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et non pas seulement pour la mise en commun à faire. A plus forte raison n'a-t-il pas entendu n'appliquer l'article que pour le cas d'une mise en commun dont l'effet ne devrait être produit que dans l'avenir.

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Enfin, dans le premier projet de Cambacérès, l'article 11 était ainsi conçu : « Chaque associé a contre son associé action 1o pour lui faire apporter à la masse ce qu'il a promis d'y apporter... » Il est clair, 1o que Cambacérès distinguait bien la promesse d'apporter de l'apport lui-même; et 2° que par ces mots qu'il a promis, il n'entendait pas une promesse à réaliser dans l'avenir, puisque, du moment de la promesse, il y a action immédiate pour forcer à l'apport.

D'ailleurs, on peut concevoir jusqu'à un certain point le système de M. Toullier, en admettant comme lui que la promesse de vente ne transmet pas actuellement la propriété; car la promesse de mettre en société un jour, est au fond une promesse de vente. En effet, dans ce système, la promesse d'apporter un jour en société la propriété, serait une promesse pure et simple parfaite par le seul consentement des parties, comme la promesse de vente; il serait vrai de dire, le contrat ayant eu, dès le principe, sa perfection, que la perte de la chose promise arrivée, par cas fortuit, avant l'apport, avant l'exécution, éteint les obligations, éteint le contrat de société. Mais la position est bien plus difficile à défendre pour M. Duvergier qui pense, du reste avec raison, que la promesse de vente transporte actuellement la propriété.

Voici, en effet, comme il me semble qu'on pourrait argumenter contre M. Duvergier :

Vous ne pouvez soutenir votre système qu'en prétendant la que promesse de mettre un jour une chose en

société est une promesse imparfaite; car si la promesse de vente vaut vente, transfère actuellement la propriété, si une telle convention est parfaite par le seul consentement des parties, vous devez admettre que la promesse de vente dans laquelle le vendeur se réserve de ne transmettre la propriété que dans l'avenir, est une promesse imparfaite, que par conséquent l'obligation de n'apporter une chose en société que pour l'avenir est une obligation imparfaite, en un mot conditionnelle. Nous verrons plus loin le résultat de cette thèse; mais avant d'y arriver, il faut la développer.

D'après M. Toullier', et d'après tous les auteurs, chaque fois qu'on peut dire d'une obligation: res incidit in casum à quo incipere non potuit, le contrat est censé n'avoir jamais existé; aucune des parties contractantes n'est obligée envers l'autre. Le contrat ayant été imparfait dès l'origine, la perte de la chose due par l'une des parties éteint non-seulement son obligation, mais encore l'obligation de l'autre ou des autres parties. La perte du corps certain, qui était l'objet, empêche l'obligation de naître pour tous; car ce qui manque à la perfection ne peut plus exister.

Ce qui revient à dire que quand le contrat n'est pas parfait, l'obligation de chaque partie est contractée sous une condition suspensive. Les articles 1585, 1586 et 1587 du Code civil mettent cette vérité hors de doute.

La promesse d'apporter dans l'avenir la propriété d'une chose en société, rentre évidemment dans cette catégorie. M. Duvergier dit positivement, à la page 519 de son tome V, que, dans l'hypothèse qu'il donne pour

1 T. VII, p. 446-455.

l'explication de l'art. 1867: « Le contrat n'est pas par» fait, qu'il ne le sera qu'au jour fixé par la convention » pour la translation de propriété. >> Donc une telle promesse n'est que conditionnelle.

Au reste, une semblable promesse n'est certes pas pure et simple; elle n'est pas à terme, puisque la propriété de la chose promise n'est pas transférée actuellement: si elle n'est ni pure ni simple, ni à terme, il faut bien qu'elle soit conditionnelle.

Or, je crois pouvoir démontrer que l'article 1867 ne peut s'appliquer à une promesse conditionnelle d'apporter un objet dans la société.

En effet, l'article 1867 se trouve sous le chapitre des diverses manières d'éteindre les obligations; la perte de la chose promise avant l'apport éteint la société, c'està-dire les obligations de tous les associés. Or, la perte d'une chose promise sous condition, arrivée avant l'événement de la condition, n'éteint pas une obligation qui n'a jamais existé, mais rend son existence impossible faute d'objet. Donc, l'article 1867 ne s'entend pas d'une promesse conditionnelle; donc il ne s'entend pas promesse d'apporter un corps certain dont la réalisation est rejetée dans l'avenir.

d'une

Cependant, dit M. Toullier, si vous appliquez l'article 1867 à la promesse pure et simple d'apporter un corps certain, vous vous trouvez en opposition avec les articles 711, 1138 et 1302; et comment supposer que le législateur se soit écarté ici de la doctrine de Pothier, qu'il suit partout comme un enfant à la lisière?

C'est précisément là qu'est, à mon avis, l'erreur de M. Toullier, et c'est dans la réfutation de ce que je crois être une erreur, que se trouvera le développement de mon opinion.

M. Toullier cite le n° 110 du traité du contrat de société de Pothier, dans lequel cet auteur enseigne que si les corps certains et déterminés qu'un associé s'est obligé d'apporter à la société pour sa mise, périssent sans sa faute, ou avant qu'il ait été mis en demeure de les apporter, il est quitte de son obligation, de même que s'il les avait apportés.

Ce principe est incontestable, et les rédacteurs du Code civil n'ont pas entendu s'en écarter dans l'espèce. Mais la question est de savoir si ces mêmes rédacteurs ne se sont pas écartés de la doctrine de Pothier, en ce qui concerne le contrat de société, sur les principes généraux relatifs à la mise en demeure.

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Au no 116 ib., Pothier dit que : « lorsque la chose qu'un associé a promis d'apporter en société est une >> somme d'argent, l'associé en doit les intérêts à la so» ciété, du jour qu'il a été mis en demeure par ses as» sociés de l'y apporter, de même que tout autre débi

»> teur. »

Or, les rédacteurs du Code civil ont écrit, article 1846, une règle tout à fait contraire à la doctrine précédente de Pothier, savoir: « l'associé qui devait ap

>>

porter une somme dans la société, et qui ne l'a point >> fait, devient, de plein droit et sans demande, débi» teur des intérêts de cette somme. »

Ici ils n'ont donc pas suivi Pothier comme des enfants à la lisière. Pourquoi s'en sont-ils écartés ? C'est parce qu'ils ont voulu donner une extension complète à cette idée qu'un associé doit toujours agir dans l'intérêt de la société, que chacun des associés est chargé de l'administration, qu'il est chargé de se demander à lui-même l'exécution de ses obligations, à semetipso exigere de

buit.

Si les intérêts courent de plein droit et sans mise en demeure contre l'associé par cela seul qu'il doit une somme d'argent, pourquoi ne serait-il pas en demeure de plein droit, par cela seul qu'il doit un corps certain? Il y a même motif que pour la dette d'une somme d'argent, on doit même l'admettre à fortiori; car le législateur, pour tout débiteur d'une somme d'argent, autre qu'un associé, exige une demande en justice pour faire courir les intérêts d'une somme due, et il se contente d'une sommation pour la mise en demeure du débiteur d'un corps certain, qui n'est pas associé.

Or, d'après l'article 1302, in fine, le débiteur d'un corps certain court les risques de la chose due, du moment qu'il est en demeure; donc l'associé court les risques de l'objet qu'il a promis d'apporter, du moment qu'il l'a promis. Il n'est donc pas étonnant que la société soit dissoute par la perte de l'objet promis survenue depuis la promesse et avant l'apport.

Ce n'est point par hasard que cette dérogation importante aux principes communs s'est introduite dans le titre de la société le troisième projet de Cambacérès, article 924, notre article 1846, portait encore, comme Pothier: « l'associé qui a promis de mettre une somme » dans la société, en doit les intérêts du jour qu'il a été » constitué en demeure. » Cette rédaction a été changée ensuite, et remplacée, dans le premier projet de la commission, par celui-ci : « l'associé qui a promis de mettre > une somme dans la société, en doit les intérêts du jour

D

la

» où il s'est obligé de la fournir. » Dans ce même projet de la commission, l'article 1867 ne parlait alors que de promesse de mettre en commun le prix de la vente de plusieurs choses. On donna plus tard un sens plus général à ce dernier article, pour compléter la

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