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et belle question de haute philosophie législative n'est que la reproduction dans un autre ordre d'idées de la question bien autrement importante qui s'agite sur le terrain de la politique spéculative. Nous avons déjà traité cette dernière. Nous nous déclarons l'adversaire des codes à priori, comme nous avons combattu naguère les enthousiastes de ces constitutions de facture humaine, de ces chartes prime-sautières, faites à jour donné, et dont aucune n'a vécu âge d'homme.

Mais avant d'entrer en matière, nous sentons le besoin de consigner ici deux observations. La première, c'est que nous n'avons point la prétention de présenter des idées nouvelles, mais que nous voulons seulement mettre en relief ou tirer bon parti de ce qui a été dit.

La seconde observation nous est personnelle.

La Revue a publié, il y a quelque temps, un petit traité sur la rédaction des lois. On y signalait, dans celle du Svod, plusieurs déviations aux principes que nous essayâmes de formuler. Cette discussion souleva une vive critique, non pas qu'on contestât la rectitude des principes ou la justesse des déductions; une telle critique honore et celui qui l'a faite et celui à qui elle s'adresse: mais on la qualifia d'attentatoire à la vénération due à l'auteur du Svod.

Nous croyons devoir protester formellement contre une imputation semblable, et nous en appelons à une lecture plus attentive ou plus impartiale de l'article incriminé et de ceux qui l'ont précédé.

Du vivant du comte Speransky, nous attaquâmes dans le Svod le plan, le système, la méthode, qui étaient

1 Dernier mot sur le pouvoir social. Paris, 1836.

2. t. V. p. 817 et 889.

l'œuvre personnelle du comte. Loin de nous en vouloir, M. de Speransky nous récompensa de son estime; et si les articles sur le Svod1 furent accueillis avec quelque faveur par les lecteurs de la Revue, c'est qu'ils portèrent continuellement le cachet de la plus entière indépendance.

Le comte de Speransky mort, tout ce qui est son œuvre personnelle reste à l'abri de notre examen. Il n'est plus là pour nous encourager.

Mais la rédaction du Svod, mais la contexture matérielle de cinquante mille articles ne sont pas l'œuvre personnelle du comte, et nous avons eu soin de proclamer que dans tout ce débat sa grande mémoire est complétement désintéressée! Nous avons démontré, jusqu'à l'évidence, que quelques déviations dans le plan ne provenaient ni de l'ignorance des vrais principes ni de l'impéritie des rédacteurs, mais de causes étrangères. Ainsi, ceux mêmes qui cherchent une solidarité impossible entre le créateur du Svod et ses collaborateurs, sont réduits au silence.

Bacon, dont il s'agit d'apprécier la méthode, avait adopté la forme aphoristique que nous croyons pouvoir lui emprunter. L'aphorisme, par son allure vive, rapide, met en saillie la proposition dominante, et fait converger vers un centre commun les corollaires et accessoires qui s'y rattachent.

APHORISME 1. Les coordinations donnent la seule solution rationnelle du problème législatif envisagé SPECULATIVEMENT. Les codifications n'en donnent qu'une solution incomplète et partielle. La formule de cette solution est: LES COORDINATIONS SONT LE PRODUIT COMPLEXE DE L'ÉLÉMENT PHILOSOPHIQUE

V. t. II, p. 385 et 513.

et de l'ÉLÉMENT HISTORIQUE. Les codificATIONS NE SONT QUE LE PRODUIT DE L'ÉLÉMENT PHILOSOPHIQUE PUR.

Commentaire. Le problème législatif est un problème multiple. Il a plusieurs aspects. Il faut en étudier le côté scientifique, la spéculation; le côté pratique, la réalité; le côté politique, la nécessité.

Du point de vue de la science, le problème se dédouble. Deux éléments, opposés et rivaux, concourent à sa formation. Et qu'on ne pense pas que cet antagonisme se rencontre de préférence et exclusivement dans le problème législatif. De quelque côté que nous tournions nos regards, nous rencontrons partout la dualité, partout deux principes opposés.

Dans ce conflit apparent de deux principes, quelle est la mission de la science? Est-ce seulement d'en sonder tour à tour la justesse, de nier l'un, d'adopter l'autre ? Et si tous les deux sont justes et vrais, lequel sacrifier? Dans le problème religieux, la science optera-t-elle pour la prédestination ou pour le libre arbitre?

Dans le problème social, fera-t-elle prédominer le pouvoir ou la liberté? En morale, trouvera-t-elle une seule vertu, qui, si elle n'est tempérée et contenue par une vertu opposée, n'aboutisse tout droit à un vice? Dans la famille, immolera-t-elle l'élément patriarcal ou le principe de la personnalité ? L'enseignement, à qui le confiera-t-elle? A l'action libre des particuliers ou à l'influence directe et exclusive du pouvoir? En économie politique et dans les innombrables questions qu'elle soulève, la science ira-t-elle, aveugle abstraction, glorifier un système et proscrire l'autre?

:

Non la mission de la science est plus haute, son ac tion plus impartiale.

Toute solution d'un problème complexe, basée sur l'adoption exclusive d'une seule d'entre les deux données qui le constituent, toute solution qui ne fait pas sortir l'unité synthétique de la dualité du problème, est une solution insuffisante et bornée. Car, telle est la loi de l'éternelle sagesse : la vérité, pour ne pas s'altérer et se perdre, doit être toujours contenue et contredite par une vérité opposée. Immoler l'une, glorifier l'autre, ce n'est pas résoudre le problème, c'est le fausser. Sans doute il n'a pas été donné à l'homme de les résoudre tous. Sans doute il en est qu'il poursuit sans relâche depuis le premier éveil de son intelligence, qu'il transinet de génération en génération, pour que chacune le reprenne avec un surcroît de courage, avec des facultés plus jeunes, plus souples, plus élastiques, mais qui n'en resteront pas moins jusqu'à la consommation des siècles un impénétrable mystère. Dieu n'a pas livré à l'homme le secret de son œuvre.

Heureusement le problème législatif n'est pas de ce nombre. Il est possible d'en donner une solution à l'abri de toute controverse. En le décomposant, la science, avons-nous dit, y trouve deux éléments bien distincts : l'élément historique (le droit positif); l'élément philosophique (le droit idéal).

pas

Ces deux termes du problème sont loin d'être identiques. Ils le sont si peu, que, dans les innombrables législations qui ont gouverné le monde, on n'en citera deux qui concordassent entre elles. Niera-t-on pour cela l'élément philosophique? Mais ce serait nier la raison, ce serait nier la loi éternelle et immuable, qui toujours et partout est le fondement du droit positif. Niera-t-on l'élément historique? Alors ce serait nier l'évidence, oublier le sol sur lequel on marche, mécon

naître sa propre individualité. Et cependant, c'est précisément ce qui est arrivé. L'homme ne supportera jamais deux vérités à la fois. Au lieu de les avouer l'une et l'autre, de faire à chacune sa part légitime d'influence, on s'est partagé en deux camps, on a arboré deux drapeaux, on a élevé autel contre autel. Qu'estce que l'école historique, sinon la glorification du droit positif? Qu'est-ce que l'école philosophique, sinon l'apothéose de la raison pure?

Entre ces deux écoles, opposées dans leur principe, extrêmes dans leurs conséquences, la science élève une école mitoyenne et modératrice : l'école pragmatique.

L'école pragmatique ne repose pas sur l'éclectisme; elle n'emprunte pas aux deux systèmes ce qu'ils ont de bon et d'utile pour en former un système mixte; elle les juge; planant au-dessus des deux écoles rivales, elle reconnaît que le principe fondamental de chacune d'elles est juste et vrai; elle en détermine l'action et les limites; elle recherche et fixe le point d'intersection qui les confond dans l'unité synthétique; en un mot, elle est la résultante des deux principes dont ces écoles sont l'exagé

ration.

En effet, voyons-la à l'œuvre, cette pierre de touche de la valeur d'un système :

Les partisans de l'école historique, préoccupés uniquement de ce que le droit a d'individuel et de caractéristique, s'arrêtent à la surface. S'ils étudient les sources du droit positif, le jurisconsulte disparaît pour faire place au philologue. Ils se passionnent pour l'instauration d'un texte altéré, ils exhument des fragments qui ne font pas faire un seul pas à la science.

Les partisans de l'école philosophique courent après

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