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de l'étranger défendeur, est sans application à une classe particulière d'étrangers, qui jouissent d'une immunité de droit universel qu'on appelle exterritorialité; ce sont, ainsi que nous l'avons déjà énoncé suprà, no 101, les souverains étrangers en personne, les ambassadeurs, les ministres plénipotentiaires, en un mot toutes les personnes diplomatiques qui représentent leurs souverains ou les États dont ils sont les envoyés auprès d'un gouvernement étranger1. Le souverain, bien qu'il soit temporairement sur le territoire d'une autre puissance, est censé, néanmoins, par une fiction du droit des gens moderne de l'Europe, se trouver toujours dans son propre territoire, et il jouit de toutes les prérogatives inhérentes à la souveraineté; et, comme l'ambassadeur ou le ministre représente, jusqu'à un certain point, la personne du souverain dont il est le fondé de pouvoirs, il est considéré, pendant toute la durée de sa mission, comme s'il n'avait point quitté l'État dont il est l'envoyé, et comme s'il remplissait son mandat hors du territoire de la puissance auprès de laquelle il est accrédité. Cette fiction s'étend également à l'épouse et aux enfants de l'ambassadeur, ainsi qu'aux gens de sa suite. Toutes ces personnes sont exceptées de la juridiction civile des tribunaux du pays de la résidence du ministre.

Il en est de même de tous les biens appartenant aux souverains ou aux gouvernements étrangers, et des biens à l'usage des ministres ou des personnes de leur famille ou de leur suite: tous ces objets sont censés se trouver dans la catégorie exceptionnelle qui les fait considérer

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1 En ce qui concerne les diverses classes de personnes diplomatiques et leur rang, voy. la pièce annexée, no 17, à l'acte du congrès le Vienne, en date du 19 mars 1815.

comme s s'ils n'avaient pas quitté le territoire de la nation étrangère. C'est là ce qu'on entend par l'exterritorialité'. De là résulte d'abord, ainsi que nous l'avons fait remarquer suprà, no 48, que l'ambassadeur n'est pas tenu de suivre, pour la forme des actes relatifs à sa personne, à sa famille et à ses biens, les lois de la nation où il exerce ses fonctions 2.

Aucune poursuite ne peut être formée contre un mi

1 Grotius, De jure belli et pacis, lib. 2, c. 18, § 4. Wicquefort, l'Ambassadeur et ses fonctions, liv. 1, sect. 27, 28 et 29. Bynkershæck, de foro legatorum, passim, et les notes de Barbeyrac ajoutées à la traduction du traité de Bynkershock, imprimée à la suite de la seconde édition de Wicquefort. Voet, ad ff, lib. 28, tit. 1, no 14. Huber, de jure civitatis, lib. 3, cap. 8, § 4; Idem, jus publicum universale, cap.12, § 21. Vattel, liv. 4, ch. 7, 8 et 9. Kreitmayer, Notes et observations sur le Code de procédure de Bavière, ch. 1, § 11. Moser, Principes du droit des gens moderne de l'Europe, en temps de paix (Grundsatze des jetzt üblichen europæischen Volkerrechts in Friedenszeiten), liv. 2, ch. 14; liv. 3, ch. 15 et suiv. Le même, études du droit des gens le plus récent de l'Europe en temps de paix (Beitrage zu dem neuesten europæischen Vælkerrecht in Friedenszeiten), liv. 2, chap. 4, SS 4 et 8; liv. 4, ch. 15 et suiv. Le même, essai du droit des gens le plus récent de l'Europe (Versuch des neuesten europæischen Volkerrechts), part. 3, liv. 4, chap. 15 et suiv. Répert., o Testament, sect. 2, § 3, art. 8 (p. 724 de la 4o édit. ); po ministre public, sect. 5, SS 2, 4, 5 et 6. Martens, $$ 92, 173, 205, 220. Klüber, SS 49, 54, note b, 136, 204, 207, 209 et 210. Schmalz, liv. 3, ch. 3, et liv. 5, ch. 1. Guichard, Droits civils, no 227-234. M. Pailliet, à l'endroit cité, nos 8-15. M. Dalloz, Dietionnaire de droit, ° Agent diplomatique, no 9, 10 et 20. Tomlins, Law-dictionary, vo Ambassador. M. Wheaton, t. I, part. 2, ch. 3, S 10, p. 150; part. 3, ch. 1, §§ 15, 16, 17 et 18, p. 272 et suiv, M. Kent, t. I, p. 15, 38 et 39. M. Rolin, p. 34 et suiv.; p. 55 et suiv. M. Rocco, liv. 2, ch. 31.-M. Pinheiro-Ferreira, dans ses notes sur Vattel, rejette la maxime de l'exterritorialité des ambassadeurs. 2 V. les auteurs cités à la note précédente.

nistre étranger devant les tribunaux du pays de sa résidence; aucune contrainte par corps, aucune saisie de ses biens ne peut avoir lieu dans ce pays pour des dettes contractées avant ou pendant le cours de sa mission'; les personnes de sa suite jouissent du même privilége2; la maison qu'il habite jouit d'une entière franchise, en ce qu'elle n'est pas accessible aux officiers de justice du pays: elle est considérée comme étant hors du territoire, aussi bien que la personne du ministre.

Pendant l'exercice de ses fonctions à l'étranger, l'ambassadeur ou le ministre ne cesse d'appartenir à sa patrie: il y conserve son domicile, et le juge de ce domicile exerce la juridiction sur lui 3, comme s'il y était présent. Aussi sa succession s'ouvre dans le lieu de ce domicile '.

Aucune poursuite ne peut être exercée contre les biens de toute espèce appartenant à un gouvernement étranger. Il a été jugé qu'une personne privée ne peut former en France une saisie-arrêt sur les fonds d'un gouvernement étranger (Haïti, Espagne), et que les tribunaux sont incompétents pour statuer sur la validité de cette saisie-arrêt ".

Il n'y a que les immeubles particuliers de l'ambassa

1. les auteurs cités à la première note de ce numéro. Arrêt de la cour royale de Paris, du 5 avril 1813. Sirey, 1814, II, 306. Dalloz, 1814, II, 105.

2 Arrêt de la cour royale de Paris, du 29 juin 1811. Sirey, 1812, II. 12. Dalloz, 1811, II, 192.

Kluber, § 204. Répertoire, o Domicile; o Ministre public, sect. 5, § 5, no 1. M. Story, § 48. M. Dalloz, ibid., no 11 et 19. • Arrêt de la cour royale de Paris, du 22 juillet 1815. Dalloz, 1815, II, 919, no 3.

* Huber, prælect, ad ff, tit. de in jus voc., § de arresto reali, no 1. Jugement du tribunal du Havre, du 25 mai 1827; du tribunal de la

IV. 2o SÉRIE.

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deur qui demeurent soumis à la juridiction du pays dans lequel ils sont situés '.

les

165. Par exception, les auteurs admettent que envoyés diplomatiques ne peuvent décliner la juridiction des tribunaux étrangers dans les cas suivants :

1o Lorsqu'ils sont actionnés en payement des frais auxquels ils ont été condamnés par suite du rejet d'une demande qu'ils avaient formée eux-mêmes devant ces tribunaux.

2o Lorsqu'ils sont intimés sur l'appel d'un jugement par eux obtenu 2.

3° Lorsqu'il s'agit d'une demande reconventionnelle, formée contre eux à la suite d'une action par eux duite 3.

intro

Mais, hors ces cas d'exception, les ministres étrangers ne peuvent renoncer aux prérogatives qui les placent, dans les pays où ils sont légalement accrédités, en dehors des règles du droit commun, sans le consentement exprès du prince ou de l'État qu'ils représentent : en effet, le ministre n'est pas en droit de renoncer à des priviléges qui intéressent l'indépendance et la dignité du prince ou de la nation *.

Seine, du 2 mai 1828. Gazette des tribunaux du 27 mai 1827 et du 3 mai 1828. Revue judiciaire (1831), t. 1, p. 364. M. Legat, p. 306 et 307. L'opinion contraire est soutenue par Bynkershock, l'endroit cité, chap. 4.

à

1 Bynkershock, chap. 16. Répert., o Ministre public, sect. 5,$4, art. 6 et 8. M. Wheaton, ibid., § 18. Rolin, tit. 2, no 3.

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Bynkershoeck, ch. 16, § 2. Répert., o Ministre public, sect. 5, S4, art. 10.

3 Bynkershoek, ch. 14, § 13. Répert., o Ministre public, ibid. * Vattel, liv. 4, chap. 8, § 111. Wiquefort, Mémoire sur les ambassadeurs, p. 39. Bynkershock, ch. 23, no 7. Répert., public, sect. 5, § 4, art. 10.

po Ministre

166. Tout ce que nous venons de dire ne s'applique pas absolument aux consuls, ni aux agents pour les relations commerciales qui sont assimilés aux consuls; les uns et les autres ne jouissent pas des priviléges diplomatiques accordés aux représentants des puissances étrangères; quant à leurs affaires privées, ils sont justiciables des tribunaux ordinaires', à moins d'une exception résultant de la nature de leur commission et du caractère spécial dont ils peuvent être revêtus; ce caractère une fois reconnu et admis à l'exercer, doit évidemment être respecté 2.

Il est constant que n'étant point ministres, les consuls ne sauraient prétendre ni obtenir les prérogatives absolues d'inviolabilité personnelle et d'exemption de juridiction dont le droit des gens fait jouir les ministres. Leur mandat est loin d'avoir le même caractère, et de cette différence dérive la diversité des priviléges.

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Wicquefort, l'Ambassadeur, liv. 1, sect. 5, p. 132. Bynkershock, ch. 10, § 6. Répert., Consuls, § 2, no 4. Guichard, no 235. Pailliet, à l'endroit cité, n° 15. Tomlins, o Ambassador. M. Winiwarter, $66. M. Dalloz, Dictionnaire, ibid., § 2. Arrêt de la cour royale d'Aix, du 14 août 1829. Sirey, 1830, II, 190.

9 Un arrêt de la cour royale de Paris, du 4 décembre 1840, a statué en conformité de ce principe, en annulant l'arrestation provisoire du sieur Begley, consul des États-Unis à Gênes, qui traversait la France pour se rendre à son poste : la cour s'est fondée sur la circonstance que ce consul était porteur de pièces officielles de son gouvernement, adressées aux ministres accrédités près les diverses cours de l'Europe. L'arrêt n'a point adopté les motifs du tribunal de première instance qui, en prononçant également la nullité de l'arrestation, avait entièrement assimilé le consul aux ministres, et Jui avait appliqué la disposition du décret de la convention nationale, en date du 13 ventôse an II. V. la Gazette des tribunaux des 2 et 5 décembre 1840, et Sirey, 1841, II, 148.

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