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solu, et la liberté politique fut promise et en partie octroyée aux habitants des trente-huit états indépendants de l'Allemagne. La souveraineté ne devait être exercée qu'avec la participation des chambres.

Tous les états eurent successivement des chartes ou constitutions, à l'exception de la Prusse, qui se bornait à introduire des états provinciaux sans voix délibérative, et de l'Autriche, qui conserva ou restaura les anciens états là où il en avait existé autrefois.

Bientôt la théorie philosophique du droit public changea encore une fois, et les doctrines constitutionnelles de la France furent suivies et adaptées à l'ordre de choses nouveau. La théorie du Contrat social, que l'école de Kant et surtout celle de Fichte avaient admise depuis longtemps dans les doctrines sur le droit naturel, fut reproduite par les écrivains qui ne reconnaissaient d'autre base légitime du droit positif que le droit dit de la raison. A la tête de cette classe d'auteurs nous trouvons le philosophe Krug, à Leipsic, feu son collègue M. Poelitz, M. de Rotteck, à Fribourg, et M. d'Arretin, à Munich. Les publicistes allemands, plus instruits dans l'ancien droit public de leur patrie et meilleurs jurisconsultes praticiens, n'adoptèrent pas ces théories sans restriction; ils tâchèrent de les concilier avec les doctrines d'autrefois, même en leur assignant une importance moindre qu'aux principes antérieurs.

Le plus habile parmi eux, celui dont l'ouvrage ( publié pour la première fois en 1817) eut le plus de sucrès', et l'autorité le plus d'influence, fut M. Klüber 2

1 La quatrième édition a paru en 1840 après la mort de l'auteur. 'Une notice nécrologique sur ce jurisconsulte, pár M. Fœlix, se trouve dans la Revue étrangère, t. IV, p. 524-531.

IV. 2 SÉRIE.

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(mort à Francfort le 16 février 1837). Une transaction avec une nuance plus prononcée de libéralisme fut faite, en 1828, par M. Jordan, professeur à l'université de Marbourg1, dans son système du droit public général. M. d'Arretin, en suivant le célèbre Lanjuinais, a essayé avec beaucoup de succès un système de droit public comparé de la monarchie constitutionnelle ( 1824 et 1827), qu'après sa mort M. de Rotteck a achevé en 1828. Ce dernier a publié en 1840 une nouvelle édition de l'ouvrage entier. Un caractère distinctif de l'école dont nous venons de nommer les chefs, c'est qu'elle donne aux principes purement philosophiques, théoriques et même spéculatifs, la même force obligatoire dans la pratique, qu'aux règles du droit positif, sanctionnées ou reconnues; elle les place même souvent audessus des notions du droit historique. Ces doctrines, ayant été enseignées pendant trente ans aux universités allemandes, ont exercé une grande influence sur la législation, et ont formé dans bien des états une partie du droit positif lui-même. Elles servent de base à la plupart des constitutions octroyées depuis 1815.

Une scission complète s'est cependant opérée parmi les publicistes et les hommes politiques allemands, par suite de l'introduction du régime constitutionnel. Ceux d'entre eux qui devinrent membres des chambres des représentants formèrent bientôt une opposition contre les publicistes gouvernants. Les premiers combattirent sous la bannière du libéralisme pour la liberté et le progrès, ceux-ci pour le pouvoir et la conservation du principe monarchique. La lutte devint acharnée dans plu

1 Il est aujourd'hui en prison sous le poids d'une accusation politique.

sieurs pays, surtout après la révolution de juillet 1830. Plusieurs causes inhérentes à la confédération germanique elle-même y contribuèrent. On n'a pas songé, en 1815, à tracer des limites précises entre le pouvoir de la confédération elle-même et la puissance souveraine dans chaque pays, c'est-à-dire celle du prince et des chambres. L'opposition dans celles-ci voit donc dans la diete de Francfort les ennemis de la liberté politique de la patrie commune. C'est contre la diète1 donc que sont dirigées ces motions pour la liberté de la presse, que les chefs de l'opposition des chambres badoises renouvellent à chaque session. D'un autre côté viennent les restrictions de la liberté individuelle, les enquêtes sur les menées démagogiques et révolutionnaires, l'éloignement de quelques professeurs des universités, et autres mesures conservatrices de l'ordre politique existant en Allemagne, provoquées en grande partie par des événements qui, surtout depuis 1830, avaient inquiété le repos public. Il y a eu un petit nombre d'auteurs qui, soit par des feuilles politiques, soit par des brochures, ont répandu des doctrines radicales ayant pour but un bouleversement général en Allemagne;

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1 Un ouvrage destiné à démontrer l'incompatibilité de la diète avec le régime constitutionnel de l'Allemagne a été publié par M. Pfizer, autrefois membre de l'opposition des chambres wurtembergeoises; il a pour titre : Du développement du droit public de l'Allemagne d'après la constitution de la confédération germanique. Stullgard, 1835. V. la Revue étrangère, t. III, p. 71. Revue du Nord, de M. Spazier, octobre 1836, p. 231.

'La diete vient de justifier ces mesures par la publication des résultats de l'enquête faite par une commission spéciale à Francfort, depuis 1830.

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Par exemple MM. Wirth, Siebenpfeiffer et Schulz.

mais personne n'a jamais songé à considérer leurs auteurs comme des publicistes. Ils n'ont nullement travaillé pour la science, mais bien pour la révolution. Eux seuls ont invoqué le principe de la souveraineté du peuple, que même des auteurs connus comme chefs du libéralisme, par exemple M. Jordan, ont combattu.

La grande diversité d'opinions des auteurs qui admettent des principes philosophiques dans le droit public positif de l'Allemagne a donné naissance à des doctrines tout à fait opposées, doctrines qui n'admettent qu'une base historique pour ce droit. Les partisans de cette manière de voir sont M. de Haller et son école, MM. Stahl, Link, en Bavière; Jarke, à Vienne; Rehfuss, à Bonn; et surtout M. Heffter, professeur de droit public à l'université de Berlin', et M. Maurenbrecher, professeur de la même science à Bonn. Ce dernier s'est constitué, en 1837, réformateur de la science du droit public, par la publication d'un manuel qui combat avec talent la méthode suivie jusqu'ici. A ce manuel a succédé un ouvrage qui a produit une grande sensation en Allemagne, intitulé : Des princes régnant aujourd'hui en Allemagne, et de la souveraineté, Francfort, 1839. M. Maurenbrecher est le premier publiciste qui ait appliqué d'une manière complète les principes de l'école historique au droit public de l'Allemagne, en essayant toutefois de les concilier avec les vues des diverses écoles philosophiques. D'après quelques paragraphes de son manuel, il pourrait passer pour un ami

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1 Il a publié en 1829 an Recueil de dissertations relatives au droit public de l'Allemagne, écrites avec autant d'esprit que de savoir. Nous renvoyons aux § 27 et 38.

de l'éclectisme dans cette partie de la science1. M. Klüber est le dernier représentant de l'école qui a pris naissance ou commencé avec le siècle. M. Maurenbrecher ouvre une ère nouvelle; il est impossible de prédire la marche que la science suivra dorénavant.

Le Dictionnaire des sciences politiques (Staatslexicon), publié par MM. de Rotteck et Welcker, dont neuf volumes ont paru, est l'organe le plus constant du libéralisme en Allemagne.

VII. Du droit des gens, de l'encyclopédie du droit,
et du droit naturel.

Nous avons encore à parler de l'étude du droit des gens, des progrès de l'encyclopédie du droit en Allemagne et du droit naturel.

Sur les deux premières branches, nous n'avons rien à dire qui ne soit déjà connu à l'étranger. Les ouvrages de MM. Martens et Klüber sur le droit des gens, publiés en allemand et en français, ont été réimprimés à Paris d'après la dernière rédaction. L'Encyclopédie du droit de M. Falck à Kiel, dont une quatrième édition a paru en 1839, a éclipsé les autres ouvrages de ce genre'.

Quant aux théories philosophiques du droit, les doctrines de l'école de Kant ont dominé jusqu'en 1830; mais depuis elles ont beaucoup perdu de leur autorité. Une nouvelle ère se prépare: aucune des doctrines nouvellement émises n'a un ascendant marqué. Nous

1 Nous citerons encore, comme publicistes éclectiques, les auteurs suivants: MM. Ancillon, Falck, Ranke, Schmitthenner et Mohl, de Tubingue; récemment aussi M. Zachariæ père.

* M. Warnkœnig a publié lui-même une encyclopédie abrégée. V. la Revue étrangère, t. VII, p. 584. (Note des directeurs de la Revue.)

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