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on conclut qu'en punissant le duel, il est légal et rationnel de punir les individus qu'on désigne sous la dénomination de témoins du duel.

Qu'un pareil raisonnement soit fait sous l'empire du Code pénal, et par ceux qui le soutiennent applicable au duel, cela se conçoit à la rigueur : pourtant il est douteux que le jury admît, comme parfaitement rationnelle, une assimilation contredite par les faits, et que repousse une logique équitable. Mais ce qui serait conséquent dans l'opinion des partisans de la jurisprudence du 15 décembre 1837, cesse de l'être pour ceux qui, admettant que le duel constitue un fait exceptionnel, demandent, pour le réprimer, une loi spéciale. S'ils veulent bien convenir que le duel est, non pas un assassinat passible de la peine de mort, mais « un mode barbare, injuste et inégal de vider les querelles privées ',» ils devront reconnaître que si un citoyen intervient pour rendre le combat moins barbare, moins injuste, moins inégal, il serait, non pas légal et rationnel, mais absurde et imprudent de le frapper d'une peine quelconque. Nous ne méconnaissons aucune des raisons qui ont déterminé la conviction de M. Mongalvy, et nous regrettons qu'après avoir habilement combattu la doctrine de la cour de cassation, il ait, tout en formulant le vœu d'une loi sur le duel, émis un principe qui vicierait profondément cette loi et lui ôterait une partie de son efficacité. « C'est une erreur, » dit le savant criminaliste Mittermaier, « de croire qu'une peine sévère portée contre les témoins aura pour effet d'empêcher toute personne de se charger de cette mission : on trouvera des témoins moins énergiques, moins in

1. la Revue, t. IV, p. 766.

telligents, incapables d'arranger l'affaire; ou bien, les duels auront lieu sans témoins, ce qui est encore plus dangereux. Le législateur doit avoir égard à l'état des choses tel qu'il existe. »

Sans doute, on peut objecter que, s'il n'y a pas de témoins, ce sera un assassinat véritable, et qu'alors l'application de la loi commune ne souffrira aucune controverse. Cela est vrai en logique rigoureuse. Mais il est vrai aussi que dans les circonstances graves, et où, vu l'insuffisance des lois sur les injures, le duel paraît un remède nécessaire, on se battra sans témoins, plutôt que de renoncer à se battre. Alors, la logique de M. Treilhard aura une satisfaction plus complète encore que ce législateur ne semblait le demander quand il s'écriait, en parlant du duel, « qu'on ne lui avait pas fait l'honneur de le nommer dans le Code pénal. » Sans relever ici ce qu'il y a de peu sérieux dans ces paroles, nous dirons que nous ne voyons pas qu'il y ait grand profit pour la morale, ni grand progrès pour la civilisation, à ce qu'un duel ordinaire soit transformé en assassinat.

La loi belge a donc sagement fait et pourvu à tous les cas en établissant une distinction entre les complices et les témoins. Mais, par une anomalie singulière, le législateur, après avoir posé une règle, s'est arrêté, n'osant point en tirer de conséquence. Il a commencé par qualifier de complicité et par punir comme telle tout acte qui semble dicté, même indirectement, par l'intention de nuire; c'est justice: mais, arrivant ensuite aux témoins qui, d'après sa propre définition, ne sont pas complices; qui, selon l'expression de M. Mittermaier 1, contribuent à neutraliser le combat, à préve

1 V. la Revue, t. III, p. 413.

nir de plus grands maux, le législateur belge les frappe d'une pénalité de hasard, pénalité qui ne peut avoir de but ni trouver de justification. S'il était possible de soutenir que les témoins d'un duel méritent un châtiment, la seule peine à leur infliger serait celle de l'auteur du duel lui-même ; car la culpabilité du témoin ne peut être autre, ni d'une nature différente, ni d'un autre degré : elle est la même, ou elle n'est point. La doctrine de M. Mongalvy, que nous combattions tantôt comme inique, et qui punit le témoin d'une peine égale à celle du duelliste, a du moins le mérite d'être rigoureusement logique : l'art. 8 de la loi belge ne l'est pas. Ou l'intervention des témoins, leur concours à un acte criminel est un crime, et alors punissez-les comme criminels; ou cette intervention est utile, bienfaisante dans beaucoup de cas, destinée à neutraliser les effets du crime, et alors exemptez-les de tout châtiment. Tout moyen

terme est un non-sens.

dire

Ce n'est qu'avec l'action combinée des lois et des bons citoyens qu'on parviendra à rendre le duel inutile, et, successivement, à l'extirper. Quoi qu'on ait pu ou écrire de véhément contre le duel, les nécessités du temps parlent plus haut que la voix de quelques hommes. C'est pour cela que M. Mittermaier disait naguère avec tant de raison : « L'opinion publique sur le duel se lie à d'anciens préjugés; les idées des hommes ne sauraient être réformées à coups de canon ni extirpées à force de sévérité dans les lois pénales 1. » Ces paroles, d'une sagesse véritablement pratique, devraient être méditées par tous ceux qui ont missión de faire des lois.

C. WEST.

1. la Revue, t. III, p. 415.

XXV. De l'obligation naturelle selon le droit romain et le Code civil français1.

Par M. Saturnin VIDAL, docteur en droit.

Nous avons à examiner comment l'obligation naturelle a été envisagée par les jurisconsultes romains et par les rédacteurs de notre Code, à déterminer quels sont les caractères auxquels on la peut reconnaître, et quels sont les effets qui lui ont été attribués dans chacune de ces législations. Nous ne pouvons nous engager dans cette recherche avant d'en avoir nettement fixé l'objet.

Le devoir est la règle à laquelle l'homme doit sans cesse vouloir conformer ses actions. S'il est vrai qu'il mérite, en s'approchant le plus possible de ce type de perfection, il n'en est ainsi qu'à raison même de la liberté qu'il avait d'agir autrement. Sans doute, les bonnes actions ne resteront pas sans récompense et les mauvaises sans châtiment; la loi intérieure et souveraine qui prescrit les premières et défend les secondes, cette loi aura sa sanction; et, sous ce rapport, la loi morale fait naître dos obligations aussi parfaites que celles que consacrent les lois humaines. Mais la justice sociale ne peut prétendre à sanctionner tous les devoirs que notre conscience nous révèle : l'imperfection de ses moyens assigne des limites à sa puissance.

Ainsi on comprend qu'un grand nombre de préceptes moraux sont restés et ont dû rester en dehors des sanctions de la loi positive.

1 Cette dissertation a obtenu le premier prix dans le concours ouvert en 1840, à la Faculté de droit de Paris, entre les docteurs en droit et les aspirants au doctorat. (Note des directeurs de la Revue.)

On peut donc dire qu'au point de vue du droit positif, ces devoirs n'obligent pas. Le mot obligation, en effet, exclut absolument la liberté de faire ou de ne pas faire. Nul n'est obligé qui ne peut être contraint. Au reste, comme il n'est pas de puissance au monde qui puisse forcer un homme à faire ce qu'il se refuse obstinément à accomplir, il est bien entendu que les lois ne peuvent mettre au service des droits que des moyens indirects de contrainte. La force publique, venant au secours des décrets de la justice, prendra sur les biens ce qu'on se refuse à donner, protégera les faits qu'on ne veut pas souffrir, fera accomplir par d'autres et aux dépens du débiteur ceux que celui-ci refuse d'exécuter; ou plutôt la certitudede ces résultats empêchera qu'on n'ait besoin de recourir à ces extrémités. Il suffira presque toujours de l'arrêt du juge pour que le créancier reçoive satisfac

tion.

Le droit de saisir le juge de la prétention qu'on élève est donc le moyen qui se présente d'abord comme le plus propre à donner du nerf aux obligations; aussi, toute obligation civile engendre-t-elle une action. L'action sert à réclamer ce qu'on n'a pas et ce qu'on pense devoir obtenir; mais si la chose a été mise déjà entre les mains de la partie qui y prétend des droits et que celui qui a livré cette chose la répète comme ayant été indûment payée, le prétendant droit se trouve dans une position autre que celle où nous le placions tout à l'heure la preuve de son droit lui servira, non à obtenir, mais à retenir. Il se peut aussi que celui auquel on demande l'acquittement d'une obligation, ait droit d'agir reconventionnellement contre le demandeur, pour obtenirdes quantités semblables à celles dont il est lui-même débiteur. Dans cette situation, il pourra compenser jusqu'à

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