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que

le débiteur paye tourne à sa décharge, et arrive au

créancier.

Ce n'est pas sans beaucoup d'hésitation que nous hasardons ces observations. Du point de vue de la science, elles nous paraissent à la vérité en dehors de toute controverse; ce sont en finances des lieux communs, des vérités rudimentaires.

Si donc cet état de choses subsiste, s'il subsiste sous un ministre dont la renommée est européenne, c'est qu'apparemment il y a pour cela des raisons qui nous échappent, mais qui, en pratique, doivent atténuer, sinon neutraliser entièrement les inconvénients qu'on vient de signaler.

LXXII. Histoire du Parlement de Normandie; par M. A. Floquet, ancien élève de l'école des chartes, greffier en chef de la cour royale de Rouen 1.

Compte rendu par M. A. TAILLANDIER.

Qui n'a vu et admiré le Palais de Justice de Rouen, ses ogives élégantes, ses plafonds dorés, ses vastes salles qui inspirent un recueillement en quelque sorte religieux, sans désirer de connaître les faits mémorables qui s'y sont passés? C'est dans ce bel édifice, construit par Louis XII et par le cardinal d'Amboise, que siégèrent jadis ces graves magistrats, successeurs des barons normands, dans l'administration de la justice. On veut interroger leur histoire, car les institutions judiciaires sont les plus propres à bien faire connaître l'esprit et les mœurs des peuples qu'elles ont été appelées à régir. C'é

1 Trois vol. in-8°. Rouen, 1841, chez Frère, libraire.

tait donc une heureuse idée que celle qui avait pour objet de retracer les annales du parlement de l'une des plus grandes provinces de la France.

Cette idée ne pouvait être mieux réalisée que par M. Floquet, archiviste paléographe ayant fait ses études à l'école des chartes, dépositaire, en sa qualité de greffier en chef de la cour royale de Rouen, des vieux registres des cours de justice qui siégèrent dans cette ville. Cet écrivain était plus qu'un autre à même de nous faire pénétrer dans les secrets de l'ancien parlement de Normandie; en retraçant cette histoire, il a rendu un véritable service aux lettres et à la jurisprudence.

La première juridiction qui ait été organisée en Normandie a porté le nom d'échiquier. A quelle époque a-t-elle été établie? d'où lui vient ce nom? Ce sont là des questions sur lesquelles on est loin d'être d'accord. Des écrivains ont pensé qu'on ne trouvait pas cette dénomination d'échiquier antérieurement à Henri II, roi d'Angleterre et duc de Normandie, qui régna de 1151 à 1188. Madox, toutefois, auteur d'une Histoire de l'échiquier des rois d'Angleterre, l'avait rencontré dans une charte de la cinquième année du règne d'Étienne, c'està-dire de 1140. Ménage cite une charte antérieure, donnée sous Henri I (de 1130 à 1135), où figure ce nom d'échiquier. M. Floquet pense que cette juridiction existait sous le règne de Guillaume le Conquérant, et il s'appuie à cet égard sur un rôle de 1061, non rapporté, il est vrai, mais cité par les commissaires de la reine Élisabeth, en 1587, pour rechercher à Guernesey « quelles teneures nobles pouvaient exister dans cette île. »

La dénomination d'échiquier a exercé aussi la sagacité des commentateurs et des historiens. L'un croit qu'elle provient de ce que, dans les cours d'échiquier, siégeaient

des personnages de différentes qualités, comme au jeu des échecs figurent des pièces dissemblables. Un autre pense qu'elle dérive de ce qu'à la cour d'échiquier, comme au jeu des échecs, le prince paraissait entouré de ses guerriers. Un plus grand nombre, et parmi eux se trouvent des jurisconsultes et des érudits fort éclairés des xvi et xvII° siècles, tels que Ménage, Choppin, Bodin, Pierre Pithou, Basnage, etc., émettent l'opinion que cette appellation provenait du mot allemand skecken ou schicken, envoyer, parce que les officiers du duc, les barons, les prélats, les chevaliers, étaient envoyés souvent d'un lieu à un autre pour rendre la justice, et qu'à quelques égards ils rappelaient ces missi dominici qu'ils avaient remplacés. Enfin, un autre avis consiste à faire dériver le mot qui nous occupe du mot saxon scata, trésor, ou du mot eschaita, revenus, parce que la Normandie, outre son échiquier des causes avait eu aussi son échiquier des comptes, uniquement occupé de finances. Pour nous, il nous paraît que ces diverses hypothèses sont fort peu admissibles, et nous serions tenté de croire avec Ducange que la haute cour de justice des ducs de Normandie avait tiré sa dénomination d'une cause toute matérielle. Elle tenait sans doute ses audiences dans une salle dallée en carreaux de deux couleurs, et présentant l'aspect d'un damier ou échiquier. En voyant le duc, environné de ses chevaliers, siéger sur cette espèce d'échiquier, la désignation populaire, qui est restée pendant plusieurs siècles à cette juridiction, lui aura été donnée. Il y a dans l'histoire de nos institutions judiciaires plus d'un exemple d'une cour de justice recevant son nom d'une circonstance analogue. Ainsi, la Table de marbre qui tenait jadis tout le travers de la grand'salle du Palais, à Paris, avait donné son nom à la IV. 2 SERIE.

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juridiction qui siégeait dessus; les Plaids de la porte venaient de ce que, suivant Joinville, saint Louis rendait lui-même quelquefois la justice à la porte de son palais.

Quoi qu'il en soit, cette haute cour, composée du duc qui la présidait souvent, des grands fonctionnaires de la cour ducale, tels que le grand sénéchal qui présidait en l'absence du prince, le chancelier, le trésorier, etc., des barons et des prélats, avait pour objet de connaître des appels dirigés contre les sentences des baillis et autres juges inférieurs. Aussi l'échiquier était-il une cour véritablement souveraine : les jurisconsultes normands ont soin de dire qu'il lui était attribué autant de juridiction qu'aux parlements, et qu'il ne relevait pas du parlement de Paris, quoique le duché de Normandie relevât de la couronne de France.

Un grand inconvénient de la juridiction de l'échiquier, c'est qu'elle n'était pas permanente. Elle consistait en des assises temporaires qui rendaient fort longue l'administration de la justice. La composition aussi de cette cour amena beaucoup de réclamations. Après de nombreuses vicissitudes racontées avec une grande clarté dans l'ouvrage que nous annonçons, l'ancien échiquier normand subit le sort des institutions humaines: il disparut entièrement et fut remplacé par un échiquier perpétuel, créé par un édit de Louis XII du mois d'avril 1499. Get échiquier perpétuel, organisé à l'instar des parlements, ne tarda pas à prendre cette dénomination et il entra dès lors parmi ces grands corps judiciaires qui tiennent une place si éminente dans l'histoire de l'ancienne monarchie française.

Nous ne suivrons pas M. Floquet dans les détails aussi nombreux qu'intéressants auxquels il se livre pour accomplir dignement la mission qu'il s'était

donnée. Il serait à désirer que chaque parlement trouvât un historien aussi instruit et aussi zélé. Le parlement de Paris surtout, cette première cour du royaume, ce sénat célèbre dont l'influence fut si puissante sur les destinées de notre nation, manque encore d'un historien digne de lui. Voltaire sans doute lui a consacré quelques pages empreintes de son génie, mais trop courtes pour pouvoir dérouler ses annales. Aujourd'hui que ses registres les plus secrets sont mis à la portée de tous ses hommes laborieux, il est permis d'espérer qu'un grand ouvrage ne tardera pas à lui être consacré. Déjà M. le comte Beugnot, par la publication des Olim, a jeté la première pierre sur laquelle ce vaste édifice doit reposer.

Parmi les faits curieux que l'on trouve dans l'ouvrage de M. Floquet, on remarquera ce qu'il dit du privilége de saint Romain dont il a publié antérieurement une histoire spéciale. « De temps immémorial, dit-il, le chapitre de la cathédrale de Rouen avait, tous les ans, le jour de l'Ascension, choisi et indiqué aux magistrats un prisonnier qui toujours lui était délivré avec ses complices. Ce prisonnier soulevait en public, sur ses épaules, la fierte ou châsse de saint Romain, saint évêque de Rouen au viie siècle; il aidait à porter la châsse à l'église cathédrale. Cette cérémonie avait valu pour lui des lettres de grâce; désormais il était absous de son crime, et les juges n'avaient plus rien à lui dire; il avait levé la fierte; il jouissait du privilége de saint Romain. » Ce privilége étendu, qui reconnaissait au chapitre le droit régalien de grâce, renfermé dans les limites que nous venons d'indiquer, était insinué chaque année à l'échiquier. Le parlement qui succéda à cette cour, ne mit pas toujours autant de bonne volonté dans la reconnaissance de ce privilége, quoiqu'il eût été

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