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dans le cas où ils croiraient leurs opérations contrariées à tort par les voies judiciaires. Le roi se réserva de statuer sur leurs réclamations sans s'astreindre à aucune règle, à aucune formalité.

Enfin, par le fameux arrêté du 5 octobre 1822, le roi Guillaume étendit le principe à toutes les matières administratives en rétablissant formellement les conflits; c'était, sauf quelques garanties dans l'instruction et la publicité de l'affaire, la législation française à laquelle on revint après trente années de lutte et de sacrifices! Cet arrêté n'attribuait qu'aux gouverneurs seuls le droit de soulever des conflits; les intéressés et les tribunaux pouvaient défendre leurs thèses et dresser des mémoires. Par suite de la notification de l'avis d'intervention, il était sursis au jugement de la cause, et le juge qui donnait suite à l'affaire était puni criminellement par les art. 127 et 128 du Code pénal. Après l'instruction de l'affaire, le ministre de la justice et celui du département auquel ressortissait le procès, devaient le rapporter en commun et donner leurs conclusions. Le conseil d'Etat émettait ensuite son avis, et le roi, enfin, statuait par un jugement motivé que le Journal officiel portait à la connaissance du pays.

Les garanties de procédure qui accompagnaient la matière des conflits sous l'empire de cet arrêté; le régime constitutionnel et l'opposition belge qui était déjà en progrès dans les années 1824 et 1825, sont cause que l'application de cet acte n'a pas engendré autant d'abus que sous le régime français. Cependant le nombre des conflits élevés depuis 1822 jusqu'en 1830 fut considérable; le Bulletin des Lois en fait foi.

Cet arrêté de 1822, dont la constitutionnalité est aujourd'hui contestée, est un de ces actes qui dénotent

tout le système, toutes les tendances illibérales du gouvernement de l'époque. Sous l'apparence de la constitutionnalité, sous les faux semblants d'idées progressives, sous le prétexte, soit du bien-être général, soit de combler des lacunes dans la loi, imbu enfin du principe que les droits de sa dynastie sont antérieurs à la charte', le chef de l'État organisa et réglementa beaucoup de branches de l'administration par des arrêtés et des circulaires qui violaient les lois et la constitution. De lui émanait toute autorité, tout pouvoir; lui était le juge suprême et en dernier ressort pour décider si tel acte était de la compétence des tribunaux ou de ses agents.

LÉGISLATION BELGE.

Tous les efforts des peuples tendent vers l'unité sociale, l'unité politique et administrative. L'assemblée constituante, en voulant fonder l'unité politique, n'a pas réalisé l'alliance de ces deux puissances de l'homme et de la société, la Liberté et le Pouvoir, c'est-à-dire l'homme et la société. Cette assemblée avait mis la liberté en première ligne et le pouvoir dans l'ombre. Bonaparte, dans son génie organisateur de la société nationale, a fait le contraire : il a mis le pouvoir sur le premier plan et la liberté politique à l'écart. La révolution de 1830 a repris l'œuvre de 89, mais avec cette haute raison, cette fermeté d'application que donnent l'expérience des choses et le respect du passé".

1 V. le fameux message du 11 décembre 1829.

V.le Cours de droit administratif de M. Laferrière, professeur à Rennes. Il faut seulement faire remarquer, quant au sujet qui nous occupe, que la Belgique de 1830 a fait un progrès immense, tandis que la France se débat encore péniblement dans le chaos administratif de l'empire et de la restauration.

La séparation des pouvoirs, cette grande garantie constitutionnelle, est le fondement de la société civile. Aussi ce que l'on remarque principalement dans les sept constitutions qui se sont succédé depuis 1789, c'est cette distinction des pouvoirs. Le pouvoir judiciaire surtout a été avec soin séparé du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif', ce qui établirait aussi la séparation du pouvoir administratif si la ligne de démarcation avait toujours été bien tracée par des principes généraux, des règles constitutionnelles.

Le congrès national', convaincu par l'expérience et par les abus des régimes impériaux et néerlandais qu'une bonne organisation des pouvoirs, des prescriptions fixes renfermées dans le pacte social sont nécessaires pour la garantie tant de l'ordre public que des intérêts privés, aamélioré notre législation sous ce rapport d'une manière heureuse.

Voici les dispositions fondamentales sur la matière qui

nous occupe :

« Constit. de 1831, art. 92. Les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux. »

- « Art. 93. Les contestations qui ont pour objet des

1 Constit. des 3-11 sept. 1791, art. 16; chap. 5, art. 1er et 3; déclaration des lois des 10-24 juin et 14 septembre 1792; Constit. du 24 juin 1793, art. 82; Constit. du 5 fructidor an III, art. 22, 46, 202, 203; Code civil de 1804, art. 5; loi du 16 septembre 1807; Code pénal, art. 127; Constit. de 1815, art. 105 et 166; pour la constitution de 1831, V. les articles ci-après.

'Le congrès national belge a été installé le 8 novembre 1830. La constitution porte la date du 7 février 1831, et a été déclarée exécutoire le 26 du même mois, jour de l'entrée en fonctions du régent.

droits politiques sont du ressort des tribunaux, sauf les exceptions établies par la loi. »

— « Art. 107. Les cours et tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, qu'autant qu'ils seront conformes aux lois. »

- «< Art. 24. Nulle autorisation préalable n'est nécessaire pour exercer des poursuites contre les fonctionnaires publics, pour fait de leur administration, sauf ce qui est statué à l'égard des ministres. »>

« Art. 8. Nul ne peut être distrait, contre son gré, du juge que la loi lui assigne.

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- « Art. 28. L'interprétation des lois par voie d'autorité n'appartient qu'au pouvoir législatif.

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« Art. 30. Le pouvoir judiciaire est exercé par les

cours et tribunaux. »

- Art. 94. Nul tribunal, nulle juridiction contentieuse ne peut être établie qu'en vertu d'une loi. Il ne peut être créé de commissions, ni tribunaux extraordinaires, sous quelque dénomination que ce soit. »

« Art. 100. Les juges sont nommés à vie, sont inamovibles1. »

« Art. 101. Le roi nomme et révoque les officiers du ministère public près les cours et tribunaux. »

« Art. 106. La cour de cassation

prononce sur les

1 Les conseillers des cours d'appel et les présidents et vice-présidents des tribunaux de re instance de leur ressort, sont nommés par le roi, sur deux listes doubles, présentées l'une par ces cours, l'autre par les conseils provinciaux. Les conseillers de la cour de cassation sont nommés par le roi, sur deux listes doubles, présentées l'une par le sénat, l'autre par la cour de cassation. - Les cours choisissent dans leur sein leurs présidents et vice-présidents. (Constit., art. 99.)

conflits d'attributions d'après le mode réglé par la loi 1. » -Art. 138. A compter du jour où la constitution sera exécutoire, toutes les lois, tous les décrets, arrêtés, règlements et autres actes qui y sont contraires, sont abrogés. »

- «< Art. 7. Nul ne peut être poursuivi que dans les cas prévus par la loi, et dans la forme qu'elle prescrit.

- Art. 103. Les traitements des membres de l'ordre judiciaire sont fixés par la loi 2. »

— « Art. 105. Des lois particulières règlent l'organisation et les attributions des tribunaux militaires et de commerce, les droits et obligations des membres de ces tribunaux, et la durée de leurs fonctions. >>

On voit que le nouveau système est assez simple, et l'étendue du pouvoir judiciaire définie assez nettement. Il n'y a que deux sortes de contestations, celles civiles

1 Loi du 4 août 1832, art. 20.

*Nous ne savons trop comment faire harmoniser, avec tous ces articles de la constitution, la loi du 16 juin 1836, qui institue une espèce de tribunal exceptionnel, dite commission d'enquête, chargé de juger, soit certains faits graves non prévus par les lois, soit d'autres faits, que les lois militaires qualifient crimes ou délits. Le pouvoir exécutif, en ces cas, décide la mise en accusation des officiers et s'empare du jugement de ce tribunal pour appliquer la loi comme bon lui semble, même pour prononcer la privation du grade et du traitement des officiers de l'armée.

Sous le régime de notre législation, ce ne sont pas non plus les tribunaux qui jugent les réfractaires et les déserteurs de la milice; c'est le ministre de la guerre qui les condamne à une incorporation de cinq ans dans la ligne. Le gouverneur et même les autorités locales peuvent décerner contre eux des mandats de justice ou les faire emprisonner pendant six jours. (Loi du 8 janv. 1817, art. 167 et 168; loi du 27 avril 1820, art. 41 et 46; arrêt de la haute cour militaire, 22 novembre 1833.)

IV. 2 SERIE.

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