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notre Code civil ont voulu étendre la faculté qu'ont les créanciers d'intervenir dans les affaires de leur débiteur au cas même où celui-ci ne voudrait pas faire valoir ses droits ou actions, et ils ont inséré l'art. 1166 dans le Code. Cette disposition est le juste corollaire de la règle exprimée dans les articles 2092 et 2093 du Code civil, que tous les biens du débiteur sont le gage du créancier ; et comme les droits et actions du débiteur font également partie de ses biens, de son patrimoine, le créancier qui exerce un droit ou une action de son débiteur, ne fait en réalité que conserver son propre gage. Tout ce qui est dans le commerce, tout ce qui peut être acheté ou vendu, forme le patrimoine du débiteur; mais ce qui regarde l'état d'une personne, n'est pas dans le commerce. Toute convention qui aurait pour objet l'état des personnes serait nulle (art. 1128), et l'art. 1780 qui établit qu'on ne peut engager ses services qu'à temps, ou pour une entreprise déterminée, témoigne de la sollicitude du législateur à empêcher que l'état des personnes ne puisse jamais faire l'objet d'un contrat. Ainsi le motif de la loi, ratio legis, comme disaient les Romains, n'est pas applicable à l'espèce; l'article 1166 est fondé sur ce que tous les biens du débiteur qui sont dans le commerce, forment le gage des créanciers ; l'article ne peut donc s'appliquer à une chose que la loi elle-même déclare être hors de tout commerce.

Ce raisonnement se trouve corroboré par la considération de la place qu'occupe l'article 1166. Nous connaissons la faiblesse ordinaire des arguments ex rubricá; mais comme ici la rubrique a été faite exclusivement pour les trois articles 1165-1167, il est sûr que le législateur n'a pu manquer de la rédiger conforme au contenu. Eh bien ! la section où il s'agit de la faculté accordée aux créanciers, est intitulée : « De l'effet des conventions à

l'égard des tiers. » Les droits des créanciers ne s'appliquent donc qu'à ce qui résulte des conventions, qu'à ce qui est ou a été l'objet de quelque transaction; et il est également évident que tout ce qui regarde l'état des personnes ne peut être l'objet d'une transaction.

Cependant le législateur a craint que les créanciers ne fissent un abus de la faculté que leur concédait l'article 1166, et il y a ajouté une exception fort importante:

... Les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l'exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne. »

Par cette clause tout droit résultant de la qualité même de la personne, ne peut être exercé par le créancier en vertu de l'art. 1166. Ainsi il ne peut accepter pour son débiteur une donation; il ne peut exercer les droits d'usage et d'habitation, qui appartiennent à son débiteur; il ne peut exclure un étranger du partage; enfin il ne pourrait accepter la succession auquel le débiteur a renoncé, si l'art. 788 ne lui en accordait la faculté expresse.

L'ancien droit français donnait déjà cette faculté au créancier; les auteurs du Code de 1803 ont jugé nécessaire de s'en expliquer par une disposition particulière, quoiqu'ils eussent attribué aux créanciers le droit général d'exercer les actions de leur débiteur; parce que cette même disposition défendait au créancier d'exercer un droit attaché à la personne du débiteur, et qu'ils jugeaient que le créancier se trouverait en conséquence privé de la faculté d'accepter la succession dévolue à leur débiteur. En outre, remarquons bien que le débiteur ne change pas de qualité par l'acceptation de son créancier; il ne peut ni en profiter, ni en souffrir quelque dommage (art. 788, al. 2).

Enfin, quel droit est plus exclusivement attaché à la personne que le droit de se faire déclarer l'enfant de telle personne, ou membre de telle famille ? Qu'est-ce qui tient de plus près de l'état des personnes, que l'action qui tend à changer ou à modifier cet état même. Le créancier ne peut accepter une donation faite à son débiteur, parce que celui-ci ne veut pas contracter d'obligation envers le donateur, et il pourrait contraindre ce même débiteur à entrer dans une famille où il ne veut pas entrer, et qui le regardera toujours, et malgré toute sentence judiciaire, comme un étranger? Lorsque le législateur a senti lui-même qu'une disposition spéciale était nécessaire afin que le créancier pût accepter une succession échue, et, par conséquent, exercer un droit qui n'est nullement contesté, nous permettrions au créancier, sans aucune déclaration de la part de la loi, de changer, dans un but d'intérêt pécuniaire, l'état civil de son débiteur; ce serait le renversement de toute logique. En résumé :

1° La faculté attribuée aux créanciers par l'art. 1166 n'étant que le corollaire et le complément de la règle que tous les biens du débiteur sont le gage de ses créanciers, c'est-à-dire que ceux-ci ont un droit sur tout ce qui compose le patrimoine du débiteur; dont les choses hors le commerce ne peuvent faire partie ;

2o Tout ce qui regarde l'état des personnes, ne pouvant être, d'après les principes de notre droit civil, l'objet d'une transaction ou convention quelconque, et étant par conséquent hors de tout commerce;

3o L'action en réclamation d'état ne perdant aucunement sa nature particulière, parce qu'elle ne serait instituée qu'en vue d'un avantage pécuniaire ou appréciable en argent ;

4o Les termes de l'art. 1166, la place qu'occupe cet article dans le Code, et son rapprochement avec l'article 788, enlevant aux créanciers la faculté d'exercer un droit personnel au débiteur ;

Il suit invinciblement que le créancier ne saurait se prévaloir de l'art. 1166, pour exercer une action en réclamation d'état appartenant à son débiteur, quand bien même le sort de sa créance en dépendrait.

Il faut convenir que nous avons de grandes autorités contre nous; mais nous en avons aussi en notre faveur. Voici comment s'exprime M. Duranton (tome X, n° 563):

« Quant à la question de savoir si les créanciers d'un individu pourraient exercer en son nom une action en réclamation d'état, nous l'avons discutée au tom. III, no 160, où nous citons à ce sujet les paroles de M. d'Aguesseau, qui, tout en se retraçant les graves objections. que l'on pourrait élever contre son sentiment, a néanmoins été de l'avis de l'affirmative dans une cause où il a porté la parole, mais où il y avait toutefois des circonstances particulières. Selon nous, une véritable réclamation d'état (parce que l'enfant ne serait point en possession de son état), est un droit de la nature de ceux que les créanciers ne peuvent exercer, quoique les héritiers de l'enfant, qui n'a pas réclamé, puissent euxmême le faire dans les cas prévus par la loi (art. 329330). Sans doute des droits pécuniaires peuvent être attachés à l'état de la personne, et il en est même presque toujours ainsi; mais ces droits ne sont qu'un objet indirect de la réclamation d'état, une simple circonstance de l'état lui-même, qui est un droit de la personne, un droit inaliénable, imprescriptible, caractères absolument différents des caractères qu'ont les

droits qui ont pour objet direct des biens, ou qui y ont rapport.

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Enfin la Cour suprême, par un arrêt du 6 juillet 1836, a refusé aux créanciers d'intervenir dans une procédure pareille.

L.-J. KOENIGSWARTER.

LVII. Des mariages contractés en pays étranger. — Législation comparée.

Par M. FELIX (Suite. V. plus haut, p. 433 et 633.)

§ 5. Nécessité du consentement d'autres personnes. En France, dans les pays détachés, en 1814 et 1815, et en Belgique, les art. 148 à 160 inclusivement font la loi de la matière. En outre, les militaires de tout grade, en activité de service dans l'armée de terre ou de mer, les officiers réformés jouissant d'un traitement, les intendants et sous-intendants militaires et leurs adjoints, et les officiers de santé, ne peuvent contracter mariage avant d'en avoir obtenu la permission du ministre de la guerre ou du conseil d'administration du corps (décrets des 15 juin, 3 et 28 août, et 21 décembre 1808)1.

Les dispositions du Code français ont été reproduites par celui d'Haïti (art. 136 à 148) avec deux modifica tions 1° l'art. 141 (153 du Code français) commence dans les termes suivants : « Après l'âge de 30 ans pour » les fils et de 25 ans pour la fille, il pourra être, etc.; 2o l'art. 148 substitue le conseil de famille au tuteur ad hoc, dont parle l'art. 159 du Code civil français.

Pays-Bas. Les enfants légitimes ne peuvent, durant

1 Toullier, t. 1, no 557.

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