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les principes que les anciens paraissent avoir admis sur l'organisation sociale, signale l'influence que le christianisme a dû exercer sur la réforme de la société civile; il analyse les écrits les plus remarquables, à commencer par ceux de Machiavel, dont toute la science politique, dit M. Buss, est basée sur la définition du droit : « est droit, tout ce qui mène au but. » D'où résulte que Machiavel a dû s'exprimer différemment en écrivant son Prince qu'il ne l'avait fait en commentant TiteLive.

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M. Buss oppose à Machiavel l'utopie de Thomas Morus, qu'il qualifie de chimère incompatible avec les droits de l'homme. En mentionnant les idées de Buchanan, de Langlet et de Bodin sur la monarchie tempérée, M. Buss fait observer que leurs principes, quoique modérés, ne sont pas assez précis.

Au sujet de la doctrine du jésuite Marianna, qui veut rendre les monarques responsables de leurs actions par-devant leurs nations, M. Buss fait remarquer que le savant espagnol a oublié que, dans l'intérêt des peuples, les souverains doivent être au-dessus et en dehors de toute responsabilité.

Après avoir payé à Bacon et à Grotius un tribut de justes éloges, l'auteur ajoute au sujet de Spinosa que, tout en faisant dériver tout droit social de la peur, il se hâte de présenter ce principe comme étant celui de la sécurité de tous, et que cet écrivain, remarquable par la rigueur de sa logique, a eu soin de ne point sortir de la conception abstraite d'où il était parti.

L'auteur donne une idée des systèmes de Milton, Harrington, Spinosa et Filmer, contre lequel le célèbre Algernon Sidney s'est élevé pour défendre les droits des peuples; mais l'écrivain de cette époque qui a mérité

une mention spéciale de M. Buss, est l'Espagnol Saavedra-Faxardo, dont il transcrit un passage, à la vérité insignifiant, mais d'où l'on aurait tort de conclure que cet écrivain n'ait pas été un des hommes d'état les plus distingués de son siècle.

Le nom de Locke qui s'est présenté à M. Buss, lui offre l'occasion de traiter la théorie transcendentale du rationalisme, que M. Buss considère comme la base du système de Spinosa, et surtout de Locke, mais dont ces écrivains ne semblent pas avoir compris toute l'importance que M. Buss lui donne.

Passant à la philosophie de la religion, M. Buss signale d'une manière saisissante l'influence que Fénelon, Bossuet, Massillon et l'abbé de Saint-Pierre exercèrent sur les esprits, en frayant la route à la grande révolution qui allait s'opérer dans les institutions.

L'auteur ne voit dans le grand ouvrage de Montesquieu que le torse colossal d'une belle statue; on y découvre les plaies des sociétés sans en deviner le remède. L'analyse à la fois profonde et délicate de l'auteur de l'Esprit des lois, n'est, aux yeux de M. Buss, que l'anatomie d'un squelette, et nullement l'histoire de la loi vivante.

Frappé déjà par l'esprit d'irréligion qui domine selon lui tous les écrits de Montesquieu, il fait une amère critique des ouvrages de Voltaire, et, à cette occasion, il s'exprime avec la plus profonde indignation contre l'histoire de M. de Rotteck, dont il déplore la funeste influence sur toutes les classes de la société germanique.

Arrivant à Diderot, que M. Buss appelle le vrai représentant du siècle de transition où il vécut, il croit ne pouvoir mieux exprimer son jugement sur l'Ency

IV. 2o SÉRIE,

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clopédie, qu'en l'appelant une arme infernale et empoisonnée.

M. Buss, détachant quelques passages des ceuvres d'Helvétius, présente cet écrivain comme l'apôtre de l'égoïsme le plus immoral et du plus brutal athéisme. C'est à peu près ainsi que les Molinistes en ont agi avec

les écrits des Jansénistes.

Au point de vue de M. Buss, le discours de J.-J. Rousseau sur l'inégalité des conditions doit être considéré comme un ouvrage sérieux, c'est-à-dire interprété selon la lettre et non selon l'esprit qui l'a dicté. De même les doctrines du Contrat social ne doivent pas être comprises selon le sens qui résulte du rapprochement des différentes thèses répandues dans l'ouvrage; mais chaque phrase séparément, dût-elle contenir la plus grossière erreur. C'est une méthode comme une autre; nous doutons qu'elle ait l'approbation de ce bon sens éclairé et de cette bonne foi que respire l'ouvrage de M. Buss.

Notre auteur, après avoir payé à Vico et à Beccaria un hommage presque forcé, s'arrête à faire une analyse peu bienveillante de Filangiéri. Nous convenons de la légèreté de cet écrivain; mais nous ne saurions approuver M. Buss d'avoir passé sous silence et encore moins de n'avoir pas connu les nombreux articles du système constitutionnel indiqués dans la rapide analyse qu'il donne de l'ouvrage du publiciste italien.

Qu'il nous soit permis d'avancer que M. Buss commet ce paralogisme que les dialecticiens appellent le non causa pro causá, lorsqu'il attribue les déchirements qu'éprouve depuis vingt ans la Péninsule ibérique, aux réformes opérées avec un plein succès par les deux grands hommes d'état Florida Blanca et Pombal.

L'opinion que M. Buss émet sur les trois grands historiens Hume, Robertson et Gibbon, révèle une grande aptitude aux sciences historiques; mais, juste dans son appréciation de Hume, il nous semble ne pas l'avoir été envers le savant historien du siècle de Charles V, et le profond appréciateur des causes de la grandeur et de la décadence du grand empire.

Nous ne passerons pas sous silence la manière habile avec laquelle M. Buss signale l'œuvre de haute sagesse qui dirigea la nation anglaise lorsque, partant des rives du Mississipi qu'il ne lui était plus permis de féconder, elle prit pour théâtre de son exploitation les bords de l'Indus. Ce point est d'autant plus intéressant dans l'actualité, que nous sommes à la veille d'être témoins, pour la seconde fois dans l'espace d'un demisiècle, d'une aussi étonnante mutation, dont l'histoire du monde ne nous offre aucun exemple.

Le tableau des causes et du développement de la révolution française est encore une des parties les mieux élaborées de l'intéressant ouvrage de M. Buss. Le por trait qu'il fait de Mirabeau, l'homme de la révolution, est le plus fidèle qu'on ait jamais tracé. Il faut rendre à M. Buss cette justice, qu'aussi longtemps qu'il reste dans les bornes de l'histoire, il en résume les événements avec une rare précision et une justesse de coupd'œil admirable. Mais lorsque, sortant du domaine de l'histoire, il essaye d'entrer dans celui de la science, sa haute raison l'abandonne, et, entraîné malgré lui par des préjugés de situation, il s'efforce de ramener ses lecteurs à des doctrines qui ont fait leur temps. Ainsi, voulant combattre le médiocre pamphlet des Droits de l'homme de Thomas Payne, au lieu de montrer tout ce qu'il renferme de vague et d'incohérent,

M. Buss s'en vient gourmander Payne de ce qu'il ose dire que les vivants ne doivent pas être gouvernés par les trépassés! Si ceux-ci n'ont pas eu le droit de changer les institutions qu'ils avaient reçues de leurs ancêtres, d'où M. Buss fait-il dériver pour nous l'obligation d'observer ce qu'ils n'avaient pas le droit de faire? Et s'ils avaient ce droit, sur quoi M. Buss se fonde-t-il pour nous le refuser? Si son principe est vrai, il doit l'être pour tous les âges.

Nous comprenons que M. Buss paye un juste tribut d'éloges à Burcke, dont les écrits devraient être médités par tous les partisans des doctrines libérales; mais ce dont on ne saurait assez s'étonner, c'est qu'il admire Erskine, quand ce lord proclame comme un devoir des gouvernements de punir les écrivains qui enseignent des doctrines contraires à celles qu'il plaira aux juges de déclarer contraires à la volonté de la divinité.

Le suffrage d'un esprit aussi distingué que M. Buss nous est précieux, lorsqu'il s'agit d'apprécier cette stérile abstraction, avec laquelle on pervertit pendant longtemps l'esprit de la jeunesse, sous le nom de Droit de la nature. Mais nous voyons avec peine le savant auteur épouser la puérile vanité de quelques esprits médiocres, lesquels s'en vont affirmant que tous ou presque tous les grands écrivains du dix-huitième siècle ont érigé en principe, que l'utilité individuelle, la satisfaction des passions sensuelles de chacun, le plus grossier égoïsme en un mot, est la seule source du juste et de l'honnête. Partant de là, ces hommes de peu de conscience ont osé appeler utilitaires et sensualistes, les hommes les plus éminents par l'esprit et le cœur. Nous n'entrerons pas ici dans l'examen des principes indiqués par l'auteur sur ce qu'il veut qu'on entende

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