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et celles politiques : toutes les deux sont de la compétence des tribunaux ordinaires, sauf, en ce qui concerne ces dernières, les exceptions établies par la loi. Les contestations et les contraventions, en matière d'impôts, sont réglées par des lois spéciales. La définition du mot politique offre des difficultés, et sous ce rapport M. le professeur Haus' a raison de dire que dans la pratique l'art. 93 de la constitution donnera lieu à de grands embarras; essayons de donner quelques notions précises.

La loi est une règle d'action prescrite par l'autorité légitime pour les individus de la société. Elle crée des obligations, statue d'une manière générale. Naturellement imparfaite, et ne pouvant ni embrasser toutes les affaires, ni prévenir toutes les réclamations, elle fait naître des contestations qui rentrent dans les attributions des tribunaux, forment la mission générale du pouvoir judiciaire. Ce pouvoir reconnaît donc simplement le rapport qui peut exister entre tels et tels faits et la volonté du législateur; en d'autres termes, il vérifie les faits contestés entre les parties contendantes, et dit le droit tel qu'il résulte de ces faits. Or les contestations, comme les rapports des hommes dans la société, sont de deux espèces :

1° De droit civil,-rapports d'individus à individus ; 2o De droit politique, rapports d'individus avec la société (l'état, la province, la commune, les établissements publics en général).

On appelle donc droits civils ou privés les droits qui règlent les intérêts respectifs des citoyens entre eux,

1 Observations sur le projet de révision du Code pénal belge, t. 1, p. 160.

résultants des rapports individuels ou de famille, ceux que la loi civile garantit aux nationaux, et même, en certains cas, aux étrangers non naturalisés; en un mot les droits qui concernent l'homme sous le triple rapport (a) de sa personne (statut personnel), (b) de ses biens (statut réel), (c) de ses actes (conventions, dispositions).

On appelle droit politique les droits de l'état vis-àvis des citoyens, les droits résultants des rapports de chaque individu avec l'état, ou avec une fraction légale de l'état (la province, la commune), les droits qui font participer activement et personnellement, soit à l'établissement, soit à l'exercice de la puissance ou des fonctions publiques, et ne sont attribués qu'à un certain nombre de Belges. Dans une acception plus étendue, les mots droit politique servent à désigner l'aptitude à toutes les fonctions publiques, l'égalité de tous les Belges devant la loi, la liberté des cultes, celle de la presse.

Ainsi le droit d'élection, l'éligibilité, la qualité de juré ou de garde civique, etc., sont des droits politiques. Lorsque le corps législatif fait une loi, il exerce un droit politique; lorsque les tribunaux appliquent la loi, ils exercent également un droit politique.

Lorsque, soit le collége des bourgmestres et échevins d'une commune, soit le conseil provincial, prennent une ordonnance ou arrêté, dans le cercle de leurs attributions, ils usent d'un droit politique.

C'est un droit politique que possède la commune dans l'autorisation que lui accorde le gouvernement de tenir une foire ou un marché.

Les droits politiques sont énumérés, soit dans la constitution, soit dans les lois spéciales qui confèrent des droits ou fonctions politiques, électoraux, judiciai

res, par exemple les lois communale et provinciale; soit dans les lois qui organisent certains offices publics, par exemple la loi du 25 ventôse an XI sur le notariat; soit dans les divers codes qui nous régissent, par exemple l'art. 585 du Code de proc. civ., l'art. 381 du Code d'instruction criminelle.

L'égalité civile (l'exercice de la liberté individuelle) est fondée sur l'égalité dans la liberté naturelle de l'homme... droits naturels et civils. Le principe de l'inégalité politique (l'exercice des fonctions sociales) est fondé sur l'inégalité dans la capacité naturelle de l'homme..... droit politique.

Il y a une observation importante à faire à cet égard, c'est qu'à tout droit quelconque correspond une obligation, à tout droit politique une obligation politique. Ainsi, lorsque la législature décrète le contingent de l'armée, et que les autres corps de l'état en règlent la répartition par province et par commune, il naît, pour chaque citoyen qui est frappé par la loi, l'obligation politique de concourir à la formation du contingent. Lorsque le corps législatif décrète les contributions, chaque citoyen est tenu politiquement d'en payer sa quote-part d'après les bases établies par le budget.

Gomme le droit politique est celui qui constitue les rapports des gouvernants aux gouvernés, il faut bien le distinguer du droit des gens, le droit qui établit les relations de nation à nation. Les contestations que peut soulever ce dernier droit ne sont pas du ressort des tribunaux. Les actes que le pouvoir exécutif pose dans ce dernier cas sont des actes de gouvernement, et non des actes administratifs proprements dits '.

1 V. Henrion de Pansey, Autorité judiciaire, chap. 28.

Une difficulté se présente relativement aux droits et obligations des concessionnaires de travaux publics. Y at-il là un droit civil ou un droit politique? On connaît la loi du 19 juillet 1832, qui autorise le gouvernement à concéder des travaux d'utilité publique pour un terme qui ne peut excéder 99 années. M. Tielemans1 donne la définition suivante de la concession: l'acte par lequel l'autorité publique accorde à quelqu'un la propriété ou la jouissance d'une chose dont elle a la disposition, non comme propriétaire, mais comme autorité, et que personne ne peut acquérir par les moyens ordinaires du droit. Ce droit, continue-t-il, n'arrivant ni de la propriété, ni d'un contrat civil, est un droit politique; dès lors la législature peut attribuer à l'administration la connaissance des contestations auxquelles son exercice peut donner lieu.

Cette opinion ne nous semble pas fondée. L'on a reconnu, lors de la discussion de la loi précitée de 1832, que les péages n'étaient qu'une indemnité ou une espèce de droit de louage, établi à charge de celui qui use d'un établissement utile, au profit de celui qui l'a créé.

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■ La concession, dit M. Delalleau, est un contrat civil » innomé, synallagmatique, à titre onéreux et aléa» toire, par lequel une ou plusieurs personnes (concessionnaires) s'obligent envers l'administration à faire.

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Répertoire administratif, vo Concession.

* Revue de législation de 1840, article reproduit par la Revue des

revues de droit, 1840, p. 280.

3 Code civil, art. 1101; Dig., l. 1, § 2 et 3, de pactis.

⚫ Code civil, art. 1107.

* Code civil, art. 1102. * Code civil, art. 1106.

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» exécuter à leurs frais, risques et périls, un travail » d'utilité publique, moyennant la jouissance d'un péage ou autres avantages stipulés dans l'acte de con» cession. » Une loi autorise l'administration à établir tel péage, à déclarer d'utilité publique tels travaux, à adjuger ou concéder pour un certain temps la construction d'une route, d'un chemin de fer, etc. L'adjudication ayant eu lieu régulièrement confère à l'adjudicataire un droit irrévocable, mais limité à la concession. L'état peut être regardé comme propriétaire du chemin ou du canal déclaré utile, concédé et construit. Le concessionnaire perçoit son péage indirectement au profit de l'état, puisqu'il est destiné à l'indemniser de la construction des travaux qu'il doit remettre à l'état au bout d'un certain temps. Il y a bien là tous les caractères d'un contrat civil quoique innomé entre deux parties : d'une part le concessionnaire, et de l'autre l'administration stipulant pour l'état, la province ou la commune. Le pouvoir exécutif ou ses agents agissent bien ici comme autorité publique, dans l'intérêt de tous; mais c'est un cas exceptionnel où il faut le considérer comme personne civile; dès lors les contestations qui pourraient s'élever au sujet de ces droits et obligations sont exclusivement du ressort des tribunaux 1.

Une semblable difficulté se présente relativement aux droits et obligations de ceux qui ont obtenu de l'autorité

1 Si le péage est un impôt, comme le pense M. Tielemans, et comme le déclare accessoirement un arrêt de la cour de Bruxelles, du 13 février 1833 (Jur. de Belgique, 1833, p. 179), les art. 92 et 93 de la constitution ne sont pas applicables; il faut alors voter tous les ans les lois sur les barrières, et sur les concessions de péages (V. art. 3 de la constitution); notre législature fait pourtant le contraire (V. les discussions parlementaires du 8 mars 1838).

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