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l'obligation du pupille enrichi, une obligation civile. Nous n'avons plus une puissance paternelle telle, qu'elle empêche les enfants majeurs de contracter entre eux ou avec leur père; les relations du patron et de l'affranchi ont disparu avec l'esclavage; le S. C. macédonien a cessé d'être en vigueur et n'a pas d'équivalent dans notre Code. Où donc serait l'obligation naturelle?

L'art. 1235 en prononce le nom; il en indique un effet. Cet effet, c'est la non-répétition du payement; mais l'article ajoute volontaire, et montre bien par là qu'il ne s'agit plus, dans la pensée du législateur, de l'obligation naturelle du droit romain, de la compensation dont cette obligation pourrait être la base; il n'en est nulle part question; il ne devait pas en être plus question que de l'obstacle à répéter ce qui a été payé par erreur, ces deux effets étant corrélatifs. Les art. 1965 et 1967 parlent de la dette de jeu, que plusieurs ont considérée comme une dette naturelle. Ce point de vue fût-il exact, cette espèce d'obligation ne serait point davantage l'obligation naturelle du droit romain. L'action est refusée, il est vrai; mais, pour que la répétition ne puisse avoir lieu, il faut encore que le payement soit volontaire.

Si enfin, pour arriver à la démonstration la plus irrécusable de ce point capital, nous cherchons à toutes les sources possibles d'obligation naturelle, nous nous convaincrons qu'aucune d'elles ne peut nous fournir cet élément essentiel : la faculté de réclamer par voie d'exception ce qui ne peut l'être par voie d'action. Ainsi on ne trouve certainement pas cet élément dans les conventions ou dispositions contenues dans les contrats ou actes nuls pour défaut des formes exigées par la loi ; car ces conditions de forme obligent le juge; et, de IV. 2 SERIE.

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quelque point de vue qu'il ait à les considérer, il ne peut sanctionner comme valables les actes que la loi déclare être nuls. Il en faut dire autant des contrats passés par des incapables. En consentant à valider d'une manière quelconque ces engagements, le juge contrarierait directement le but que s'est proposé le législateur qui a créé le système des incapacités. En effet, l'appréciation générale sur laquelle ce système repose a eu précisément pour objet d'empêcher l'arbitraire des appréciations du juge dans chaque cas individuel.

D'autres nullités, d'autres refus d'action sont fondés sur des présomptions légales, l'autorité de la chose jugée, le serment, la prescription, l'interposition des personnes, etc. Encore et toujours ce sont des motifs d'intérêt général, de sécurité publique qui ont fait établir ces présomptions. Elles ne peuvent être jugées par les tribunaux; mais ils doivent juger d'après elles. Si l'on me demande l'acquittement d'une dette et que je rapporte un jugement passé en force de chose jugée qui déclare que je ne suis pas débiteur, assurément le juge qui reconnaîtrait que ce jugement existe en effet, devrait s'abstenir de toute autre recherche; mais le tribunal pourrait-il davantage se livrer à cette recherche étrangère, si, au lieu de me demander spontanément le payement de cette prétendue dette, il était question de la faire entrer en compensation avec une créance dont je réclamerais moi-même l'acquittement? Évidemment non; dans les deux cas le juge serait saisi d'une question qu'il ne peut pas résoudre, du moment où il est établi qu'il y a chose jugée; de même s'il y avait eu serment prêté, prescription acquise..... On arriverait avec la même évidence à la même conclusion, si, au lieu de se défendre contre une compensation, le prétendu débiteur

avait à se défendre contre l'exception tirée de sa prétendue dette et opposée à la demande en répétition d'un payement qu'il aurait fait par erreur. Nous pouvons donc considérer comme surabondamment établi que si, dans notre droit, il peut être question d'obligation naturelle, ce n'est certes point de celle dont traitaient les jurisconsultes romains. Il ne faudrait pas croire que les rédacteurs du Code qui ont conservé le mot, aient eu la pensée de cette assimilation.

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M. Bigot Préameneu, dans son exposé de motifs, repousse expressément cette confusion. Après s'être expliqué sur ce point, il continue : « On ne regarde comme obligations purement naturelles que celles qui, par » des motifs particuliers, sont considérées comme nulles » par la loi civile. Telles sont les obligations dont la » cause est trop déplorable pour que l'action soit admise, » et les obligations qui ont été formées par des personnes > auxquelles la loi ne permet pas de contracter. Telles » sont même les obligations civiles, lorsque l'autorité » de la chose jugée, le serment décisoire, la prescrip» tion, ou toute autre exception péremptoire rendrait » sans effet l'action du créancier. Le débiteur qui a la capacité pour payer, et qui, au lieu d'opposer ce moyen, remplit son engagement, ne peut pas dire ensuite qu'il ait fait un payement sans cause. Ce payement » est une renonciation de fait aux exceptions, sans lesquelles l'action eût été admise..... renonciation qui » forme un lien civil que le débiteur ne doit plus être » le maître de rompre. »

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Et enfin, comme pour mettre le dernier sceau à notre démonstration, l'orateur continue: «< L'obligation ne » devenant un lien civil que par induction tirée du paye"ment, elle ne peut avoir d'autre effet que d'empêcher

» la répétition; mais elle ne peut faire la matière d'une » compensation, ni avoir les autres effets que lui donnait

» la loi romaine. »

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Ce point est donc définitivement acquis à notre discussion, savoir que l'obligation naturelle dont parle le Code civil ne peut avoir d'autre effet que d'empêcher la répétition du payement volontaire qui en a été fait. Et cet effet lui-même n'est produit que par la supposition d'une renonciation que ce payement autorise. Mais, s'il en est ainsi, on peut se demander, avec quelque fondement sans doute, si ce qu'on appelle une obligation naturelle peut, à vrai dire, être considéré comme une obligation.

Ici s'appliquent les notions que nous avons exposées dans le sens propre de ce terme de droit. Si l'on veut conserver les mots, toujours devrait-on reconnaître que c'est là une obligation qui n'oblige à rien et qui n'a aucune espèce d'efficacité civile avant l'intervention d'un consentement nouveau.

Il y a plus, le payement volontaire n'est pas sujet à répétition. - Mais est-ce que ce fait est particulier au payement fait en vertu d'une obligation naturelle? Si je paye volontairement ce que je sais ne pas devoir ni naturellement ni civilement, est-ce que je serai ensuite admis à répéter? Ne me répondrait-on pas, avec toute raison, qu'en payant ce que je savais ne pas devoir, je n'ai pu avoir d'autres intentions que de faire une libéralité? Cela n'était point douteux en droit romain et ne saurait l'être davantage chez nous. S'il en est ainsi, l'efficacité de l'obligation naturelle, déjà si amoindrie par les termes mêmes de l'art. 1235, semble devoir se réduire à rien. Cependant cette efficacité ne nous paraît point être entièrement anéantie. Celui qui a reçu ce

payement se trouvera, sous deux rapports, placé dans une situation plus favorable que s'il avait reçu un payement qui ne lui eût été dû en aucune manière. D'abord, sous le rapport de la preuve, pour triompher dans sa prétention, le demandeur en répétition devra prouver deux choses: 1° qu'il ne devait pas; ce qui sera suffisamment établi par l'allégation non contestée qu'il n'était tenu d'aucune obligation civile; 2o qu'il a payé par erreur; car l'obligation naturelle dont il était tenu étant une juste cause de payement, on présumera contre lui qu'il a réellement voulu s'acquitter. Ce sera donc à lui d'établir que telle n'était point son intention, et de démontrer qu'une erreur a motivé cette exécution.

Je crois bien que cette différence de position signalée entre les deux défendeurs est surtout un hommage rendu aux principes, et qu'en fait elle restera le plus souvent sans avantages pratiques; car, pour en faire l'application, il faut supposer que l'obligation naturelle est constante. Le plus souvent elle sera alléguée, et le juge ne pourra en admettre la preuve toutes les fois que cette preuve viendrait contredire une présomption légale. Il est bon cependant de maintenir ce principe : car le demandeur pourrait avouer l'obligation naturelle; ou bien elle pourrait être si évidente que la preuve en serait inutile, et, dans tous ces cas, la procédure que nous traçons aurait son utilité. Quand, au contraire, on répète une chose qui n'était due d'aucune façon, il suffit au demandeur de mettre son adversaire au défi de prouver qu'il y eût une dette que cette chose dût acquitter. Il dira: Ma chose est sans cause entre vos mains, et le défendeur devra prouver que le revendiquant n'a fait réellement qu'acquitter une dette, ou bien qu'il a voulu lui faire une libéralité. Ni l'une ni l'autre de ces hypo

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