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par droit naturel, pas plus que des raisons par lui alléguées contre ses illustres devanciers, Kant, Fichte, Schelling, Hegel, Stahl, Steffens, Freseler, etc. Nous nous bornerons à faire remarquer que le reproche commun que ces doctes écrivains se renvoient les uns aux autres, c'est celui d'être inintelligibles, tous pour chacun et chacun pour tous.

Nous comprenons beaucoup mieux les arguments que l'auteur oppose aux principes théocratiques des Bonald, des Le Maistre, des Lamenais, des Adam Müller, etc. Nous aurions seulement souhaité qu'il eût puisé ses raisons dans des principes reconnus par ses adversaires, et non dans un ordre d'idées qu'il fallait commencer par leur faire admettre.

en

Nous ne suivrons pas M. Buss dans son examen, d'ailleurs fort remarquable, du gouvernement France. Car à force de citer de longs passages des discours tenus à la tribune par les hommes d'état, il est tombé dans l'inconvénient de grossir de trois quarts le volume de l'ouvrage, qui, sans cela, serait resté dans les dimensions d'une véritable introduction.

Nous rentrons en matière avec l'auteur à la moitié du second volume, où il reprend l'histoire de la science. Il commence par M. Lerminier, auquel il concède le mérite d'avoir dirigé la marche de la philosophie en France par les voies du profond savoir qui distingue celle de l'Allemagne. Il y a seulement cette différence, dit M. Buss, que les écrivains d'outre-Rhin n'ont su se rendre inintelligibles les uns aux autres, ainsi qu'ils se le reprochent mutuellement, qu'en s'entourant d'une atmosphère nébuleuse; tandis que M. Lerminier et consorts se sont cachés derrière un éclat de métaphores et de catachrèses tellement brillantes que, semblables à la

trop vive lumière du soleil, elles ne permettent aux regards de personne d'y pénétrer. Aussi M. Buss, après avoir transcrit quelques passages de M. Lerminier, ajoute-t-il qu'autant qu'il peut le comprendre, cet écrivain, poussé par une ardeur démesurée et marchant dans les ténèbres sans autre guide qu'un confus désir de savoir, au lieu d'exprimer les idées des philosophes allemands, ne fait que les travestir.

Suit un parallèle entre M. Jouffroy et M. Schutzenberger, auteur des Études de droit public. Pur sang allemand, dit M. Buss, ce jeune écrivain n'égale pas M. Jouffroy en talent critique, mais il le surpasse en génie créateur. Cependant, retenu par les liens de l'empirique école écossaise, il n'a pas atteint encore à la hauteur de la synthèse anthropologique de l'école allemande, dont par-ci par-là on s'aperçoit qu'il a senti la nécessité.

On ne lira pas sans fruit l'esquisse que M. Buss trace des vues tantôt profondes, tantôt extravagantes des deux sectes réformatrices de Saint-Simon et de Fourier, de même que l'exposé des doctrines de Montlosier et de M. de Châteaubriand, qu'il nomme les deux représentants les plus distingués de l'école légi

timiste.

Quoique M. Buss regarde les doctrines des deux écoles qu'il vient de définir, comme incomplètes, il en donne une idée assez juste, et même il en approuve la plupart des principes. Ce n'est pas de même quant à la troisième école qu'il nomme rationaliste ; car, nonseulement il en donne une idée incomplète, mais il la présente sous un faux jour.

Selon M. Buss, c'est dans l'idéal de sa nature, que le philosophe vraiment digne de ce nom doit aller puiser

les lois de la société humaine. Ce n'est qu'en remontant aux hautes sphères de la raison pure, qu'il peut espérer de découvrir les lois qui régissent les esprits; et, à moins d'être matérialiste, c'est pour les esprits que l'on doit faire les lois; tenir compte de la partie matérielle de l'homme, c'est la rabaisser à la condition des brutes.

Quel besoin avons-nous, après une si belle théorie, de nous occuper de ce que Courtet de l'Isle, Comte, Dunoyer, Tocqueville, Lamennais, peuvent avoir écrit sous des inspirations aussi peu dignes du souffle de la divinité? Cependant M. Buss s'est écarté ici de ses habitudes, et a bien voulu descendre à discuter ces doctrines.

Après avoir parcouru les orbites excentriques des deux écoles désignées par M. Buss sous les noms de rationaliste et matérialiste, il revient à l'école historique, modifiée en France par des vues plus précises, et qualifiée d'école doctrinaire.

On s'aperçoit que l'auteur s'y plait mieux que dans toutes les autres, à la manière dont il expose les idées de MM. Guizot, Hepp, Carné, Chevalier, Alletz, Zuaznavar et Romagnosi.

Il y a lieu de regretter que l'ouvrage de M. Hello, sous le titre de Philosophie du droit, n'eût pas encore paru à l'époque où fut écrite l'introduction de M. Buss, nous y avons perdu une appréciation peut-être sévère, mais qui, à coup sûr, n'eût manqué ni de verve ni d'originalité.

A l'aide d'une certaine transition d'idées, l'auteur reprend le fil du précis d'histoire constitutionnelle de la Grande-Bretagne qu'il avait interrompu, et il s'en acquitte avec un égal bonheur.

Quoique cette partie de son ouvrage semblât exclure l'exposé des doctrines particulières à tel ou tel écrivain anglais, dont la place était dans une des écoles dont l'auteur avait précédemment parlé, il a cru devoir réserver les trois publicistes anglais Godwin, Bentham et Allen, pour le moment où il aurait à terminer le tableau de la constitution britannique. Tout en reconnaissant le mérite des deux premiers écrivains, il n'affirme pas moins que Godwin considère les gouvernements comme une de ces calamités qui pèsent sur l'espèce humaine, mais dont celle-ci parviendra un jour, en se perfectionnant, à se débarrasser. Nous avons déjà vu que M. Buss préfère la lettre à l'esprit. S'il préférait l'esprit à la lettre, il n'aurait attribué ni à Machiavel, ni à Rousseau, ni à Godwin, comme des assertions absolues et par conséquent absurdes, de simples hypothèses émises pour arriver à des conclusions applicables à la réalité des choses parmi les hommes tels que la nature les a faits, et tels que leurs passion les ont modifiés ensuite.

M. Buss, laissant de côté le barbarisme du langage de Bentham, dès que Dumont n'était pas là pour le traduire en phrases courantes, prononce dans le style nébuleux de son école, que cet écrivain est un démolisseur de la nature de l'homme, et que sa pénétrante sagacité n'offre pas une compensation pour la reconstruction objective et spirituelle de ce qui est basé sur la nature et l'histoire; que Bentham, dans les travaux très-utiles aussi longtemps qu'il ne s'agit que de jeter les fondements de l'édifice social', n'a pas su élever

1 Comment le démolisseur de la nature de l'homme peut-il poser les fondements de l'édifice social?

ses regards jusqu'à l'éternité et la spiritualité de l'hu

manité.

Quant à Allen, la sympathie de M. Buss lui est acquise d'avance, parce qu'il adopte comme base de son système, le principe de l'école historique, savoir que la sagesse du réformateur ne consiste pas à débarrasser la société à la fois de tous les maux dont on pourrait la soulager, mais de réformer certaines institutions parce qu'elles sont vicieuses, en laissant subsister d'autres, quoiqu'elles soient tout aussi vicieuses, et qu'étant en outre incompatibles avec les réformes, elles ne peuvent qu'en frustrer en grande partie l'effet et aggraver par là le mal auquel il s'agissait de remédier. M. Buss cite, à l'appui de ce principe, la marche que suit l'Allemagne dans sa réformation progressive, et l'autorité de quelques grands publicistes, tels que Zachariæ, Dahlmann, Vollgraff, Schmitthenner.

L'auteur n'a pas réfléchi que dans tous les pays où les révolutions politiques se sont opérées, depuis Dresde jusqu'à Lisbonne, on s'est conformé au principe fondamental de l'école historique, que nous venons de mentionner, en ce que partout on n'a touché qu'à une partie des institutions anciennes; et que, si les résultats n'ont pas répondu à l'attente, c'est précisément parce que les anciennes institutions maintenues sont incompatibles avec les nouvelles, qu'on a inconsidérément espéré pouvoir faire marcher d'accord avec elles; parce que partout on s'est contenté de proclamer des Codes politiques, bâclés à la hâte et composés d'une certaine quantité de thèses très-générales, très-vagues, incohérentes et souvent contradictoires, et toujours insuffisantes, sans songer que ces Codes, fussent-ils les plus complets et les mieux coordonnés, jamais ne

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