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Ce qu'il faut remarquer encore dans ces résultats, c'est l'accroissement des accusés de crimes contre les personnes qui, dans la deuxième période (1833-1838), a été de 14 p. 100 plus fort que dans la première période (1825-1829). L'accroissement sur les crimes capitaux a eu lieu dans de bien plus larges proportions, que M. Collard estime à 50 p. 100.

Quant aux récidives, l'augmentation est également constante depuis 1826. L'académie des sciences morales et politiques l'a elle-même proclamé. Tous ceux qui s'occupent de statistique criminelle le reconnaissent ; et cette progression ascendante est telle, qu'à prendre les termes extrêmes de chaque série, le nombre des récidives, en matière de crimes et de délits, est presque triplé. En effet, le chiffre des récidives pour crimes était, en 1826, de 756; il a été de 1763 en 1838; le chiffre, pour les délits, était, en 1828, de 3,578'; il a été de 10,258, en 1838; et cet accroissement n'a pas eu lieu tout d'un coup, par accident, dans une seule année, il est arrivé successivement, graduellement, d'année en année, de telle sorte qu'il y a eu, depuis 1826, progrès incessant et continu.

En adoptant l'innovation introduite en 1832, le gouvernement et les chambres avaient voulu augmenter le chiffre des condamnations de la part du jury, et par con

être exclues, en effet, de tout calcul statistique, à cause du passage d'un régime politique à un autre, en 1830, et d'un régime criminel à un régime différent, en 1832. Quant à 1831, cette année, qui a suivi la révolution de 1830, a été si anormale qu'on ne pouvait pas sérieusement la faire figurer en ligne de compte. M. Collard a done eu raison de ne pas faire entrer ces trois années dans son travail.

1 Le chiffre des récidives n'existe pas au compte de 1825, pour les crimes, ni à ceux de 1825, 1826, 1827, pour les délits.

séquent diminuer celui des acquittements, qui, sous la restauration, avaient paru trop nombreux et souvent peu légitimes à beaucoup de bons esprits. Or, la moyenne exacte des acquittements prononcés par le jury a été, dans la période de 1825 à 1829, de 38,20 sur 100, et, dans la période de 1833 à 1838, de 38,17, c'est-à-dire que, durant les six années posté-rieures à la législation de 1832, le chiffre des acquittements est, en dernier résultat, à 0,03 près, le même qu'auparavant. Cet effet de la loi de 1832 avait été déjà annoncé il y a quelques années; de nouvelles expéri mentations, poussées jusqu'en 1838, l'ont confirmé.

Tels sont les résultats généraux relevés par M. Collard sur les états statistiques officiels. Je n'ai pas besoin de les vérifier, car j'ai toute raison de croire à leur exactitude.

Voilà les faits : il accusent, jusqu'en 1838, une insuffisance notoire, effrayante dans notre régime répressif.

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Quelle en est la cause?

Selon M. Collard, la cause existe principalement dans le système des circonstances atténuantes remises aux mains du jury. S'il faut en croire, au contraire, M. Bonneville, qui regarde le régime créé en 1832 comme «< un heureux retour aux saines doctrines (p. 20), » et comme une des plus belles conquêtes de la philosophie moderne (p. 21 ), l'insuffisance de la répression » ne provient pas uniquement de la faiblesse du jury; » tout le mal est dans l'ignorance trop ordinaire où l'on » est des antécédents judiciaires des inculpés; là est » l'encouragement donné au crime; là est la plaie prin» cipale qui énerve aujourd'hui la répression (p. 87 ). » Quant à l'accroissement des récidives, c'est encore dans la difficulté de connaître les antécédents des accusés

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IV. 2 SERIE.

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que

ce magistrat aperçoit une des sources les plus directes >> et les plus ordinaires de cet accroissement progressif (p. 80 ).

On le voit, chacun de ces honorables magistrats, exclusivement préoccupé de son sujet, ne trouve la cause principale du mal qu'il signale, que dans le fait réservé à ses consciencieuses méditations. L'un et l'autre, il est vrai, reconnaissent d'autres causes à cette augmentation des crimes et des délits; mais, pour eux, ces causes ne sont que très-secondaires. Le motif prédominant, absorbant à leurs yeux, est, pour M. Collard, l'octroi des circonstances atténuantes aux mains du jury, pour M. Bonneville, l'insuffisance des moyens de constatation des récidives. En ce qui concerne le mérite intrinsèque des circonstances atténuantes, ce n'est pas qu'ils soient bien d'accord entre eux; car, si tous les deux approuvent le système en lui-même, M. Bonneville, dans la candeur de sa conviction, lui donne une approbation entière, sans restriction, et annonce, par là, qu'il n'accorde à ce système aucune influence mauvaise sur l'administration de la justice; M. Collard, au contraire, semble n'approuver que du bout des lèvres ; son adhésion est évidemment subordonnée à un mode d'exécution autre que celui créé par le Code de 1832. Il voudrait enlever au jury l'application de ce système, pour le confier à la magistrature, avec certaines conditions que les bornes de cet article ne permettent ni d'exposer, ni d'examiner en ce moment.

Il y a, à mon avis, du vrai dans l'une et dans l'autre appréciation. M. Bonneville s'exagère un peu trop peutêtre l'importance de son sujet; M. Collard exagère moins l'effet des circonstances atténuantes remises à l'omnipotence du jury; mais, en faisant de cette mesure la cause

première et tout à fait prédominante de l'augmentation des délits, il me semble rester encore, lui aussi, dans une certaine exagération, par laquelle il est poussé vers un point de vue qui n'est peut-être pas celui de la vérité des choses.

L'énervation de notre régime répressif est un fait malheureusement trop vrai, reconnu en ce moment par tout le monde, et par ceux même dont les sentiments généreux et philanthropiques sont l'objet de la commune considération. « Le système répressif s'est énervé, » dit M. Demetz, « et aujourd'hui il n'est plus en harmonie » avec les besoins de la société 1. » — « Les poursuites » deviennent moins actives, la répression moins énergique, s'écrie M. de Gérando; « aussi voyez comment le génie du mal se rit de nos lâches complaisances ⚫ comme il redouble d'andace pendant que vous hésitez » à le punir2. »

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Mais remarquez que cette énervation n'est qu'un fait; ce n'est pas une cause. Remarquez aussi que la mise en pratique du régime des circonstances atténuantes et l'insuffisance de la constatation des récidives, dans leur rapport avec cette énervation, ne sont encore que des faits engendrés par une autre cause; car elles n'ont de valeur, d'influence que comme effet, comme résultat d'une application mauvaise, inintelligente du droit qui nous régit.

Il faut donc évidemment chercher ailleurs la cause première de ces deux effets.

Avant tout, il faut voir s'il n'y a pas, comme cause tout à fait primordiale, une raison psychologique qui a

1 Lettre sur le régime pénitentiaire, p. 2.
* De la bienfaisance publique, t. III, p. 433.

déterminé l'effet, le mal dont on se plaint. Cette raison, que ni M. Collard, ni M. Bonneville n'ont songé à prendre en considération, ne réside-t-elle pas dans la nature de l'esprit humain, inévitablement porté à abuser de tout pouvoir qu'on lui confie, alors surtout que l'exercice de ce pouvoir est sans contrôle, sans contrepoids, sans garantie? Or, en remettant à des hommes le pouvoir d'abaisser arbitrairement la pénalité, on devait s'attendre à voir la pente naturelle de l'esprit humain conduire inévitablement à l'abus de cette faculté. Là est la cause primordiale, la raison psychologique de l'énervation de notre système répressif. Il faut remarquer que cette raison tend à saper, dans son essence même, le système des circonstances atténuantes.

Cette disposition propre à la nature humaine, envisagée d'une manière générale et abstraite, peut être encore considérablement empirée, selon les influences pernicieuses qui naissent de la situation morale de la société. Dans ce cas, à une raison psychologique se joint une cause morale, et c'est cette cause complexe qu'on doit, par-dessus tout, prendre en considération, lorsqu'on veut se rendre compte du motif premier et déterminant du fait de l'énervation actuelle de notre système répressif.

Pourquoi, en effet, les jurés, les magistrats euxmêmes, il faut bien le dire, abusent-ils de la mesure créée par le Code de 1832? N'est-ce pas évidemment, en dehors même de toute cause métaphysique, à la disposition morale des esprits qu'il faut attribuer cet état de choses? La situation, telle que l'ont faite les prédications anti-religieuses de la fin du 18° siècle, aggravée par 50 ans de révolutions, qui ont bouleversé toutes les croyances, froissé tous les bons instincts du cœur, mis

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