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» tous ses actes et les pénètre d'un élément de préca» rité. » N° 4.

Mais l'auteur reconnaît ensuite que le bail impose une sorte de restriction au droit d'user et d'abuser du propriétaire; que cette limitation du droit de propriété est une charge; que bien que ce soit une charge productive, elle impose au maître une privation qui peut devenir accidentellement gênante, et il continue en ces termes : « C'est là un empêchement que le propriétaire doit né>> cessairement subir; empêchement qui affecte la chose » et qui, la suivant en quelques mains qu'elle passe, » semble constituer, d'après le droit nouveau, un droit » réel pour le fermier, c'est-à-dire un droit absolu, et >> non pas seulement un rapport particulier entre le bail» leur et le preneur. » No 5.

D

On lit enfin, au no 6 :

« Il est vrai que ce mode d'exploitation attribue un » droit au bailliste qui en est l'agent; à savoir d'en » Fester détenteur pendant toute la durée du bail et de » conduire à fin l'exploitation convenue. D'où il suit que >> son industrie et son occupation accompagnent l'im» meuble en quelques mains qu'il passe, et que les tiers » sont tenus de plein droit de prendre la chose avec ce procédé particulier de mise en rapport. Voilà pourquoi >> j'ai cru pouvoir avancer que le droit du bailliste est un » droit réel, car le droit réel est défini par les docteurs » facultas hominis in rem competens sine respectu ad » certam personam. Tout droit absolu est un droit réel, » et celui dont nous parlons a ce caractère. » No 6.

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Le premier de ces trois passages sert d'introduction aux deux autres. Il annonce la conclusion qui est que tous les baux d'immeubles, quelle que soit leur durée, confèrent un droit réel immobilier; et cependant ce droit

réel immobilier « ne crée pas un de ces démembrements » de la propriété qui, comme l'usufruit, etc., appauvris» sent le propriétaire. En baillant on ne fractionne et » n'amoindrit pas son droit de propriété. »

Le locataire ne possède pas animo domini; la pensée du droit d'autrui pénètre tous ses actes d'un élément de précarité; aussi « le fermier a beau s'exalter sur la na>> ture de son droit, son sort est lié à celui du proprié» taire ; il travaille pour lui mettre son revenu dans la >> main; il est son intermédiaire entre sa terre et lui; il >> est son ouvrier de même que le locataire est son collec» teur. » No ↳ in-fine.

Il y aurait de quoi désoler un logicien ordinaire à qui on imposerait la tâche d'arriver à la démonstration de l'existence du droit réel, en partant de ces proposi

tions.

Quoi, dirait-il, en donnant à bail, le propriétaire ne fractionne et n'amoindrit pas son droit de propriété! Et on veut que je prouve que le preneur a un droit réel immobilier !

la

Le locataire n'a qu'une possession d'emprunt, ne possède pas animo domini; il n'est pour ainsi dire qu'un procureur jouissant pour le maître ; il est dominé par pensée du droit d'autrui qui s'attache à tous ses actes et les pénétre d'un élément de précarité.

Et on me condamne à démontrer qu'il a un droit réel immobilier! Et comme pour accroître la difficulté de la tâche, on le compare à l'usufruitier qui, mieux partagé, possède un démembrement distinct de la chose, qui la possède comme maître et non pour autrui, qui peut lui, s'exalter sur la nature de son droit, et dans sa sphère, braver le nu propriétaire, se poser en rival et lui dire je ne vous dois rien, N. 4.

Mais ce sont là de petits obstacles qui n'arrêtent pas un instant la marche de M Troplong, ainsi que nous l'apprennent les deux dernières citations.

Qu'importe, en effet, la possession d'emprunt, la précarité, la qualité de procureur, d'ouvrier, attribuée au fermier, et celle de collecteur donnée au locataire de maison; qu'importe tout cela, du moment que le bail produit un empêchement qui affecte la chose et la suit en quelque endroit qu'elle passe, ou en d'autres termes, du moment que l'industrie du bailliste et son occupation accompagnent l'immeuble en quelques mains qu'il passe, et que les tiers sont tenus de plein droit de prendre la chose avec le procédé particulier de mise en rapport. Cela ne suffit-il pas pour conclure que cet empêchement SEMBLE constituer un droit réel; ou plus affirmativement, que le droit de bailliste est un droit réel, car tout droit absolu est un droit réel, et celui du preneur a ce caractère. En effet « pouvons-nous faire, dit plus loin l'au» teur, n. 7, qu'un droit que les deux tiers sont obligés » de respecter, ne soit pas un droit absolu, ou en d'au>> tres termes un droit réel ? »

On voit que M. Troplong déduit sa conclusion, sans se mettre en peine de prouver la vérité des prémisses auxquelles elle se rattache, tant, probablement, leur évidence lui a paru frappante. Cependant la circonstance que les savants auteurs qu'il essaye de réfuter, après avoir pesé l'importance du changement introduit par l'art. 1743, ont néanmoins persisté dans l'ancienne doctrine, aurait dû faire naître quelque scrupule dans son esprit, et l'engager à sonder un peu le terrain, sur lequel il voulait élever son nouvel édifice.

Mais sa confiance dans ses assertions, no 8, paraît si entière, qu'après l'exposé que nous venons de rapporter,

il procède comme s'il avait complétement rempli sa tâche, comme s'il n'avait plus rien à prouver.

Il passe, en effet, immédiatement à la réfutation des arguments de ses adversaires. Voyons, dit-il, n° 9, les principales objections.

Accoutumé à juger les allégations des auteurs par la force de leurs raisons, nous prendrons la liberté de soumettre à un examen scrupuleux la doctrine de M. Troplong. Présentons-la d'abord sous la forme rigoureuse d'un syllogisme.

Le droit de suite, selon lui, est un caractère distinctif du droit réel.

Or le droit du preneur qui affecte la chose, qui la suit en quelque main qu'elle passe, est armé du droit de suite. N. 13.

Donc le droit est réel.

La conclusion est légitimement déduite; le droit du preneur est effectivement réel, si les prémisses sont

vraies.

Le sont elles?

Est-il vrai que la suite soit un caractère distinctif du droit réel?

Est-il vrai que le preneur jouisse du droit de suite? Demander si la suite est un caractère distinctif du droit réel, c'est demander si jamais elle n'est unie au droit personnel.

:

Si elle s'attache quelquefois à celui-ci, elle ne peut servir à reconnaître l'autre tout au plus, elle sera une présomption en faveur de la réalité, puisqu'elle en est le caractère habituel, tandis qu'elle n'est attachée que par accident au droit personnel.

Ce caractère accidentel du droit personnel était assez fréquent dans la législation romaine on le trouvait

:

notamment dans les droits qui donnaient naissance aux actions quod metus causá, et ad exhibendum, et aux actions noxales.

Chez nous, nous le rencontrons également dans les droits qu'on exerce par les actions de bornage et de partage d'une chose commune.

L'action ad exhibendum est donnée précisément contre les mêmes personnes qui seraient tenues de l'action en revendication, c'est-à-dire, de l'action propre au droit réel; elles sont accordées l'une et l'autre contre tout tiers détenteur, ou contre quiconque a, par dol cessé de posséder, adversùs possidentem et adversùs eum qui dolo desiit possidere.

Le droit, objet de l'action ad exhibendum, sera donc réel comme l'est celui qui est l'objet de la revendication, puisque l'un et l'autre est armé du droit de suite. (N° 13)!

Et les actions noxales pour lesquelles a été faite la règle noxa caput sequitur, auront donc aussi pour objet des droits réels!

Il en sera de même du droit de poursuivre la condamnation à une peine pour vol, rapt, injure, dommage.

Cela répugne à la science, à la raison; et cependant M. Troplong s'est mis dans la nécessité d'admettre ces diverses conséquences. « Qu'est-ce en effet, dit-il, qu'un » droit qui de la personne rejaillit sur la chose par une » affectation directe et incessante, qui suit cette chose » de main en main, qui survit aux aliénations et aux changements de propriétaires, est-ce un inconnu dans » la jurisprudence? Non, les jurisconsultes de tous les » temps l'ont nommé un droit réel?» No 491.

D

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M. Troplong est assurément un écrivain doué d'une imagination brillante, un savant magistrat, un homme

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