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l'ellervescence révolutionnaire s'était apaisée, la nation rentrait peu à peu dans ses habitudes, renouait le fil de ses traditions interrompues; l'esprit d'ordre avait repris presque toute son influence; les intérêts et les mœurs étaient encore ceux du passé qu'on avait vainement voulu faire disparaître. C'est donc à l'ancienne législation que les rédacteurs du Code civil ont dù emprunter les principaux éléments du nouvel édifice qu'ils étaient chargés d'élever. Sans doute, dans l'accomplissement de cette œuvre, un grand discernement était nécessaire il fallait rejeter ce qui était défectueux, compléter ce qui était insuffisant, donner satisfaction à des besoins nouveaux, à des mœurs modifiées; enfin faire un choix judicieux entre des dispositions variées et quelquefois contradictoires.

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Que conclure de là? Que le législateur moderne, se plaçant pour ainsi dire au milieu de l'ancien ordre de choses pour le continuer en même temps que pour l'améliorer, est présumé avoir voulu conserver aux institutions qu'il lui emprunte les principes qui les régissaient. C'est donc avec raison que j'ai dit que les adversaires du droit réel sont tenus de justifier l'innovation qu'ils allèguent; mais, je le répète, je consens à me charger du rôle qui n'est pas le mien, à faire la démonstration dont je pourrais me dispenser.

§ 1er. Preuves de la personnalité du droit du preneur.

Toute controverse sur l'existence d'une chose donne lieu à trois questions:

Cette chose est-elle possible? Existe-t-elle réellement? Existe-t-elle d'une manière contingente ou nécessaire?

Examinons la personnalité du droit du preneur sous ce triple aspect, et d'abord, montrons qu'elle est possible. Je dois remonter aussi haut et adopter cette forme rigoureuse et sévère dans la discussion, à cause du dédain avec lequel M. Troplong traite la subrogation de l'acquéreur aux obligations de son auteur. Cette manière d'expliquer l'art. 1743 ne lui paraît même pas digue de réfutation, et s'il dit en passant un mot de la subrogation, c'est pour en déclarer, sinon l'impossibilité absolue, du moins la parfaite invraisemblance. A son avis, admettre la subrogation en cette matière, c'est prononcer la suppression de tous les droits réels Passez-moi, dit-il n° 9, ce sous-entendu (d'une subrogation tacite) et j'effacerai même de nos Codes tous » les droits réels ; je n'aurai besoin que de supposer un >> engagement tacite!!! » Ces trois points d'exclamation, ajoutés pour donner plus de force à l'expression, montrent que, dans la pensée de l'auteur, la doctrine qu'il combat est une chimère; la subrogation qu'il conteste, une impossibilité.

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Et cependant M. Troplong lui-même admet sans difficulté la subrogation à la créance!

Pourquoi cela? Dans la subtilité des principes, les dettes, soit actives, soit passives, ne sont pas transportables la subrogation est toujours impossible. Une dette constituant un rapport entre deux personnes, l'une des deux (le créancier ou le débiteur) ne peut disparaître sans que le rapport soit anéanti; c'est inutilement qu'une autre personne la remplace. Par son intervention, un rapport nouveau prend naissance, mais l'ancien ne subsiste plus. Cependant des considérations d'utilité générale ont prévalu sur cette immobilité de l'obligation, et on est arrivé, par des moyens détournés,

à rendre transportable, quant aux résultats, ce qui ne l'était pas réellement. Chacun sait que le but a été atteint par l'introduction des procuratores in rem suam.

Cet expédient, employé pour la dette comme pour la créance, devait cependant s'appliquer plus facilement et plus fréquemment à la dernière. Cette différence ne tient pas à ce que la dette se prête moins à la subrogation; elle résulte d'abord de ce que la dette est moins susceptible d'être la matière d'une négociation, et que d'autre part, pour l'opérer, le concours du créancier est nécessaire, tandis que celui du débiteur ne l'est pas pour la subrogation de la créance.

Nul doute ne s'élevait, en droit romain et sous l'empire de notre ancienne jurisprudence, sur la personnalité du droit du preneur ; aussi le successeur particulier qui ne succède pas aux obligations de son auteur n'était-il pas tenu de respecter le bail : emptori quidem fundi, porte la loi 9 C. Locato, necesse non est stare colono. Mais, pour prévenir les recours du colon expulsé, le vendeur avait soin d'insérer une clause qui imposait à l'acquéreur l'obligation de maintenir le colon, et par suite de laquelle celui-ci avait contre cet acquéreur les actions et exceptions qu'il aurait eues contre le bailleur lui-même. Cela résulte de la suite de la même loi. L'acquéreur succédait alors aux obligations du bailleur. La subrogation est-elle autre chose?

Cette clause changeait-elle la nature du droit du preneur, de personnel le rendait-elle réel? M. Troplong n'ose pas aller jusque-là, malgré sa sollicitude en quelque sorte paternelle pour le droit réel.

Admettons que l'interprétation ait toujours sousentendu cette clause; cette supposition est raisonnable, elle est conforme aux principes mêmes de la légis

lation romaine, qui autorise à suppléer les clauses d'usage. L'intérêt qu'avait le bailleur à l'insérer dans l'acte d'aliénation, pour prévenir le recours du preneur, devait faire présumer que son omission était l'effet de l'inattention ou de l'ignorance. Mais la clause sous-entendue ne peut pas produire plus d'effet que la clause formellement exprimée, c'est-à-dire une subrogation.

Faisons un pas encore, rapprochons-nous de l'article 1743. La clause non exprimée pouvait paraître incertaine. S'il y avait des raisons pour l'accueillir, il y en avait pour la combattre. Souvent, en semblable occasion, le législateur, pour prévenir toute incertitude, s'explique formellement et établit une présomption légale. Personne ne lui refuse ce pouvoir si enim pactis conventis hoc fieri conceditur, et in usu quotidiano hoc versari adspicimus, cur non ipsa legis auctoritate hoc permittatur. L. 28, C. de fidejuss. En se faisant ainsi l'interprète des parties, le législateur ne change point les effets de leur volonté; la disposition légale enfante donc ce qu'eût produit la clause, soit expresse, soit tacite: la subrogation.

De là à la règle consacrée par l'art. 1743, la distance n'est pas grande, et la transition est facile. La présomption légale n'a atteint qu'imparfaitement le but que s'est proposé notre législation. C'est beaucoup, sans doute, mais ce n'est pas assez de soustraire le bailleur aux conséquences fâcheuses d'une omission involontaire : aussi le Code s'est-il préoccupé des intérêts du locataire, auquel il a voulu donner une sécurité qui jusque-là lui avait manqué.

En effet, la subrogation, telle qu'elle existait, bien qu'elle profitât au preneur, avait pour objet principal et immédiat l'intérêt du bailleur, dont la responsabilité

était mise à couvert. Mais le preneur restait à la merci des parties contractantes, maîtresses d'admettre ou de rejeter la clause. Il fallait que la disposition de la loi fût protectrice et gardienne des intérêts du preneur comme de ceux du bailleur ; et pour cela il suffisait de lui donner un caractère impératif qui se trouve précisément dans l'art. 1743 : l'acquéreur, y est-il dit, ne peut expulser le fermier ou locataire.

Mais ce caractère impératif altère-t-il la nature du droit qui est conféré? Ce qu'une personne réclame de moi, à titre de service, changerait-il de nature, parce qu'elle pourrait impérieusement l'exiger? Non évidemment. La subrogation sort donc de l'art. 1743, comme nous l'avons vue naître de la clause expresse ou tacite, et de la disposition qui établissait une présomption légale.

Mais je m'aperçois que cette conclusion a trop de portée. Je ne voulais ici que prouver la possibilité du droit personnel, en présence de l'art. 1743, et j'en ai établi l'existence; d'autres arguments vont la confirmer.

On peut les diviser en deux classes: les uns ne tendent qu'à prouver que le législateur a voulu maintenir le droit personnel; les autres démontrent que, dans l'état actuel de la législation sur le louage, il n'a pu, sans contradiction, vouloir autre chose. Ces dernières serviront à établir que le droit du preneur est nécessairement personnel.

Les auteurs du Code civil ont peu innové en matière de contrats; ils n'ont presque fait que reproduire les anciennes règles; et, pour s'en convaincre, il suffit de parcourir les traités de Pothier, dont les dispositions du Code ne sont souvent que le résumé.

Cette observation est surtout applicable au contrat de

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