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dérogation de l'article 1846 et mettre le tout en har

monie.

D'après ce qui précède, voici quel serait mon sys

tème :

Quoique la maxime res perit domino soit fausse en droit romain, quoique le seul principe qui ait existé à cet égard soit : « debitor rei certæ ejus interitu libera» tur, » elle est vraie en droit français. Les législateurs ont fait confusion; mais, en fait, ils l'ont admise : c'est avec regret qu'on est forcé de le reconnaître. Ainsi, lorsque le législateur a décidé que les risques étaient pour le débiteur d'un corps certain, c'est comme s'il avait dit certain reste la prole corps que priété du débiteur. C'est ce qui a lieu dans le cas d'une obligation conditionnelle; j'ajoute que c'est ce qui a lieu dans tous les cas en matière de société. En effet, il est difficile, d'après la généralité des termes de l'article 1867, de ne pas admettre que le législateur a voulu dire que, lorsque l'associé a promis d'apporter en commun un corps certain, la société est dissoute, faute d'objet, lorsque ce corps certain vient à périr avant la translation de propriété, et que cette propriété n'est apportée à la société que par la tradition réelle. Cela est sans difficulté lorsque, ainsi que le dit M. Duvergier, la translation de propriété est rejetée dans l'avenir par une clause formelle. A mon avis, cette clause est sous-entendue dans l'obligation conditionnelle, et même dans l'obligation à terme. Je vais plus loin, et je pense que, si je promets de mettre en commun, à Paris, mon cheval qui est à Versailles, cette promesse contenant en elle-même un terme, par suite du principe énoncé dans le § 27 du titre 19 du livre III des Institutes de Justinien, si le cheval vient à périr

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par cas fortuit, avant que j'aie pu le livrer à Paris, la société est dissoute faute d'objet. Le législateur a donc cru, pour ces cas, être dispensé de dire, dans l'article 1867, qu'il fallait une tradition réelle pour transférer la propriété.

:

Il reste un cas à expliquer c'est celui de la promesse pure et simple d'un corps certain qui vient à périr par cas fortuit depuis que le débiteur a pu en faire la tradition réelle, et c'est ici que mon système vient en aide pour expliquer comment le législateur a pu être amené à penser qu'il n'avait pas besoin de dire, dans l'article 1867, qu'il entendait déroger à ce qu'il avait posé en principe dans les articles 711, 1138 et

1302.

Ayant admis, dans l'article 1846, une dérogation à la doctrine de Pothier, en faisant courir sans sommation les intérêts d'une somme promise par un associé, parce qu'il le suppose en demeure de plein droit, le législateur a dû nécessairement être conduit à cette idée que le débiteur d'un corps certain est aussi en demeure de plein droit, du moment de la promesse; que par conséquent, il court les risques de la chose promise jusqu'à la tradition réelle; de là à la conclusion que les parties ont entendu qu'il resterait propriétaire jusqu'à la réalisation, il n'y a certes pas loin; et c'est pour cela sans doute qu'il a pensé que si la chose périssait avant la tradition, la société devenait sans objet, et qu'il n'était pas nécessaire qu'il exprimât cette pensée formelle.

Ainsi, à mon avis, il n'y aurait pas à distinguer entre le cas où l'associé aurait rejeté dans l'avenir la translation de propriété, ou bien aurait promis à terme ou sous condition, et le cas où il aurait promis purement et simplement.

Dans tous les cas, la propriété de la chose promise ne sera apportée à la société que par la tradition. Par là, l'article 1867 reste général, comme d'ailleurs il semble l'être; et j'ajoute plutôt à l'opinion de M. Duvergier que je ne la combats1.

ÉTIENNE.

1 M. Étienne donne une explication neuve et ingénieuse de l'article 1867; mais les termes de cet article ne nous paraissent pas se concilier entièrement avec son système. Il est vrai que l'article 1846 fait courir de plein droit les intérêts de la somme d'argent qui forme l'apport de l'un des associés. De là, M. Étienne conclut qu'en principe, chaque associé est en demeure, du jour où il doit effectuer son apport, sans qu'il ait été besoin de lui faire sommation. Cette déduction pourrait être contestée; on pourrait soutenir qu'elle est trop générale et trop absolue. Mais, même en l'admettant, la doctrine de M. Étienne n'est pas à l'abri de toute controverse. En effet, après avoir établi qu'il y a mise en demeure pour chaque associé de plein droit, du jour même où l'apport a dû être fait, il ajoute que, suivant la règle consacrée par l'article 1302, l'objet formant la mise sociale est, à compter du même jour, aux risques de l'associé, et qu'ainsi il est tout naturel que, si cet objet périt avant d'avoir été effectivement apporté à la société, la société soit dissoute, puisque la perte doit tomber sur l'associé.

Ce raisonnement serait sans réplique, si l'article 1867 prévoyait seulement le cas où un associé ayant promis d'effectuer sa mise à une époque déterminée, la chose aurait péri postérieurement à cette époque. Alors il serait possible de dire : le jour fixé pour effectuer l'apport est arrivé; à compter de ce jour, l'associé est en demeure, la chose est à ses risques; si elle périt, elle périt pour son compte et non pour celui de la société ; donc la société est dissoute, puisque l'un des associés a manqué à l'engagement essentiel de fournir son apport. Mais l'article 1867 est conçu en termes généraux; il dispose sans distinction que la perte survenue avant l'ap port effectué dissout la société ; il embrasse, par conséquent, également le cas où l'associé est en demeure par l'échéance du jour fixé pour effectuer l'apport et le cas où ce jour n'est pas encore échu. Or, pour celui-ci, l'explication de M. Étienne nous semble en dé

XXX. De l'obligation naturelle selon le droit romain et le Code civil français.

Par M. Saturnin VIDAL, docteur en droit. (Suite et fin.)

SECTION 1.

DE L'OBLIGATION NATURELLE SELON LE CODE CIVIL FRANÇAIS.

Les conclusions de nos recherches sur le droit romain, sont le point de départ le plus naturel des idées qui doivent guider nos explorations sur le Code civil. Une observation qui frappe d'abord par l'antithèse qu'elle présente avec la législation que nous venons d'analyser, c'est que notre droit est un dans sa source; qu'aucun autre que celui qui l'édifie n'est appelé à le modifier. Nous ne connaissons pas un droit antique et pour ainsi dire inviolable, à côté duquel se trouve placé un magistrat qui s'arroge le pouvoir de l'accommoder, par toutes sortes de fictions et de subterfuges, aux principes d'une justice plus équitable, et aux besoins nouveaux qui se font jour à la faveur des développements de la civilisation. Chez nous, toutes les dispositions générales qui régissent les affaires humaines émanent du même législateur. Le magistrat n'a d'autre mission que de les appliquer. Il viole ses devoirs s'il trace ou suit une autre règle que celle que la loi a sanctionnée. Ainsi, que pour des raisons bonnes ou mauvaises le législateur n'attribue

faut; la solution fondée sur la mise en demeure ne peut plus, en effet, être invoquée, lorsqu'il est certain qu'il n'y a pas de mise en demeure possible.

Ces observations, qui, dans l'intérêt de la science, nous ont paru utiles, seront appréciées par nos lecteurs; nous les soumettons à M. Étienne lui-même, convaincu que comme nous il préfère au triomphe de son opinion la découverte de la vérité.

(Note des directeurs de la Revue.}

aucun effet civil à des faits qui, d'après l'équité, sembleraient devoir être plus efficaces, la sanction que le législateur ne leur donne pas, ne peut, dans nos principes constitutionnels, leur venir d'un autre que lui. Il n'est pas moins certain que si le progrès des idées l'amène à reconnaître lui-même que certaines barrières opposées à la réclamation d'un droit utile ne sont plus en harmonie avec l'état des mœurs et les besoins du temps, il décrétera ouvertement que ces barrières sont désormais abaissées.

Il ne recourra point, pour doter ces obligations de la sanction civile, à des moyens indirects tels que ceux qu'était obligé d'employer le préteur de Rome. Il n'y a point à sauver les apparences en introduisant un droit nouveau; il doit, dès lors, lui donner tous les effets propres à en assurer l'efficacité.

Ces observations sur l'organisation de nos pouvoirs, si différente de l'organisation romaine, font concevoir des doutes très-sérieux sur le point de savoir s'il peut exister dans notre droit des obligations naturelles, telles que celles que nous avons rencontrées en droit romain, obligations boiteuses que le droit civil eût laissées choir, que la main du préteur venait soutenir. On ne comprend pas comment le même législateur s'attacherait à relever d'une main ce qu'il aurait abattu de l'autre ; comment, s'il croit une obligation valable, il ne la protégerait pas directement, et, s'il la croit nulle, pourquoi il lui donnerait des effets indirects. Le doute que cette réflexion fait naître se corrobore singulièrement quand, remontant aux sources dont nous avons vu découler l'obligation naturelle en droit romain, on trouve que les principes du droit nouveau les ont toutes taries. Les pactes sont devenus des contrats, les esclaves des hommes libres;

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