Page images
PDF
EPUB

tionnelles, tous les droits que leur débiteur négligerait d'exercer dans une communauté légale. Pour tout dire en un mot, les créanciers peuvent exercer tous les droits (1166), toutes les actions personnelles, réelles ou mixtes, qui appartiennent à leur débiteur, méme l'action pour le faire déclarer légitime. » L'auteur renvoie ensuite au 6o plaidoyer de d'Aguesseau.

Merlin, dans son Répertoire, v° Légitimité, sect. IV, §1, décide la question également d'une manière péremptoire: « La règle la plus sûre pour connaître si celui qui conteste l'état d'un enfant y doit être admis, est de savoir s'il y est intéressé, en quelque manière que ce soit. En effet, la question d'état n'a rien de particulier, qui la distingue à cet égard des autres contestations, et qui empêche les parties interessées de la formuler. C'est par le même principe que se décide la question de savoir, si un étranger peut être admis à soutenir la légitimité d'un enfant. » Suit alors le même fragment du plaidoyer de d'Aguesseau. M. Pailliet, dans son Manuel de droit. français, sur l'art. 1166, note 3, partage la même opinion; il cite les paroles de Toullier, et renvoie au même plaidoyer de d'Aguesseau.

Mais l'espèce dans laquelle le célèbre chancelier avait porté la parole en faveur des créanciers, n'était pas la même que celle dont il s'agit maintenant. Là, les créanciers avaient simplement demandé ce qui revenait à leur débiteur dans une succession, et ils étaient repoussés par les cohéritiers qui contestaient l'état civil du débiteur; les créanciers devaient alors avoir le droit de discuter la question d'état, d'après la règle : Ubi actio ibi et exceptio, dont la réciproque est également vraie. Le droit de se défendre quand on est attaqué dans un endroit quelconque ne peut souffrir de limites. Tel était le cas

dans l'affaire où d'Aguesseau prit la parole : les créanciers étaient mis en demeure de prouver leur droit, il était donc impossible de leur en refuser les moyens. Mais il en est autrement, quand la question d'état forme de la part des créanciers une action introductive d'instance, une réclamation d'un état qui n'est fondé ni sur un titre, ni sur une possession constante.

Cette différence a été sentie par Delvincourt (Cours de Droit civil, éd. de 1819, t. II, p. 736). Après avoir posé Ja question de savoir, si les créanciers pourraient intenter l'action de la réclamation d'état, appartenant à leur débiteur, l'auteur continue ainsi : « Je pencherais volontiers pour l'affirmative; ce n'est pas que l'état ne soit un droit purement personnel; mais comme le plus souvent l'état n'est réclamé que comme un moyen d'acquérir des droits pécuniaires, je ne vois pas pourquoi les créanciers, sans élever précisément la question d'état, ne pourraient pas se contenter de réclamer les droits appartenant à leur débiteur; et si les défendeurs, pour repousser cette demande, contestaient l'état de ce dernier, pourquoi ils ne seraient pas admis à le prouver, comme le débiteur lui-même. Dans ce cas, la question d'état ne serait regardée que comme un moyen employé, soit par le demandeur, soit par le défendeur, à l'appui de la question principale. »

D'abord le jurisconsulte dont nous venons de citer les paroles se contredit ; il penche pour l'opinion qui permet aux créanciers d'intenter l'action; mais reconnaissant que l'état est un droit purement personnel, c'est-à-dire exclusivement attaché à la personne, par conséquent exclu par les paroles mêmes de l'art. 1166 du Code civil, l'auteur conseille aux créanciers d'employer un détour et de réclamer simplement les droits appartenant à leur

débiteur, sauf, en cas de contestation de la part des défendeurs, à faire, par voie d'exception, ce qu'il reconnaît lui-même ne pouvoir leur être permis de faire par voie d'action.

Par conséquent il viole l'axiome reçu en matière de droit, qu'on ne peut faire indirectement ce que la loi défend de faire, directement. En effet le bon sens montre au premier abord, qu'il n'y aurait plus la moindre garantie pour l'éxécution des lois, si on pouvait en éluder ainsi les dispositions. Sans aller plus loin, prenons l'art. 340 pour exemple; il défend la recherche de la paternité; mais quel serait l'effet de cette disposition si salutaire, si un individu né hors mariage, et que le père n'avait pas reconnu, ou l'ayant droit de cet individu, pouvait réclamer une part dans la succession de son père, et, ses droits à cette succession étant contestés, prouver qu'il est l'enfant du défunt. Eh bien! la similitude est parfaite du moment que le créancier ne peut intenter l'action en réclamation d'état, il doit de même succomber quand il institue une autre action dans le but unique d'éluder les termes de la loi.

Nous aimons donc bien mieux l'opinion franche de Toullier et de Merlin ci-dessus énoncée, et c'est l'opinion que nous allons tâcher de combattre. Nous considérerons: 1o la nature de l'action en réclamation d'état; 2° nous exposerons l'origine du droit concédé aux créanciers par l'article 1166 du Code civil; nous examinerons les termes et l'esprit de cette disposition, et ses rapports avec le reste du droit civil.

I. La nature de l'action en réclamation d'état diffère essentiellement des autres actions ordinaires. Le législateur lui-même a signalé cette différence par plusieurs dispositions exceptionnelles.

Il déclare que tout ce qui regarde l'état des personnes est invariable, et suit les individus même dans les pays étrangers où ils résident (art. 3 du Code civil).

Il admet dans des cas bien exactement définis la preuve testimoniale, preuve à l'égard de laquelle le législateur français a montré tant de défiance; et, en admettant la preuve contraire, il fait une exception remarquable à la règle : Pater est quem nuptiæ demonstrant (art. 323 325).

Enfin l'imprescriptibilité de l'action en réclamation d'état à l'égard de l'enfant est établie par l'art. 328.

La prescription, qui est tellement de droit public, que l'art. 2220 du Code civil défend d'y renoncer d'avance, est ici tout à fait supprimée par le législateur qui permet à l'enfant, à toute époque, et quelque long qu'ait été son silence, de réclamer son état. Le motif de cette anomalie est, que la prescription ne s'applique qu'aux choses qui sont dans le commerce (art. 2226), c'est-àdire qui peuvent être achetées ou vendues; or l'état des hommes n'est certainement pas dans le commerce.

Autre déviation du droit commun. Toute action peut être intentée par les héritiers de celui à qui elle appartenait ; cependant l'art. 329 défend aux héritiers de l'enfant qui n'a pas réclamé, d'intenter l'action, s'il n'est décédé mineur, ou dans les cinq années après sa majorité. L'enfant qui, après avoir atteint l'âge de la majorité, laisse passer cinq ans sans faire de réclamation, est supposé par la loi avoir renoncé à ses droits ; et chaque fois que l'enfant est censé avoir renoncé à exercer l'action en réclamation d'état, les héritiers ne peuvent l'intenter. C'est sur ce même principe que repose la disposition de l'art. 330. Et ce serait aux créanciers qu'on permettrait la libre faculté de faire ce qu'on ne concède pas même

aux héritiers, qui représentent pourtant, en règle générale, la personne du défunt! En effet, ou l'enfant vit et ne veut pas agir lui-même, et les créanciers auraient alors le droit de le faire entrer contre son gré dans une famille dont il n'entend pas être membre; ou il est décédé, et quand il atteint sa vingt-sixième année sans avoir réclamé, les créanciers pourraient exercer une action qui serait refusée aux héritiers en vertu de l'art. 329. Dans la première hypothèse, les créanciers forceront le débiteur à changer son état civil, ce qui est absurde ; dans la seconde, les héritiers auraient moins de droit que les créanciers, ce qui est encore inadmissible, et contraire à la règle que les moyens de droit doivent être concédés de préférence à ceux qui ont le plus grand intérêt à les employer. Il résulte de tout cela que l'action en réclamation ne saurait être exercée que par l'enfant même, ou par ses héritiers, s'il n'est pas supposé y avoir

renoncé.

II. Le droit romain ne donnait aux créanciers que l'action révocatoire (actio Pauliana) par laquelle ceuxci pouvaient révoquer et faire annuler les actes de leurs débiteurs qui avaient été faits en fraude de leurs droits. Ce principe a été consacré de même par l'art. 1167 du Code civil et développé par une foule d'autres articles des Codes civil, de procédure et de commerce. Mais le droit romain ne donnait aux créanciers aucune faculté d'exercer les droits de leurs débiteurs, que ceux-ci ne voulaient pas faire valoir eux-mêmes : « Quod autem

[ocr errors]

cum possit aliquid quærere, non id agit, ut acquirat, » ad hoc edictum non pertinet; pertinet enim edictum » ad diminuentes patrimonium suum, non ad eos qui id agunt ne locupletentur. » fr. 6. D. quæ in fraud. cred., 42, 8; fr. 134, D. de R. J.-Les auteurs de

D

[ocr errors]
« PreviousContinue »