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Il est à regretter qu'après la suppression des mots : << S'il est trouvé en France, » les rédacteurs du Code n'aient pas réuni en une seule phrase les deux parties dont se compose l'article 14, et qu'ils n'aient employé qu'un seul des mots « cité » et « traduit. » Cette rédaction plus précise, adoptée dans quelques-uns des Codes auxquels le Code civil a servi de modèle, aurait prévenu les contestations qui se sont élevées de temps à autre et dans lesquelles on a prétendu établir une différence entre les deux parties de l'article 14, en soutenant que le mot traduire ne peut s'appliquer qu'au cas où la personne de l'étranger est trouvée en France'.

131. L'article 14 ne désigne pas le tribunal devant lequel le demandeur français qui se prévaut de cet article, doit faire assigner son débiteur étranger. Il faut distinguer. Si le défendeur se trouve en France, l'assignation doit lui être donnée devant le tribunal du lieu où il réside de fait, conformément à l'article 59 du Code de procédure civile. S'il ne réside pas en France, le demandeur a le choix entre tous les tribunaux du royaume 3, à la différence de quelques législations étrangères dont nous parlerons infrà, no 146, et qui, dans des cas analogues, désignent spécialement le tribunal devant lequel l'assignation doit être donnée.

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1 V. Malleville sur l'article 14, et les débats qui ont précédé l'arrêt de la cour de cassation, durer juillet 1829 (Sirey, 1829,1,326).

2 Arrêts de la cour royale de Paris, des 9 mai et 20 août 1835. Sirey, 1835, II, 278. Gazette des tribunaux du 25 octobre 1835. Arrêt de la cour royale de Cologne du 2 août 1824. Archives, T. VI, I, p. 185. V. aussi Pailliet, Dictionnaire, o Action concernant les étrangers, nos 52-60.

3 Guichard, Traité des droits civils, nos 276 et suiv. M. Coin-Delille, Jouissance et privation des droits civils, nos 27 et suiv. M. Legat, p. 316.

132. L'article 14 est applicable d'abord dans tous les cas où un étranger s'est engagé directement envers un Français, soit que l'engagement ait été pris en France ou en pays étranger; c'est-à-dire, lorsque le débiteur a contracté directement avec le Français et a donné sa signature au profit de ce dernier. Mais la jurisprudence applique également l'article 14, à un engagement indirect; c'est le cas d'une lettre de change ou d'un billet à ordre, souscrit par un étranger à l'ordre d'un autre étranger, et qui, par des endossements successifs, est devenu la propriété d'un Français. Celui-ci peut invoquer l'article 14 contre le souscripteur ou endosseur étranger: car, dit feu Merlin', « l'étranger qui a souscrit une lettre de change ou un billet à ordre au profit d'un autre étranger, ne s'est pas seulement lié envers celui-ci ; il s'est lié envers tous ceux au profit desquels son obligation pourrait être endossée. Il est par conséquent censé avoir contracté avec le regnicole qui, au moment de l'échéance de son obligation, s'en trouve porteur : et il est, par une conséquence ultérieure, soumis, de sa part, à toutes les poursuites, à toutes les contraintes qu'un regnicole peut exercer contre un étranger 1. » Même langage dans un arrêt de la cour de cassation du 26 janvier 1833. Cette argumentation nous semble

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1 Questions de droit, po Étranger, § 4, no 4.

2 Sirey, 1833, 1, 100. Dalloz, 1833, 1, 106. Ce principe a déjà été sanctionné par arrêt de la même cour du 26 septembre 1829; on le trouve dans les arrêts de la cour royale de Douai, du 7 mai 1828, dans ceux de la cour royale de Paris, du 29 novembre 1830 et du 27 mars 1835. Sirey, 1830, 1, 151; 1829, II, 79; 1832, 11, 54; 1835, 11, 218. Gazette des tribunaux du 29 mars 1835. Dalloz, 1835, II, 85; enfin, dans un jugement du tribunal de commerce de la Seine du 12 avril 1836. Gazette des tribunaux du 13 du même mois.

exacte1, d'autant plus que l'intérêt du commerce exige prompte justice pour l'exécution des obligations con

tractées en cette matière.

133. Les auteurs et la jurisprudence établissent une distinction entre ce cas et celui d'une obligation civile souscrite par un étranger au profit d'un autre étranger, laquelle, par la voie d'une cession ordinaire, devient la propriété d'un Français. On n'accorde pas à ce cessionnaire la faculté d'invoquer l'article 14 2. En effet, dit M. Merlin 3, « le créancier ne peut jamais rien changer, par les conventions qu'il fait avec des tiers, aux droits ni à la condition de son débiteur (L. 25. C. de pactis; L. 41, ff de reg. jur.). De là cet axiome trivial, que le cessionnaire d'une créance est soumis, de la part du débiteur, aux mêmes exceptions que l'eût été son cédant. » L'auteur ajoute que l'étranger qui s'est obligé envers un étranger, « l'a fait dans la confiance que ses propres juges auraient seuls le pouvoir de prononcer sur les effets de l'obligation qu'il contractait.... Ce serait donc se jouer de sa bonne foi que de le traiter, par suite de la cession que son créancier ferait de ses droits à un tiers, comme s'il s'était obligé envers un regnicole; et telle n'a été ni pu être l'intention de l'article 14. » La cour de cassation a consacré la même distinction, par

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1 Elle s'applique aussi au cas où un Français a fait assurer des objets par un assureur étranger, avec la clause insérée dans l'acte : pour compte de qui il appartiendra. Arrêt de la cour royale d'Aix, du 5 juillet 1833. Sirey, 1834, II, 143. Dalloz, 1834, II, 24.

2 Ni de réclamer la contrainte par corps. V. le chapitre suivant. 3 Ibid., n° 3.

On peut ajouter L. 54, ff de reg. jur. : nemo plus juris ad alium transferre potest, quam ipse habet,

Dans l'arrêt déjà cité du 26 janvier 1833.

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La cour royale de

le motif que le cessionnaire ne peut agir que comme exerçant les droits de son débiteur.

Nous partageons l'avis qui refuse au cessionnaire d'une créance ordinaire, la faculté d'invoquer l'article 14, mais uniquement par la raison qu'une disposition extraordinaire et sortant du droit des gens, comme l'est celle de l'article 14, doit être restreinte dans ses termes et ne saurait recevoir une interprétation extensive.

Cependant nous n'admettons pas une autre conséquence que nous avons vu déduire des principes posés par feu Merlin et par la cour de cassation, dans les passages que nous venons de citer. C'est que le cessionnaire français d'une obligation civile souscrite par un étranger au profit d'un étranger, ne pourrait pas même traduire, devant les tribunaux français, le débiteur qui se trouve habiter la France, en employant les voies ordinaires de poursuite. La question, ainsi dégagée du privilége des regnicoles établi par l'article 14, fera l'objet du numéro suivant.

134. Nous avons vu au n° 104, qu'à l'appui du système admis par la jurisprudence française, relativement aux procès entre étrangers, les tribunaux ont invoqué le principe que « les sujets seuls sont fondés à exiger et à obtenir la justice; » que «<le souverain ne la doit qu'à ses sujets1; » que « les tribunaux français sont institués pour rendre la justice aux Français. » Ce principe est incontestable en ce qui concerne les sujets *;

Paris a consacré la même distinction dans son arrêt du 27 mars 1835, déjà cité.

'Arrêt de la cour royale de Colmar, du 30 décembre 1815.

* Arrêt de la cour de cassation, du 2 avril 1833.

3 V. la Revue, T. IV, p. 75 et 76 (compte rendu de l'ouvrage de M. Despréaux).

il a cependant été violé à leur égard par des décisions dans lesquelles les tribunaux ont cru se conformer à la maxime que les étrangers non domiciliés ne peuvent s'actionner l'un l'autre. Un étranger se retire en France, après avoir contracté des dettes dans sa patrie: un de ses compatriotes et créanciers cède sa créance à un Français. Ce dernier pourra-t-il poursuivre le débiteur étranger devant les tribunaux français? Oui, dit la jurisprudence, s'il s'agit d'une lettre de change portant la signature du débiteur et endossée au profit du Français; car celui qui signe une lettre de change, s'oblige de fait envers tous ceux qui, étrangers ou non, peuvent devenir endosseurs ou porteurs'. Non 2, s'il s'agit d'une créance civile transmise par une cession ordinaire : « car3, >> le transport que le créancier étranger a fait de sa créance à un Français, ne peut aggraver la position » du débiteur, ni par conséquent l'enlever à ses juges » naturels; que s'il a été jugé que des lettres de change » ou billets à ordre souscrits entre étrangers pouvaient » donner lieu à des poursuites devant les tribunaux français, lorsque ces effets avaient été transmis à des Français par la voie de la négociation, cette exception, » introduite uniquement dans l'intérêt du commerce, »> ne saurait être étendue au cas où il s'agit, comme » dans l'espèce, d'une obligation qui n'a aucun caractère » commercial. » En admettant même la justice d'une

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V. plus haut, no 132.

2 V. n 133.

3 Ce sont les motifs d'un jugement du tribunal civil de la Seine, 4 chambre, du 28 novembre 1835, adoptés par l'arrêt confirmatif de la cour royale, 2o chambre, du 21 novembre 1836. Cet arrêt n'a pas été imprimé, que nous sachions.

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