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vait juger de la légalité des actes de l'autorité admi

nistrative 1.

Comme corollaire à cet article de la constitution, il faut admettre aussi que les tribunaux ont le droit de ne pas appliquer les lois qui seraient en opposition avec la constitution.

Le juge, en s'abstenant de prononcer en vertu d'actes inconstitutionnels, illégitimes ou irréguliers, laisse subsister la loi ; il ne l'applique point aux litiges qui lui sont soumis, et ne fait par là qu'interpréter sainement le pacte social, guide et régulateur de tous les pouvoirs. Il oppose de cette manière, soit aux usurpations, soit aux négligences du gouvernement, une résistance légale, calme et sans danger.

Nous disons que ce principe consacre l'indépendance et la séparation des pouvoirs judiciaire et administratif et ne permet jamais au premier d'empiéter sur les attributions du second, et réciproquement. En conséquence, ce que l'autorité administrative a ordonné dans l'intérêt public, l'autorité judiciaire ne peut le défaire ni le méconnaître en faveur de l'intérêt privé, sauf le cas où les mesures que l'administration aurait prises, tout en préjudiciant à des particuliers, seraient en même temps contraires à la constitution ou aux lois qui en dérivent. Et cette conséquence est réciproque : ce que les tribunaux ont jugé dans une contestation d'intérêt privé doit être respecté par l'administration, sauf à réclamer, moyennant une juste et préalable indemnité, le sacrifice de l'intérêt privé à l'intérêt public. Si le tri

V. le rapport de la section centrale du congrès national, cité en note de la constitution (art. 107), si bien commentée par MM. Plaisant et Van Mons, 10° édition du Code Paillet, p. 29.

bunal s'écarte de ce principe, l'administration doit poursuivre l'annulation de son jugement par voie d'appel ou de cassation. Si, au contraire, c'est l'autorité administrative qui s'en écarte, l'autorité judiciaire ne doit avoir aucun égard à sa décision, parce qu'elle viole la loi 1.

De ce que la constitution autorise les tribunaux à connaître de la légalité des arrêtés généraux, provinciaux et communaux, sans distinction si la connaissance de cet arrêté leur est déférée action directe ou par par voie d'exception, il ne s'ensuit pas qu'elle leur confère un droit illimité de se livrer à l'appréciation de tous les actes administratifs indistinctement, quel que soit leur objet, et d'en refuser l'application lorsqu'ils ne les trouveraient pas conformes à la loi. Ce droit doit être limité à ceux des actes qui statuent sur des objets qui rentrent dans la compétence des tribunaux ; aller au delà, ce serait détruire la séparation et l'indépendance des pouvoirs consacrés par la constitution.

Il faut donc nécessairement combiner l'art. 107 avec les art. 92 et 93 du même pacte, lesquels, en déférant aux tribunaux la connaissance des contestations qui ont pour objet des droits civils ou politiques, ne peuvent avoir eu pour effet de leur attribuer un pouvoir qu'ils n'ont jamais eu, celui de statuer sur toutes les contestations indistinctement qui naîtraient des lois et rapports d'intérêt général, d'ordre public, de l'exécution des actes purement administratifs. Ces articles ont eu uniquement pour effet de leur conférer la connaissance de toutes les contestations relatives aux droits privés des citoyens, dérivant des lois portées directement dans leur intérêt

1. le Répertoire de M. Tielemans, passim.

individuel, et qui sont des droits civils et politiques proprement dits'.

S'il appartient essentiellement aux tribunaux de refuser leur concours à l'exécution d'un acte administratif dont ils reconnaîtront l'illégalité, qu'ils reconnaîtront ne pas avoir été rendu dans la limite des pouvoirs que la loi impose à l'autorité, il ne leur appartient jamais de réformer, d'entraver en lui-même, d'annuler directement ou de prescrire des modifications à un acte qu'ils jugent contraire aux lois; leur mission se borne à n'y avoir aucun égard dans le cas particulier qui leur est soumis. Ainsi, il leur est permis de discuter, d'apprécier le mérite, la régularité ou le caractère légal de l'arrêté, et de décider, le cas échéant, la contestation, comme si l'arrêté n'existait pas; dans ce cas, néanmoins, la décision du juge ne doit avoir effet que dans l'ordre d'allouer des dommages-intérêts, si la mesure administrative a porté quelque préjudice, a violé les droits des tiers. En un mot, les tribunaux n'ont pas le droit d'examiner ou d'apprécier au fond le mérite, la justice, l'opportunité, l'utilité ou le caractère nuisible d'un arrêté comme acte administratif; ils décideront s'il a été pris dans le cercle des attributions légales de l'autorité2; s'il est légal, régulier et exempt de vices de formes; si l'autorité qui l'a pris était compétente, son mandat et son pouvoir suffisant; s'il réunissait toutes les conditions requises pour constituer une loi ou un arrêté 3.

-

1 V. l'arrêt de la cour de cassation de Belgique, du 25 juin 1840; Bull., 1840, p. 333. - Arrêt de la cour de Bruxelles, 28 juin 1834 ; Jurisp. de Belgique, 1834, p. 270.

Art. 108 de la constitution; art. 86 et 87 de la loi communale, et art. 89 de la loi provinciale.

3 Cassation de Belgique, 15 juin 1837; 13 juillet 1838; Bull.,

Ainsi, pour expliquer ces principes généraux par quelques cas spéciaux que nous présente la jurisprudence belge:

Les tribunaux ne peuvent déclarer nulle l'interdiction qu'une députation permanente du conseil provincial avait faite au propriétaire d'un fonds d'exploiter une mine, sous prétexte que cette mine est de nature calaminaire et non ferrifère, l'essence de la substance exploitée n'ayant pas encore été préalablement vérifiée, et le propriétaire ayant fait la déclaration pour être autorisé d'exploiter. La décision de la députation portait atteinte au droit de propriété 1.

Les tribunaux peuvent déclarer insuffisante l'autorisation nécessaire aux provinces, aux communes, aux établissements publics, pour plaider, lorsque, par exemple, le bourgmestre, sans autorisation préalable du conseil communal et de la députation permanente, prenait l'initiative d'un procès, et vice versa, si cette dernière autorité ou le ministre voulait soutenir un procès sans le consentement des administrations intéressées.

Ils jugent la question de savoir si tel arrêté, telle ordonnance est obligatoire, d'accord avec la loi; par exemple, si une ordonnance du collége des bourgmestre et échevins portant une certaine défense ne doit pas être rendue avec le concours du conseil communal ;

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si tel règlement local apportant des changements au mode de jouissance de biens communaux n'a pas

été

1838, p. 55g; 23 août 1838; Bull., 1838, p. 388.—Cour de Liége, 23 déc. 1823; Jur. du XIXe siècle, 1826, III, 249; Recueil de Liége, 1824, IX, 183; 3 juillet 1839; Jur. de Belg., 1839, 1, 405.- Cour de Bruxelles, 28 juin 1834; Jur. de Belgique, 1834, 270. Cour de Gand, 18 mars 1834; Jur. de Belg, 1839, 1, 405. 1 Arrêt de Cassation de Belgique, 15 juin 1837.

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soumis à l'approbation du roi'; si le règlement par lequel le conseil communal, en dérogeant à la loi organique sur la garde civique, commine des peines au sujet du service de la garde civique, est légal 2; — si les plans généraux d'alignement qu'on invoque ont été adoptés conformément à l'art. 76 de la loi communale; si telle loi ou tel arrêté qui dispose des biens appartenant à une commune sans le consentement du conseil communal n'est pas contraire aux art. 31 et 108 de la constitude la légalité de l'acte du conseil communal qui fait enlever une barrière qu'un particulier avait placée sur un chemin qu'il prétend lui appartenir 3;

tion;

de la légalité d'une ordonnance qui, vu la vétusté d'une écluse sur une rivière pouvant en entraîner la chute et compromettre la navigation, en avait ordonné la démolition, tandis que le demandeur réclamait le rétablissement de l'écluse dans son état primitif comme l'ayant possédée paisiblement depuis un an au moins *; - de la légalité d'un acte de l'autorité locale en vertu duquel un commissaire-voyer avait fait faire à un fossé des excavations qui nuisaient aux arbres plantés dans le jardin du voisin "; - de la légalité d'un acte de l'autorité locale par lequel elle rétablit un pont pour le pas

1 Cass. de Belg., 3 mai 1838; Bull., 1838, 406.

2 Cass. de Belg., 27 déc. 1831; Jur. de Belg., 1832, 141; Jur. du XIXe siècle, 1832, 49.

3 V. les arrêtés de conflit du 9 octobre 1824.

V. l'arrêté de conflit du 26 oct. 1828. V. aussi l'arrêté de conflit du 2 septembre 1824, relatif à une ordonnance locale, en vertu de laquelle on a abattu une haie sur un chemin dont le conseil prétendit avoir l'inspection, et qui appartenait au particulier demandeur en indemnité.

SV. l'arrêté de conflit du 21 décembre 1823. C'est une question

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