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» que les rédacteurs du Code aient eu en vue ces cas particuliers, pour en faire l'objet d'un principe aussi général que celui que nous trouvons dans la première partie de notre article 1867. »

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M. Bravard, dans son Manuel de droit commercial, p. 62, expose une opinion plus rationnelle que celle des auteurs précédents; il limite le sens de l'article 1867 «< à la simple promesse de rendre la société propriétaire, » à une époque donnée, d'une chose déterminée : la so» ciété n'est pas devenue propriétaire par le seul effet » de la chose donnée, parce qu'il a été convenu qu'elle >> ne le deviendrait que plus tard; elle n'est pas davan» tage devenue créancière actuelle de la chose, parce qu'il ne lui a été fait qu'une simple promesse de l'en » rendre ultérieurement propriétaire.

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Cette explication, la meilleure de toutes celles qui ont été essayées, est aussi celle de M. Toullier. Ce dernier auteur, en l'exposant, avait laissé échapper quelques inexactitudes que M. Duvergier1 a su relever avec cet esprit d'examen consciencieux qui le distingue, et cette rectitude de jugement dont il a déjà donné tant de preuves.

Malgré l'autorité imposante de semblables suffrages, ma raison n'est point satisfaite. L'article 1867 ne distingue pas, en effet, si l'apport a été promis sous condition ou purement et simplement, si le débiteur est propriétaire actuellement, ou s'il se propose seulement d'acquérir la propriété; s'il entend s'engager à transmettre la propriété comme dans les obligations de donner ordinaires, ou s'il veut rejeter dans l'avenir la trans

1 T. V de la continuation de Toullier, par M. Duvergier, nos 423 et suiv.

lation de propriété. Je demande la permission d'exposer une explication de l'article 1867, d'après laquelle le législateur, tout en restant conséquent avec lui-même, en ce qui concerne la matière de la société, s'occuperait du cas où le promettant est propriétaire actuellement de la chose promise, et s'engage à l'apporter à la société purement et simplement et sans condition.

Mais avant d'arriver à exprimer ma manière de voir, il est nécessaire d'examiner à fond et de réfuter une explication que je proclame la meilleure de toutes celles qui ont été données.

Les motifs de MM. Toullier et Duvergier se résument ainsi :

L'article 1867 n'avait pas besoin de retracer les principes compris aux articles 711, 1138 et 1302, et il a dû encore moins avoir pour but d'y déroger, d'autant plus que le législateur, ici comme partout ailleurs, a suivi comme un enfant à la lisière l'ancienne doctrine, la doctrine de Pothier, sauf le changement résultant de la transmission de la propriété par le seul consentement; or, Pothier enseigne, au contrat de société, n° 110, que le débiteur d'un corps certain est libéré par la perte de la chose. L'article 1867 fait donc allusion à une obligation tout autre, à celle dans laquelle l'associé débiteur aurait entendu formellement rejeter dans l'avenir l'effet de sa promesse, la transmission de la propriété.

En effet, dit M. Toullier, dans le premier projet du Code, l'article 1867 était conçu tout autrement; il portait ces mots : « s'il a été contracté société, pour y » mettre le prix de la vente à faire en commun de plu» sieurs choses appartenant à chaque associé, et que la » chose de l'un d'eux périsse, la société est éteinte. » Il était donc évidemment tiré de la L. 58 pr. D. pro socio

Si ensuite cette rédaction a été modifiée en conseil d'état, le 14 nivôse an XII, on lisait dans la modification : « La chose que l'un des associés devait mettre dans la société, et qui a péri, opère la dissolution de la société, » par rapport à tous les associés. »

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L'expression devait indique toujours un cas exceptionnel, celui où l'associé entend rejeter dans l'avenir la transmission de la propriété. Or, la rédaction actuelle n'est que la reproduction, sous une autre forme, de la rédaction précédente.

Pour attaquer cette opinion, il faut donc prouver : que l'article 1867, tel qu'il est aujourd'hui, n'est pas tiré de la loi 58 pr. D. pro socio, et n'en est pas même une analogie; 2° qu'il ne peut être restreint aux cas exceptionnels de promesses pour l'avenir.

1° Notre article 1867 n'est pas tiré, même par analogie, de la loi 58 pr. D. pro socio.

Voici les hypothèses posées par Ulpien:

Si Titius, ayant trois chevaux, et Seius un cheval, forment une société dans le but de vendre ces quatre chevaux ensemble pour un attelage, et ensuite en partager le prix de manière à ce que Seius en ait le quart, la mort du cheval de Seius avant la vente fait cesser la société (c'est-à-dire les obligations résultant du contrat), et Seius n'aura pas droit au quart du prix de la vente des trois chevaux de Titius. Mais si Titius et Seius avaient eu l'intention de se communiquer entre eux la propriété des quatre chevaux, et avaient effectué cette communication, la mort du cheval de Seius, survenue depuis, ne ferait pas cesser la société.

Quant à la première hypothèse, je répondrai avec M. Duvergier (t. V, no 46 et 423), que « rien n'est mis » en commun, ni les chevaux, ni leur jouissance, ni leur

» usage; il n'y a point de copropriété entre les parties Cet exemple, choisi par M. Toullier, n'est pas satis⚫ faisant, car la combinaison qu'il retrace ne constitue » pas une société. »

De là, ne faut-il pas conclure que c'est précisément par le motif que la première rédaction était tirée de cet exemple inadmissible, qu'on l'a entièrement changée ? Aussi le tribunal de cassation voulait-il que la rédaction primitive de l'art. 1867 fit place à cette autre : « S'il a » été contracté société pour l'exploitation d'une usine, > et que cette usine périsse, la société est éteinte. »> Au lieu de l'usine, une expression plus générale a été employée par le conseil d'état ; puis enfin est venu notre article tel qu'il est. Mais évidemment il n'y a plus rien qui ait trait à la première hypothèse de la loi 58.

Si ce n'est pas la première hypothèse de la loi 58 qui a suggéré l'article, c'est encore moins la seconde, du moins dans le système de M. Toullier. En effet, une telle convention, sous notre législation, opérerait immédiatement la copropriété des quatre chevaux. Si Ulpien exige ici qu'il y ait, non-seulement obligation de mettre en commun, mais encore réalisation de la communication, c'est parce que, chez les Romains, il fallait autre chose que l'obligation pour transférer la propriété ; ce n'était pas parce que les parties rejetaient dans l'avenir la réalisation de leurs promesses. Si l'on pouvait supposer que le législateur a puisé l'art. 1867 dans cette seconde hypothèse de la loi 58, l'induction serait diamétralement opposée à l'opinion de M. Duvergier et entièrement favorable à la mienne.

S'il est vrai de dire que les rédacteurs du premier projet de l'art. 1867 avaient eu en vue la première hypothèse de la loi 58, et que plus tard cet article a subi les mo

difications qui ont amené la rédaction actuelle, c'est précisément parce qu'on avait reconnu l'erreur commise, et parce qu'alors on a donné à l'article une portée générale pour tous les cas où la perte de la chose promise est survenue avant la réalisation de l'apport.

Cette vérité deviendra, je crois, encore plus palpable lorsque j'aurai démontré :

2o Que l'article 1867 ne peut être restreint aux cas exceptionnels de translation de propriété dans l'avenir. D'abord l'article lui-même, dans ses termes, n'annonce rien d'exceptionnel. Quand on lit, dans le second projet, ces expressions : « la chose que l'un des associés » devait mettre dans la société... » on ne voit pas que le législateur ait eu l'intention de distinguer s'il devait mettre dans l'avenir ou immédiatement.

Dans le rapport fait par M. Boutteville au tribunat, le 11 ventôse an XII, on trouve, sur l'article 1867 : << Mais si c'est la propriété même de la chose qui a été » ou dû être mise en commun, on sent combien il im» porte de distinguer si la chose a déjà ou n'a pas encore » été apportée à la société lorsqu'elle vient à périr.

On voit ici que la pensée du rapporteur a été de signaler seulement la différence qui existe entre le cas où c'est la jouissance de la chose qui a été ou dû être apportée à la société, et le cas où c'est la propriété même.

On voit, en outre, que le rapporteur ne voulait distinguer que le cas où l'apport avait déjà été fait, du cas où la chose promise n'avait pas encore été apportée ; et il a fait cette distinction pour l'hypothèse où la chose a déjà été mise en commun, comme pour l'hypothèse où elle a dû être communiquée. Donc il entendait l'article pour la mise en commun parfaite avant l'apport,

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