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lement sur tous les faits de duel déférés à leur juridiction.

Pour terminer un dissentiment du plus fâcheux ellet, il n'y avait qu'un parti à prendre : c'était de proposer une loi spéciale contre le duel, à l'exemple de l'Amérique1, de la Russie2, des États pontificaux3, de la Suisse, de Naples; à l'exemple des pays de l'Allemagne, qui, vivant sous l'empire du droit commun germanique, auraient pu, sans grande peine, découvrir dans ce vaste arsenal législatif quelques vieux textes contre le combat singulier, et qui ont cru mieux faire en nommant, dans une nouvelle loi pénale, et pour le proscrire, un usage qui avait conservé un nom et une place dans les mœurs nationales.

Un projet de loi contre le duel, présenté au sénat de Belgique, sur la fin de l'année 1835, par le baron de Pélichy van Huerne', ne put obtenir l'assentiment de la chambre des représentants : ce n'est qu'après 5 années de discussion que les trois pouvoirs sont enfin tombés d'accord et ont adopté le projet de loi dont voici le texte 9.

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Art. 1. La provocation en duel sera punie d'un em

1 Statuts révisés de New-York, décrétés en 1828.

* Manifeste de 1787, dont les dispositions ont été reproduites au Digeste.

3 Règlement de 1832.

* Code pénal de Zurich, 1835.

"Ordonnance du 8 août 1838.

* Saxe, Wurtemberg, Hanovre, Hesse et Bade.

1. la Revue, t. III, p. 401.

* Id., p. 737 et 744; t. IV, p. 384 et 561; t. VII, p. 590 et 734.

9 Sanctionné par le roi, le 8 janvier 1840 (Moniteur belge du to du même mois).

prisonnement d'un à trois mois, et d'une amende de 5 à 500 fr.

» Art. 2. Seront punis de la même peine ceux qui décrient publiquement ou injurient une personne pour avoir refusé un duel.

» Art. 3. Celui qui a excité au duel, ou celui qui, par une injure quelconque, a donné lieu à la provocation, sera puni d'un emprisonnement d'un mois à un an, d'une amende de 100 fr. à 1,000 fr.

et

» Art. 4. Celui qui, dans un duel, aura fait usage de ses armes contre son adversaire, sans qu'il soit résulté du combat ni homicide ni blessure, sera puni d'un emprisonnement de deux mois à dix-huit mois, et d'une amende de 200 à 1,500 fr.

» Celui qui n'aura pas fait usage de ses armes contre son adversaire, sera puni des peines comminées par l'article 1er.

» Art. 5. Lorsque, dans un duel, l'un des combattants aura donné la mort à son adversaire, le coupable sera puni d'un emprisonnement d'un à cinq ans, et d'une amende de 1,000 à 10,000 fr.

Lorsqu'il sera résulté du duel des blessures qui auront causé une maladie ou incapacité de travail personnel pendant plus de vingt jours, le coupable sera puni d'un emprisonnement de six mois à trois ans, et d'une amende de 500 à 3,000 fr.

» Art. 6. Si les blessures résultant du duel n'ont occasionné aucune maladie ni incapacité de travail personnel de l'espèce mentionnée en l'article précédent, le coupable sera puni d'un emprisonnement de trois mois à deux et d'une amende de 400 à 2,000 fr.

ans,

» Le combattant qui a été blessé sera passible des peines prononcées par le § 1er ou le § 2 de l'art. 4, selon S

qu'il aura ou n'aura pas fait usage de ses armes contre son adversaire.

» Art. 7. Sont réputés complices des délits commis en duel ceux qui, par dons, promesses, menaces, abus d'autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, ont provoqué à les commettre.

Les complices seront punis de la même peine que les auteurs.

» Art. 8. Dans les cas prévus par les art. 5 et 6, les témoins, lorsqu'ils ne seront pas complices, seront punis d'un emprisonnement d'un mois à un an, et d'une amende de 100 fr. à 1,000 fr.

› Árt. 9. Il n'est pas dérogé aux lois qui règlent la compétence des tribunaux militaires. Cependant le militaire qui se sera battu en duel avec un individu non militaire, sera soumis à la juridiction ordinaire, alors même que ce dernier ne serait pas poursuivi.

» Art. 10. En cas d'arrestation, la liberté provisoire sous caution pourra être refusée.

» Art. 11. Dans tous les cas prévus par le § 1er de l'article 4, l'article 5 et le § 1o de l'article 6, lorsque la peine d'emprisonnement sera prononcée, les tribunaux pourront priver les auteurs et complices des délits commis en duel, de tous les emplois civils ou militaires, et du droit de porter des décorations; ils pourront aussi leur interdire l'exercice de tout ou partie des droits mentionnés à l'art. 42 du Code pénal, le tout pendant un temps qui ne pourra excéder dix années. Ce temps courra du jour où le coupable aura subi sa peine.

» Art. 12. Les coupables condamnés en exécution de la présente loi, seront, en cas de nouveaux délits de même nature, condamnés au maximum de la peine : elle pourra même être portée au double.

» Art. 13. La loi du 30 décembre 1830 sur les crimes et délits commis à l'étranger, est rendue commune aux faits prévus par le § 1or de l'art. 4, l'art. 5 et le § 1o de l'art. 6 de la présente loi.

» L'art. 1er de la loi du 22 septembre 1835 est applicable à l'étranger qui aurait eu un duel avec un Belge en pays étranger.

» Art. 14. Dans les cas prévus par les art. 1, 2, 3 et le § 2 de l'art. 4, s'il existe des circonstances atténuantes, les tribunaux sont autorisés à réduire l'emprisonnement à 6 jours et l'amende à 16 fr. Ils pourront même séparément prononcer l'une ou l'autre de ces peines, dans le cas de la seconde disposition de l'art. 4. »

La promulgation d'une loi spéciale contre le duel est en elle-même un fait important; car elle démontre que le législateur, tout en laissant au passé ce qu'il n'est au pouvoir de personne de lui disputer, a voulu stipuler pour l'avenir et faire le premier pas vers un état de choses où il sera permis d'espérer que le duel disparaîtra entièrement. L'économie de la loi belge est assez simple; mais nous craignons qu'elle ne présente de grandes difficultés d'exécution. Les principes n'y sont pas nettement posés, et quelques déductions semblent arbitraires. La loi belge ne prononce contre le duel que des peines correctionnelles ; et ces peines, depuis le minimum de 1 mois jusqu'au maximum de 5 ans de prison et de 5 à 10,000 fr. d'amende, suivent une progression ascendante, selon que le duel est resté à l'état de simple provocation, ou a été suivi d'un combat sans résultats, ou a occasionné des blessures ou la mort1.

1 On a déjà élevé, en Belgique, la question de savoir si la condamnation purement correctionnelle, prononcée par la nouvelle

Les juges ont, comme on le voit, une grande latitude pour arbitrer les peines suivant que l'exigent les circonstances particulières du fait. On doit regretter cependant que le législateur ait autorisé à prononcer l'interdiction des droits mentionnés en l'art. 42 du Code pénal, nonseulement pour les cas où il y aura homicide ou blessures,

loi, contre le fait d'homicide commis en duel, peut entraîner l'indignité de succéder, prévue par l'art. 727 du Code civil. L'affirmative ne nous paraît pas douteuse. Sous l'empire de l'ancienne jurisprudence, Merlin (Répert., ° indignité) avait soutenu que l'excuse même de la légitime défense ne relevait pas le meurtrier de l'indignité de succéder. Mais cette doctrine sévère nous semble basée sur l'absence d'une distinction indispensable entre les faits qui sont le résultat d'une volonté coupable, et ceux produits par une absolue nécessité. Chabot a soutenu avec plus de raison que, dans le cas où la loi pénale elle-même déclare qu'il n'y a ni crime ni délit, il y aurait surabondance à vouloir appliquer la disposition pénale

de l'art. 727.

Mais Chabot est allé plus loin: il a exempté de l'indignité celui qui, n'ayant commis l'homicide que provoqué par des coups ou violences graves, est déclaré excusable par l'art. 321 du Code pénal. Les motifs donnés par ce savant commentateur, sont : que le meurtrier n'a pas eu une volonté libre et entière de tuer; qu'il a été poussé ou même forcé au fait de l'homicide, par un crime qu'a commis ou voulait commettre contre lui la personne homicidée.

Mais cette hypothèse, la plus favorable de toutes, ne saurait évidemment s'appliquer aux faits de duel. Celui qui tue son adversaire en combat singulier, loin d'obéir à une nécessité absolue, cède à une volonté conçue et véritablement préméditée. Quelque grave que soit l'injure qui a motivé le duel, il était toujours possible à l'un et à l'autre combattant de s'abstenir. La crainte d'encourir l'indignité de succéder peut exercer une influence salutaire, et prévenir un combat singulier, tandis qu'il serait souverainement immoral que la loi offrît à une personne qui se croit offensée, tout à la fois une chance de se venger de son adversaire, et d'hériter promptement de lui en le tuant.

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