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dans l'article, et réciproquement. Mais, chose remarquable! la forme des dispositions est absolument la même. Emptorem quidem fundi necesse non est stare colono cui prior dominus locavit, dit la loi romaine. Que porte l'art. 1743 ? L'acquéreur ne peut expulser le fermier ou locataire ; ce qu'on traduirait ainsi : Emptorem quidem fundi necesse est stare colono cui prior dominus locavit. On voit que le sens est opposé, et la forme est identique. Les deux législateurs semblent également s'adresser à l'acquéreur : la loi romaine lui dit qu'il est autorisé à expulser le preneur, parce qu'il n'est pas obligé envers lui; la loi française lui défend d'expulser le preneur, sans doute parce qu'elle entend qu'il soit obligé envers lui.

La loi romaine ajoutait: nisi ea lege emit. Elle autorisait la convention que l'acquéreur ne pourra expulser le fermier; de même, et en sens inverse, notre législation autorise le bailleur et le preneur à convenir qu'en cas d'aliénation, celui-ci pourra être expulsé.

Il résulte de là que, dans quelque situation que nous nous placions, nous nous trouverons toujours en présence de la loi romaine. Dans le cas de l'exception de l'art. 1743, l'acquéreur pourra expulser le fermier. C'était la règle en droit romain; or, le droit du fermier était personnel; pourquoi serait-il autre chez nous ? — Veut-on admettre que l'acquéreur ne pourra expulser le fermier? C'est la règle du Code civil, c'était l'exception du droit romain; or, en droit romain, le fermier protégé par la loi des parties (nisi ea lege emit) n'avait pas pour cela un droit réel; pourquoi la circonstance qu'il est protégé maintenant par la loi émanée de la puissance publique, transformerait-elle son droit? Aussi la question qui s'agite à l'occasion de cette

phrase: l'acquéreur ne peut expulser le fermier, emptor tenetur stare colono, n'eût certainement pas pris naissance au temps des Paul et des Papinien. Que l'acquéreur, auraient-ils dit, soit tenu de respecter le bail par la volonté de son vendeur, ou par celle de la loi ; qu'importe à la nature du droit du preneur? Ne serait-ce pas une chose singulière qu'une obligation imposée à l'acheteur, emptor tenetur stare colono, eût la puissance de créer un droit réel ?

Cette opinion est justifiée par la loi 50 ff. de jure fisci. En effet, sur le conseil de Papinien, l'empereur Antonin Caracalla rendit un rescrit portant que l'acquéreur du fisc serait tenu, sans clause expresse, de maintenir le bail de la chose aliénée, atque si hoc ipsum in emendo convenisset. Pour que l'acquéreur ne pût expulser le colon, il ne parut pas nécessaire de donner à celui-ci un droit réel la subrogation fut considérée comme suffisante.

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Paul, qui rapporte cette décision, la note comme une opinion nouvelle, Papinianus et Messius novam sententiam induxerunt; mais il ne la critique pas. Pourquoi, dira-t-on, si elle n'est pas une décision de faveur, contraire aux principes, pourquoi n'en ont-ils pas fait une règle générale ? C'est que l'utilité publique ne leur paraissait pas exiger qu'ils lui donnassent plus d'étendue. La position précaire du colon n'avait pas encore éveillé l'attention publique; la responsabilité du bailleur était considérée comme une garantie suffisante; la prospérité de l'agriculture ne semblait pas exiger autre chose.

Mais l'intérêt du fisc est trop étroitement lié à l'intérêt général, pour que les esprits ne fussent pas, dans Lous les temps, frappés de cette intime liaison; l'utilit

publique a toujours commandé que les finances soient administrées le mieux possible, afin qu'elles suffisent à tous les besoins et que les impôts ne soient pas trop onéreux.

Dès lors on ne doit pas s'étonner que Papinien et Messius aient fait une règle nouvelle pour le fisc, et qu'ils aient interdit à l'acquéreur des biens de l'État le droit d'expulser le fermier, afin de prévenir un recours nuisible aux intérêts du trésor ne fiscus colono teneretur, quod ei frui non licuisset. Exception d'autant plus raisonnable que le fisc ne peut, comme un simple particulier, agir par lui-même, obligé qu'il est de confier ses intérêts à une multitude d'agents, ordinairement peu soigneux et peu éclairés, quelquefois prévaricateurs. Cependant cette subrogation tacite que Paul ne désapprouve pas, que Papinien et Messius eussent rendue générale s'ils eussent pensé que le bien de la société le demandât, cette subrogation déplaît à M. Troplong.

"

Quoi de plus contraire, dit-il, à la vérité des faits et » à la nature du contrat de bail en droit romain, que >> cette supposition gratuite?

Contraire à la vérité des faits! M. Troplong y a-t-il bien réfléchi? Ne reconnaît-il pas ( no 479) que la clause expresse de respecter le bail était assez fréquente; que

Caïus la conseillait aux vendeurs? Il suffit d'ailleurs de lire la loi 31 § 20, ff. de ædilitio edicto, pour être convaincu qu'au contraire la supposition d'une subrogation est en harmonie parfaite avec les faits et les usages. Cette loi est ainsi conçue : « Quia assidua est duplæ stipula» tio, idcirco placuit etiam ex empto agi posse, si duplam venditor mancipii non caveat: ea enim quæ sunt » moris et consuetudinis in bonæ fidei judiciis debent

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» venire. »

Contraire à la nature du contrat de bail! Comment une clause qu'il est loisible aux parties contractantes de placer expressément dans le contrat de vente, sans blesser la nature du contrat de bail, devient-elle contraire à la nature du contrat de bail, parce qu'elle est sous-entendue dans le contrat de vente ? Est-ce que l'empereur ne pourra pas établir, par forme de disposition légale, ce qui était entre particuliers l'objet habituel et régulier d'une convention?

M. Troplong appuie sa critique sur l'autorité de Cujas. Trois fois il cite ces expressions nova et inaudita sententia, qui se trouvent dans son commentaire sur la loi 50 de jure fisci, mais qu'il avait en grande partie empruntées à la loi elle-même; il les cite comme contenant la censure de la décision. Eh bien ! cette décision, Cujas l'approuve.

On va juger par les citations qui suivent si j'ai bien compris M. Troplong, et si lui-même a bien entendu Cujas.

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Voici le passage de M. Troplong :

« Elle (la loi) contient une décision de l'empereur An>> tonin Caracalla sur un cas privilégié, et cette décision, quoique rendue d'après le conseil de Papinien, » n'était, au jugement de Cujas, qu'un acte de faveur >> au profit du fisc, nova et inaudita sententia..... Mais quoi de plus contraire à la vérité des faits et à la na»ture du contrat de bail en droit romain, que cette supposition gratuite? Aussi Cujas dit-il que l'empe>> reur adoptant cette invention de Papinien (et en note Papinianus hanc novam sententiam excogitavit) ne » fit qu'agir dans un esprit de faveur pour son propre » fisc, et ita fisco suo favit, n° 11. »

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Ailleurs :

« J'ai expliqué ci-dessus les motifs de cette loi toute d'exception et appelée par Cujas nova et inaudita sen» tentia. » no 480.

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Maintenant examinons le texte de Cujas.

« Et expulsus colonus ageret in fiscum ex conducto,

quanti interest frui conductione prædiorum; sed ut >> eo nomine fiscus teneretur colono ex conducto. Exo>> nerandi fisci causâ hanc novam sententiam Papinia»nus, qui et multa alia in jure invenit pro ingenio et » eruditione suá, multumque jus civile locupletavit. Papinianus, inquam, et Messius cui non fuit pudori » esse assessorem Papiniani, hanc novam sententiam » excogitârunt, quâ darent fisco tantam conventionem » non expellendi coloni. Et quamvis hæc nova et inau» dita sententia esset, tamen Antoninus Caracalla imperator, apud quem hæc causa agitabatur, secundum >> eam sententiam pronunciavit, et ità favit fisco suo. »>

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Le sentiment de réprobation que M. Troplong prête à Cujas, le trouve-t-on dans ce passage? Cujas louant Papinien de cette innovation, parlerait-il autrement ? Est-ce la critiquer que de la mettre sur la même ligne que les nombreuses innovations de Papinien dont il le glorifie, multa alia in jure invenit, multumque jus civile locupletavit. Et ces expressions: hæc nova et inaudita sententia, renferme-t-elle le blâme que croit y voir M. Troplong? Elles ont au contraire le caractère de la louange, comme ce qui précède; car elles indiquent que cette opinion paraît si raisonnable, que, malgré sa nouveauté, le jugement l'adopte.

Après avoir montré ce que la forme de l'art. 1743 fournit d'arguments favorables à la doctrine que je cherche à établir, voyons en peu de mots ce qu'expriment les restrictions de ce même article.

IV. 2 SERIE.

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