiers

monuments historiques où il soit fait mention de la lex salica ne datent que du VIIIe siècle; c'est une petite chronique du temps de Thierry IV, connue sous le nom de Gesta Francorum, qui fait la première mention de la lex Francorum; cette chronique et la préface même de la loi salique nous donnent les seuls renseignements que nous possédons sur l'origine de la loi. D'après cette préface, la lex salica a été rédigée à une époque où les Francs étaient encore dans le paganisme, et ne connaissaient pas l'autorité d'un roi; ce n'est que longtemps après cette première rédaction que Chlodwig, à l'occasion de la conversion des Francs au christianisme, fit une révision de la loi, et ses successeurs Childebert et Clothaire y apportèrent à leur tour quelque changement. La préface de la loi salique ne va pas plus loin'. Elle nous donne ainsi l'histoire de la loi salique jusqu'à la seconde moitié du VIe siècle, et ne peut par conséquent avoir été écrite avant le règne de Clothaire Ier, mort en 561. Mais elle ne peut avoir été écrite beaucoup plus tard; car elle ne nomme aucun autre roi franc, ni Charles Martel, que sa victoire sur les Sarrasins faisait considérer comme le sauveur de la chrétienté, et don't le nom serait venu naturellement à l'idée du rédacteur de la préface; car on voit qu'il s'efforce de faire sentir la haute importance de la conversion des Francs au chris

tianisme.

On a fait depuis longtemps la remarque qu'entre la

1 L'autre morceau qui se trouve dans l'édition d'Hérold et qui commence par ces mots : Theodericus rex, etc., n'appartient pas à la loi salique, comme M. Guizot semble le croire; c'est la préface de la loi des Ripuaires, et elle appartient également à la loi des Bavarois et des Alemanni; c'est par erreur qu'on a ajouté ce texte à la préface de la loi salique.

préface de la loi glosée et le récit des Gesta Francorum, il y a une ressemblance presque textuelle, tandis que la préface de la lex emendata est beaucoup plus brève. De cette observation on a voulu conclure que la préface de la lex salica n'est qu'une copie des Gesta Francorum, et que les renseignements qu'elle nous donne ne sont autre chose qu'une légende de date plus récente que la loi, et sans aucune valeur historique. Cette opinion est fort contestable; car, suivant les remarques que nous venons de faire, il semblerait que le prologue de la lex salica antiqua serait antérieur de près d'un siècle aux Gesta Francorum; il est d'ailleurs beaucoup plus probable que le rédacteur de cette chronique, qui au fond n'a fait qu'abréger Grégoire de Tours, a eu devant les yeux, sur ce point où son auteur ne lui donnait point de renseignements, le prologue de l'ancienne loi salique. Et pour le cas même où on n'adopterait pas notre opinion sur l'âge de la loi salique, tout au moins devrait-on admettre que ces deux documents sont de même époque, et qu'il n'y a pas plus de raison pour avancer que le prologue a été pris des Gesta, que pour affirmer que la page des Gesta a été copiée du prologue. Quant à la brièveté du prologue de la lex emendata, elle s'explique aisément par l'époque de sa rédaction. Révisée sous le règne de Charlemagne, on devait, retranchant de l'ancien prologue l'éloge des Mérowingiens, rappeler que la loi avait été rédigée à une époque où la nation était païenne, et de là passer immédiatement à l'ordre donné par Charlemagne de réviser la loi.

Quelque opinion qu'on se forme à ce sujet, il reste certain que le récit des Gesta Francorum et du prologue de la lex antiqua est la plus ancienne tradition connue sur l'origine de la loi; que jusqu'à l'époque de Charle

magne il était accepté par les Francs comme authentique; et à ce titre il mérite une attention sérieuse. En supposant que cette tradition contienne des faits erronés, il est certain néanmoins qu'elle a un fond historique; c'est à la critique à découvrir ce fond de vérité, et à le dépouiller de son enveloppe mythique. C'est ce que nous avons essayé de faire; ce sont les résultats auxquels nous sommes parvenus que nous exposons au lecteur.

Les Gesta Francorum nous donnent sur l'origine et la première rédaction de la loi un renseignement qui n'est pas contenu dans le prologue. Ils nous disent que ce fut à l'époque où les Francs choisirent pour premier roi Pharamond, fils de leur ancien chef Marcomir, qu'ils commencèrent d'avoir un corps de lois, legem habere cœperunt. De ce passage, quelques personnes ont voulu conclure que la lex salica était une espèce de constitution que le peuple franc s'était donnée avant de passer sous le régime monarchique, comme pour se conserver ses anciennes coutumes. Si l'on pouvait admettre qu'il y eût quelque relation entre le choix du roi Pharamond et la rédaction de la loi, on aurait par cela même l'époque exacte de la rédaction de la loi : ce serait la première moitié du Ve siècle, car Prosper place en l'an 422 l'élection de Pharamond. Quant à ce prétendu caractère d'une constitution, Wiarda et M. Guizot ont fort bien démontré que rien de semblable ne se rencontrait dans la loi salique; que cette loi est une simple coutume, la jurisprudence suivie par quelque tribunal franc principalement en matière criminelle. A cet égard M. Guizot a tiré un excellent parti du titre xvii de la lex salica Heroldina, qui mentionne deux peines pécuniaires différentes pour un même délit. Seulement

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M. Guizot s'est trompé quand il a voulu conclure de ces dispositions que la loi n'avait pas été rédigée avant le VII® ou le VIII° siècle. « Il me semble évident, » dit-il 1, par les dispositions, les idées, le ton de cette loi, qu'elle appartient à une époque où les Francs étaient depuis assez longtemps au milieu d'une population » romaine; elle fait sans cesse mention des Romains, » et nou pas comme habitants épars çà et là sur le territoire, mais comme d'une population nombreuse, » laborieuse, agricole, déjà réduite, en grande partie » du moins, à l'état de colons. » Il nous semble, au contraire, que cette séparation tranchée des Francs et des Romains nous reporte à une époque où la distinction du vainqueur et du vaincu subsistait dans toute sa rigueur, et où n'avait pas encore commencé ce travail de fusion des deux races qui s'acheva dans le IX siècle. Il n'y a donc rien dans ce passage de la loi qui puisse s'opposer à ce que nous fixions au V° siècle la date de la rédaction. Et quand M. Guizot ajoute: «On y voit aussi que » le christianisme ne date pas d'hier parmi les Francs, qu'il tient déjà dans la société et les esprits une grande place; il y est souvent question des églises, des évêques, des diacres, des clercs; on reconnaît dans plus d'un article l'influence de la religion sur les notions morales, et le changement qu'elle a déjà apporté dans » les mœurs barbares; >> on ne peut s'empêcher de croire que le savant auteur a confondu avec la loi salique la loi des Ripuaires, rédigée dans le VII° siècle sous Dagobert. Dans cette dernière loi, en effet, l'influence décidée du clergé est visible; mais dans la loi salique on ne l'aperçoit nulle part, et le seul passage

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