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La position des parties est donc la même dans l'une et l'autre hypothèse; toutes deux tombent directement sous l'application de l'article 1132, Code civil (c'est-àdire que de part et d'autre il y a défaut de mention de la cause), et doivent être soumises au même principe.

Ainsi, je le répète, ce système me paraît pécher par sa base, puisqu'il repose sur une distinction faite entre deux hypothèses, qui au fond et sous le point de vue de la présente discussion, ne diffèrent nullement entre elles, et qui doivent par conséquent donner lieu à une solution unique.

Si ces considérations ne semblaient pas assez concluantes, que l'on veuille bien se reporter à la fin de cette dissertation, et l'on restera convaincu qu'il est de toute impossibilité de séparer les deux hypothèses, attendu que les objections que l'on voudrait formuler contre le système de Toullier dans la deuxième hypothèse, retombent de tout leur poids sur le système adverse dans la première.

Il me paraît évident, que pour rester logique, il faut nécessairement opter entre ces deux partis : ou abandonner l'opinion de Toullier même pour la première hypothèse, et obliger le créancier (dans tous les cas et sans examiner la manière dont s'est énoncé le débiteur) à prouver qu'il y a une cause; ou se rallier entièrement à cette même opinion, en rejetant dans les deux cas le fardeau de la preuve sur le débiteur.

Or, c'est ce dernier parti qui me semble le seul conforme à la législation actuelle, et c'est ce que je vais essayer d'établir.

Le système que je défends peut se formuler dans les deux propositions suivantes :

I. Le créancier qui réclame l'exécution d'une obligation souscrite en sa faveur, n'est pas tenu de prouver qu'il existe une cause de l'obligation.

II. Le débiteur qui se refuse à satisfaire à l'obligation qu'il a souscrite, sur ce fondement qu'il n'y a pas de cause, doit prouver qu'il n'y en a réellement pas.

Avant d'examiner la première proposition, il importe de bien se rendre compte de la véritable portée de l'article 1132 du Code civil. C'est là que se trouve en quelque sorte le siége de la matière. Ce point est donc de la plus haute importance pour la discussion, et je m'étonne que les auteurs ne s'en soient pas davantage occupés.

Cet article, il faut en convenir, est fort singulièrement rédigé et ne présente qu'un sens obscur et incomplet, si l'on s'en tient rigoureusement à ses termes. Il parle d'abord de la convention, puis de la cause qui n'en est pas exprimée. Évidemment, puisqu'il parle de la mention ou de la non-mention de la cause, c'est qu'il entend aussi parler du titre de la convention, de l'écrit qui la constate; il faut donc de toute manière suppléer au texte, afin d'en compléter le sens.

Pour moi, je ne vois que deux sens possibles: ou le Code a voulu dire que bien que le titre ne mentionnât pas la cause, la convention elle-même n'en existerait pas moins, n'en serait pas moins valable; ou bien il a voulu dire que ce titre où l'expression de la cause est omise, n'en conserverait pas moins toute sa force, c'està-dire n'en servirait pas moins à prouver la convention.

Le premier de ces deux sens est-il admissible? Qui a jamais douté que la validité intrinsèque des conventions (hormis les cas exceptionnels où le contrat est solennel) füt en principe indépendante de la validité des titres et même

de l'existence d'un titre quelconque? Tout le monde ne sait-il pas fort bien qu'une convention est très-valable quand même il n'existe absolument aucun titre ou écrit, et que le créancier peut recourir à d'autres moyens de preuve; que par conséquent la convention sera encore valable, si au lieu d'absence totale de titre, on suppose l'imperfection d'un titre qui ne réunit pas toutes les formes voulues? Ce n'est évidemment pas le cas de dire ici : melius est non habere titulum quam habere vitiosum, principe qui est fait pour un tout autre ordre de choses. Ce qui se présente ici tout naturellement, c'est l'axiome utile per inutile non vitiatur; la convention étant valable quand bien même il n'existerait aucun titre, comment ne le serait-elle pas également avec un titre, quelque incomplet qu'il soit.

Or, je le demande, ne serait-ce pas prêter bien gratuitement un ridicule au législateur, que de prétendre qu'il a fait un article exprès pour énoncer une semblable naïveté; pour nous apprendre une chose dont personne ne pouvait douter, à savoir que la validité intrinsèque d'une convention ne dépend pas de la validité du titre qui sert à le prouver? Il me semble que telle n'a pu être son intention en faisant l'article 1132, et que si cet article doit signifier quelque chose, il signifie que le titre d'une convention est valable, quoiqu'il n'en exprime pas la cause, ou tout au moins que la convention est valable ratione tituli, instrumenti, c'est-à-dire pour ce qui regarde le titre. En d'autres termes, le mot valable de l'art. 1132 porte plutôt sur le titre de la convention; ou, si l'on veut, il s'entend de ce qu'on peut appeler la validité extrinsèque de la convention, c'est-à-dire de la validité à l'effet de preuve, de constatation légale et en justice de l'existence d'une

obligation, et nullement de la validité intrinsèque. C'est là ce qui me semble hors de doute; et plus je cherche à analyser l'article 1132, plus je me sens pressé de reconnaître que tel est le seul sens raisonnable qu'il puisse présenter.

La considération suivante semblerait encore venir confirmer l'interprétation que je présente ici. L'article 1132 a été fait, de l'aveu de tous, pour trancher une controverse qui partageait précédemment les jurisconsultes. Or, le premier des deux sens à donner à l'article 1132, que j'ai rapportés plus haut, peut-il jamais avoir fait le sujet d'une controverse ? Incontestablement non. La discussion roulait donc sur le deuxième point; c'est donc aussi sur ce deuxième point que le Code a eu à statuer, et nous savons comment il l'a fait.

Ceci une fois admis, revenons-en à notre première proposition, et pour nous entendre, sortons de l'abstraction par un exemple.

Jean a fait et signé un écrit par lequel il dit: Je promets... je payerai... ou je m'engage à payer 1,000 fr.

à Pierre.

Le créancier se présente en justice, reclamant les 1,000 fr. Que peut lui dire Jean? Il lui présentera l'article 1315 du Code civil, qui exige que celui qui réclame l'exécution d'une obligation commence par la prouver. Rien de plus juste. Comment se fait la preuve d'une obligation? Le mode le plus naturel, pour celui qui peut y recourir, est de représenter en justice le titre de l'obligation, l'écrit qui la constate. Pierre présentera donc le billet souscrit par Jean à son profit. Mais tout titre ne suffit pas, il faut un titre valable. Ainsi, en général, et sauf les cas exceptionnels des articles 1330, 1331 et 1332, il faudrait tout au moins

que l'écrit portat la signature du prétendu débiteur. Voyons donc si le titre que Pierre présente est valable

ou non.

Et d'abord nous supposons qu'il réunit les conditions voulues pour les divers cas spéciaux où il peut se trouver: s'il s'agit d'un contrat solennel, il est en forme authentique, telle que la loi l'exige; s'il s'agit du cas de l'article 1326, on a eu soin de se conformer à ses dispositions', en un mot, il ne pourrait être critiqué que sous ce rapport, qu'il ne mentionne pas la cause de l'obligation...

Eh bien! est-ce là un vice qui empêche le titre d'être valable? Telle est toute la question; et cette question n'en est plus une, en présence de l'article 1132, sainement interprété; ou plutôt cet article est fait précisément pour nous dire d'une manière expresse, qu'aujourd'hui ce titre qui ne mentionne pas la cause est cependant valable, ou, si l'on veut, que la convention est valable sous le point de vue de la preuve de l'obligation qui en découle; car c'est là tout le but qu'on se propose en se procurant un titre.

Que résulte-t-il donc de là? Que le créancier, en représentant ce titre, a légalement prouvé le fondement de sa demande, puisqu'il a apporté un titre que la loi déclare valable.

Dès lors aussi le rôle du créancier demandeur est légalement terminé; il a satisfait à l'article 1315, et si maintenant le débiteur vient prétendre (contre la

1 Je ne parle pas du cas de l'article 1325, parce que la question ne peut jamais se présenter que pour une obligation unilatérale, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux; la cause se trouvant toujours nécessairement exprimée quand il s'agit d'un contrat synallagmatique.

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