Page images
PDF
EPUB

crire son contrat d'acquisition, soit pour faire la faire la purge (art. 2181), soit pour arrêter le cours des inscriptions nouvelles (art. 834, C. Pr.), soit enfin pour jouir des bénéfices particuliers attachés à la transcription par les articles 2108 et 2198. On ajoutera même que le droit de transcription étant, depuis la loi de finances du 28 avril 1816, acquitté en même temps que le droit d'enregistrement ou de mutation, les acheteurs n'ont plus d'intérêt à omettre la transcription; enfin, on fera remarquer que le vendeur peut la requérir lui-même, s'il craint la négligence de l'acheteur à cet égard.

Ces observations sont vraies, mais il n'en résulte nullement que l'article 2108 se trouve maintenu et applicable; il suffit pour s'en convaincre d'un moment de réflexion. Examinons ce point; et d'abord considérons le privilége du vendeur sous le rapport du droit de préférence.

I. La vente étant consentie, de deux choses l'une ou l'acheteur est devenu sur-le-champ propriétaire complet et absolu de l'immeuble, sans réserve d'aucun droit réel au profit du vendeur; ou l'aliénation opérée par le contrat ne l'a été que sous la réserve du privilége. Si on admet la première opinion, l'immeuble acquis par l'acheteur est sur-le-champ frappé entre ses mains par les hypothèques générales, soit judiciaires, soit légales, qui existaient à une date antérieure, avec ou sans inscription, suivant les cas. De nouvelles hypothèques peuvent venir aussi grever le même immeuble après l'acquisition. Dès lors on aura beau transcrire le contrat, le vendeur, qui avait tout aliéné, n'acquerra jamais qu'un droit nouveau primé par les hypothèques antérieures; et si on répond que par la transcription (ou même par la seule inscription de la créance du prix de

vente), le vendeur acquiert un privilége dont la nature est de primer toutes les hypothèques même antérieures, nous répliquerons qu'un pareil effet donné rétroactivement à une transcription ou à une inscription, répugnerait à l'idée raisonnable qu'ou peut se faire d'un système de publicité; que cette transcription ou inscription ne serait plus, comme nous l'avons dit tant de fois, qu'une vaine formalité.

Cette doctrine bizarre a déjà été l'objet de nos critiques dans les deux précédents articles, où nous avons montré la plupart des auteurs parlant beaucoup de la publicité du privilége du vendeur, en faisant toucher au doigt la haute nécessité, et l'anéantissant ensuite en attribuant à la transcription ou à l'inscription des effets rétroactifs.

Si au contraire on dit que l'aliénation opérée par le contrat de vente ne l'a été que sous la réserve du privilége au profit du vendeur, celui-ci n'a rien à transcrire, ni rien à inscrire; il n'a aliéné qu'une partie de sa chose, il n'a transféré le droit complexe de propriété, c'est-à-dire l'ensemble des droits réels, que moins le droit réel appelé privilége, c'est-à-dire, le droit préférable à tout autre droit analogue, de tranformer à son profit, jusqu'à concurrence du prix convenu, l'immeuble en une somme d'argent.

Dira-t-on que le privilége a été réservé, mais sous la condition d'une transcription ou d'une inscription postérieure? Cela se concevrait sans doute, si on avait établi que dans un délai fixe et rapproché de la vente, le privilége devrait être inscrit. C'est ainsi que le privilége du cohéritier ou copartageant, pour raison de la soulte ou du prix de la licitation, doit, aux termes de l'article 2109, être inscrit dans les soixante

jours qui suivent le partage. Si une semblable disposition existait en matière de vente, les créanciers de l'acheteur, quels qu'ils fussent, ne pourraient compter sur la valeur de l'immeuble, qu'autant qu'après l'expiration du délai il n'y aurait eu ni inscription du privilége du vendeur, ni transcription de l'acte de vente; jusque-là ils devraient s'abstenir de compter sur l'augmentation survenue au patrimoine immobilier de leur débiteur. Mais aucune règle semblable n'existe quant au privilége du vendeur; et nul que je sache, n'a proposé jusqu'à présent d'en introduire une dans la pratique, par voie d'analogie tirée de dispositions analogues du chapitre des priviléges.

Ce qui ne peut se concevoir à mon avis, c'est que tout en admettant que le droit de préférence est retenu ou réservé par le vendeur, on le soumette à la condition. d'une transcription ou d'une inscription prise à une époque quelconque, et, dit-on, jusqu'à l'adjudication de l'immeuble saisi; comment en effet comprendre que des hypothèques déjà acquises soient tenues perpétuellement en suspens par l'attente d'une transcription ou d'une inscription éventuelle? Et à quoi bon ces formalités ainsi entendues? Quelle est leur utilité? Qu'est-ce qu'une publicité qui peut n'avoir d'effet que pour le passé, et n'avertir personne pour l'avenir?

Si tout cela est raisonnable, on ne voit pas pourquoi la même faveur n'aurait pas été accordée, soit au cohéritier qui réclame la soulte du partage ou le prix de la licitation (art. 2109), soit au créancier ou légataire qui veut demander la séparation des patrimoines (art. 2111), soit à l'architecte qui n'a pas été soldé de ses travaux (art. 2110).

Rappelons nous d'ailleurs, qu'il a été formellement

dit et reconnu au conseil d'état, que le privilége du vendeur devait être rendu public, afin que les tiers fussent avertis et qu'il n'y eût point de fraude (1); ce qui suppose évidemment que cette publicité fait savoir aux tiers, lors de l'acquisition de l'acheteur (ou au moins à une époque très-rapprochée de cette acquisition), la charge qui grève les immeubles au profit du vendeur.

Si l'on n'a pas fixé de délai postérieur à la vente, pendant lequel le vendeur devrait inscrire son privilége; si même, dans le Code civil, jamais il n'est question, quant à ce privilége, d'une inscription exigée du vendeur et indépendante de toute transcription, c'est que la même transcription mentionne et l'aliénation de l'immeuble, et la créance du prix et par conséquent le privilége. Quand on en est venu à supprimer la nécessité de la transcription pour l'acquisition de la propriété à l'égard des tiers, on aurait pu organiser un nouveau système de publicité du privilége du vendeur; dire, par exemple, que le privilége serait soumis à l'inscription dans un délai déterminé à partir de la vente. L'absence de toutes dispositions législatives sur ce point est même, à mon sens, un des plus forts arguments que puissent faire valoir ceux qui, dans leur conviction de l'excellence du système de la loi de brumaire, soutiennent encore aujourd'hui que ce système n'a été abrogé que par une erreur de la jurisprudence; et que ni le Code civil, ni le Code de procédure n'ont fait disparaître une des plus belles institutions de notre législation intermédiaire. On ne peut guère répondre à cette objection qu'en alléguant, que la suppression de l'article 91 du projet du Code s'étant faite 'd'une manière subreptice

1 Séance du 3 ventose an XII. V. Fenet, T. XV, p. 358.

et sans qu'on osât la proclamer hautement, on s'est bien gardé de rebrousser chemin pour corriger l'article 2108, et qu'on a laissé cet article devenir ce qu'il pourrait1. Mais enfin, que faire donc aujourd'hui que la propriété de l'immeuble est transférée par le seul Consentement, et que nulle disposition de loi n'a fixé un délai pour l'inscription du vendeur, comme elle l'a fait pour l'inscription du copartageant et pour celles des créanciers et légataires de la succession?

Nous l'avons déjà fait entendre, il faut reconnaître que l'article 2108 a été frappé d'abrogation, par la même disposition implicite ou explicite qui a abrogé l'article 26 de la loi de brumaire. C'est parce que la transcription fait connaître aux tiers la translation de la propriété, qu'elle leur fait connaître en même temps le privilége. Si la transcription est supprimée pour le premier objet, elle l'est pour le second; car elle n'est autre chose que la publication de toutes les clauses écrites dans le contrat, soit au profit de l'acheteur, soit au profit du vendeur.

Les interprètes ont prétendu conserver l'article 2108, tout en déclarant abrogé le système général de la loi de brumaire; ils n'ont pas aperçu que l'article 2108 n'était qu'une institution accessoire, absolument dépendante de l'institution principale conservée dans l'article 91 du projet, de même que l'article 29 de la loi de brumaire n'était qu'un appendice de l'article 26 de la même loi. Aussi sont-ils arrivés à des résultats forcés et d'une bizarrerie inconcevable. Je le répète : il faut

1 Quelqu'un a qualifié d'escamotage la suppression de l'article 91 du projet de la section de législation, article adopté dans la séance du 10 ventôse an xii, avec des amendements qui ne touchaient en rien au fond de la question.

« PreviousContinue »