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marchande s'est ainsi développée, les exportations des produits français n'ont augmenté dans le même intervalle que de 504 millions à 677. Il résulte d'un compte rendu, annexé aux projets de loi sur la pêche de la morue et de la baleine, présentés récemment à la chambre des députés, que l'inscription maritime comprend dans ce moment 98,000 marins, tandis que le dernier compte-rendu n'en comptait que 80,000. M. le garde des sceaux s'est appuyé sur le fait sans doute étrange, que sur 2,786,000 tonneaux, employés en 1839 par le commerce maritime de la France, le pavillon français n'a obtenu que 1,200,000 tonneaux, tandis que le pavillon étranger entre dans le calcul pour 1,586,000. Mais nous trouvons d'un autre côté qu'en 1829 cette différence a été de 647,000 à un million. Le rapport des deux tonnages, qui, en 1829, a été de 65 à 100, est monté pendant dix années jusqu'à 76 à 100, en même temps que du côté de la France il a doublé1.

Le fret est plus cher en France qu'en Angleterre et aux États-Unis; mais les causes véritables de cette différence ont été signalées dans le discours du président de la Banque, M. d'Argout, qui s'est déclaré en faveur du projet de loi. Si, dans la construction des navires, la main-d'œuvre est en France à meilleur marché qu'en Angleterre et en Amérique, le bois y est plus cher, et le fer surtout l'est beaucoup plus. Depuis trente ans les Américains ont varié la construction de leurs navires, suivant les mers dans lesquelles ces navires doivent naviguer et d'après la nature des marchandises qu'ils sont destinés à transporter. Les Anglais se sont empressés,

IV. l'exposé des motifs du projet de loi sur les douanes, présenté à la chambre des pairs dans la session de 1841.

depuis 1821, d'imiter ces modes de construction. Ce n'est que depuis deux ou trois ans que des armateurs du Havre ont songé à adopter ces procédés nouveaux. Lorsqu'il y a dix ans, un navire anglais opérait par an six voyages, et un navire américain huit voyages au long cours, en comptant l'aller et le retour pour deux voyages, un navire français n'en faisait que quatre. Le mode de jaugeage, qui a existé en France jusqu'en 1837, forçait les navires français à acquitter dans tous les ports de l'univers un droit de tonnage supérieur à celui que payaient les navires anglais et américains. De tous ces faits divers il résulte clairement, que les armements en France, notamment ceux au long cours, qui seuls doivent entrer en considération dans l'examen du projet actuel, sont loin de rester aussi stationnaires qu'on le prétend, et que la cherté du fret surtout y tient à d'autres causes qu'à celle de la responsabilité illimitée des propriétaires de navires.

Si le seul intérêt des armateurs se trouve réellement favorisé par le projet de loi, si les chargeurs, malgré leurs réclamations mal fondées contre la législation existante, doivent perdre nécessairement, par les conséquences éloignées de ses dispositions, un troisième intérêt, celui des prêteurs, a été sacrifié complétement. Celui qui voudra prêter au taux ordinaire, n'aura plus, pour son remboursement, aucune garantie personnelle. Le prêteur à la grosse, outre les risques maritimes qu'il consent à prendre à sa charge, outre les avaries auxquelles il doit contribuer, courra encore le danger nouveau de n'être pas remboursé intégralement, mais seulement par voie de contribution sur la valeur d'un navire abandonné. Il est vrai que les prêteurs sont des étrangers, et sous ce rapport M. Ch. Dupin a signalé dans

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le projet la tendance de rendre plus parfait l'art de faire banqueroute avec l'étranger. Supposons que dans un port éloigné se présentent à la fois un capitaine français, un capitaine anglais et un capitaine américain, qui seraient dans la nécessité de chercher des fonds. Ce sera assurément le Français qui en trouvera le dernier. Si au moins les armateurs nationaux et les chargeurs étrangers se trouvaient en présence, comme en Hollande, en Danemark, la loi, à défaut d'être morale, serait politique; mais ici il s'agit de favoriser à la fois et les armateurs et les chargeurs nationaux, de créer pour le commerce national une marine nationale suffi

sante.

Il me reste à ajouter quelques observations sur le texte du nouveau projet de loi. La deuxième partie du § 4 du nouvel art. 216 a été introduite par la commission. Tend-elle à faire admettre le capitaine comme les copropriétaires du navire à l'exercice du droit d'abandonnement? - L'art. 216 garde le silence sur le cas où les avis des copropriétaires seraient partagés relativement à l'exercice du droit qui y est accordé. Cette question est grave, quoique dans aucune des discussions précédentes elle n'ait été soulevée. Appliquera-t-on à ce cas les dispositions de l'art. 220? et alors suivra-t-on le premier paragraphe de cet article, en disant que l'avis de la majorité forcera la minorité à l'abandon? ou décidera-t-on, d'après le dernier paragraphe du même article, en assimilant l'abandon à la licitation du navire, que le vote de la moitié en faveur de l'abandonnement sera obligatoire pour tous? ou conviendra-t-on enfin que le but de la loi étant de restreindre la responsabilité de tout propriétaire à son intérêt dans le navire, il devra rester loisible à chaque copropriétaire de se décharger de toute res

ponsabilité personnelle en abandonnant sa part et portion, sans que ses coïntéressés puissent s'y opposer? Cette dernière solution a été adoptée en Hollande. V. le Code de commerce néerlandais, art. 321, § 4.

Le § 3 de l'art. 234, modifié par la commission, sanctionne un principe ignoré jusqu'à présent dans le droit maritime, dans ce droit qui, par la généralité et la simplicité de ses dispositions, semble participer de la nature du droit des gens. Il suppose le cas où tous les chargeurs seraient présents sur le navire ou représentés par des fondés de pouvoirs spéciaux, cas assez rare. Lorsqu'un seul des chargeurs sera absent, le propriétaire des marchandises que le capitaine voudrait aliéner pour satisfaire aux besoins du voyage, ne pourra plus les faire décharger qu'en payant le fret stipulé en entier. Cette dernière disposition n'est pas conforme à l'équité; car le contrat se trouvant rompu par cela même que le capitaine, au lieu de conduire les marchandises au port de la destination, se dispose à les aliéner dans un port de relâche, le chargeur devrait être tenu de payer tout au plus le fret en proportion de la partie du voyage déjà faite. C'était aussi la pensée du projet; mais la commission de la Chambre des pairs a décidé autrement.

Le § 4 de l'art. 298 termine l'œuvre nouvelle. Cette disposition est aussi neuve que celle que je viens de signaler. Lorsque, par suite de l'exercice du droit d'abandon accordé aux armateurs, le chargeur, dont les marchandises auront été vendues, aura éprouvé une perte, ce ne seront pas les armateurs qui l'en indemniseront, mais les autres chargeurs. Si cette disposition a été motivée sur la considération que, par la vente d'une partie de la cargaison, le reste a pu être conduit au lieu de destination, je demande si la même considération

subsiste encore lorsque le navire a depuis fait naufrage, les marchandises ont été sauvées ? — M. le mariet que quis de Cordoue a proposé d'ajouter dans ce paragraphe, après l'expression : arrivées à leur destination, le mot (ou) déchargées, pour le cas où, postérieurement à la vente d'une partie des marchandises, d'autres auraient été déchargées par leurs propriétaires en vertu de la faculté à eux accordée par le § 3 de l'art. 234. M. Camille Périer, au nom de la commission, a adhéré à cet amendement, en déclarant toutefois que, par les termes : arrivées à leur destination, elle avait sous-entendu le cas posé par l'amendement. La Chambre a adopté le paragraphe, tel qu'il a été rédigé par la commission; elle a rejeté l'amendement de M. de Cordoue. Voilà déjà une source féconde de procès; il en sera de même lorsqu'on exigera de l'armateur de faire à la fois, avec l'abandon du navire, celui de l'assurance; d'autres contestations naîtront dans le cas où les avis des copropriétaires seront partagés relativement à l'exercice de ce droit.

En résumé, l'année dernière il s'agissait de modifier une jurisprudence nuisible, de rétablir l'harmonie entre le texte et l'esprit de la loi, et de mettre la législation maritime de la France d'accord avec celle des autres nations. Par l'article alors publié je croyais avoir démon

que la jurisprudence de la Cour de cassation était conforme aux principes du droit, et que les principales législations étrangères se trouvaient d'accord avec cette jurisprudence. Aujourd'hui ce terrain a été abandonné: se sont les principes mêmes du droit dont on s'accorde i faire le sacrifice aux besoins du commerce maritime. Des dispositions nouvelles ont remplacé le simple changement de rédaction de l'art. 216 du Code de commerce.

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