Page images
PDF
EPUB

preuve légale que le créancier a faite d'une obligation souscrite en sa faveur), que l'obligation est nulle du chef de défaut de cause (art. 1131), c'est là une exception qu'il oppose à la demande légalement établie du créancier, et il doit à son tour prouver le fondement de son exception, en vertu du principe reus excipiendo fit actor (art. 1315, § 2); c'est-à-dire que l'on suivra ici la marche que l'on suit chaque fois qu'une personne argumente de la nullité d'une convention dont on lui représente le titre valable; c'est à cette personne à établir la nullité dont elle veut se prévaloir pour se soustraire aux conséquences de sa signature. Ici le créancier devient défendeur à l'exception; il n'a plus qu'un rôle passif, et ne reprendrait le rôle de demandeur que pour autant que l'allégation du débiteur se trouvant à son tour établie, il voudrait la repousser par une replicatio, ce dont nous n'avons pas à nous occuper. Qu'il nous suffise de dire que le créancier n'a besoin d'apporter aucune preuve subsidiaire à l'appui du titre qu'il représente, parce que l'article 1132, sainement entendu, l'en dispense; qu'il n'a donc pas à prouver, en outre, qu'il existe telle ou telle cause de l'obligation.

Ainsi se trouve établie notre première proposition, qui répond à elle seule à la question que j'ai pris à tâche de résoudre. Toutefois, cette solution reposant en entier sur l'interprétation que j'ai donnée de l'art. 1132, et celle-ci pouvant encore être contestée, comme faisant violence au texte, je consens pour un instant à abandonner et l'interprétation et la conséquence que j'en ai inférée. Restera la seconde proposition, qui suffit également à elle seule pour établir mon système, puisque ce n'est que la même question, envisagée sous un autre point de vue. J'avais démontré que le créancier n'est pas

tenu de prouver qu'il existe telle cause de l'obligation; je vais tâcher d'établir (ce qui en définitive reviendra au même), que le débiteur qui prétend qu'il n'y a pas de cause doit le prouver.

Voyons d'abord la position dans laquelle il se présente en justice, et, à cet effet, reprenons l'exemple posé plus haut.

Jean a souscrit un billet par lequel il s'engage à payer 1,000 fr. à Pierre. Traduit en justice par celui-ci, il prétend qu'il ne doit rien, parce que l'obligation qu'il

a contractée est sans cause.

Qu'est-ce à dire ? Que lorsqu'il a fait l'écrit dont il s'agit il ne devait rien à Pierre, à aucun titre, qu'il n'était nullement engagé envers lui, et qu'il n'avait pas non plus l'intention de lui faire une libéralité (car dès lors il y aurait une cause suffisante, et l'obligation serait maintenue si elle réunissait les conditions voulues pour les libéralités; sinon elle serait nulle, non pour défaut de cause, mais pour vice de formes); et cependant, tout en ne devant rien et en ne voulant faire aucune libéralité, il a souscrit un billet en faveur de ce même Pierre. En d'autres termes, il vient prétendre qu'il a agi sans aucun motif, sans aucun but, qu'il a passé un acte sans savoir pourquoi, si ce n'est apparemment pour le plaisir de susciter un procès, quand on lui demandera d'exécuter son obligation.

Il faut l'avouer, c'est là une conduite fort singulière, et qui dénoterait même un défaut complet de sens. Aussi cette bizarrerie n'a-t-elle pas échappé à nos adversaires, et leur a-t-elle arraché des aveux dont nous nous hâtons de prendre acte.

C'est ainsi que M. Duranton 'reconnaît lui-même, qu'une telle allégation, de la part du débiteur, est in

vraisemblable. M. Demante qui, dans la 1'e édition de son Programme du cours de droit civil, suivait le même système, allait plus loin encore; il disait que souscrire une obligation sans cause est un acte de folie. Ainsi, en réalité, le débiteur dont nous nous occupons ici, ne fait autre chose, en prétendant qu'il a souscrit une obligation sans cause, que dire qu'il a fait un acte de folie. La conséquence assez naturelle à tirer de là, semblerait être, que c'est au débiteur à prouver cet état de folie dont il argumente; mais on se garde bien de la déduire, ce serait donner gain de cause à ses adversaires. Pour nous, voyons à quel résultat nous serons conduits.

La première question qui se présente tout naturellement ici, est celle de savoir si l'existence d'une obligation sans cause est possible; s'il peut arriver un cas où il existe une obligation souscrite par un individu, sans que cependant il y ait de cause de cette obligation? Car évidemment, si le cas ne peut se présenter, il devient inutile d'examiner comment on s'y prendra pour arranger les choses en justice.

Eh bien! je répondrai que sans doute la chose est possible, mais que pour ma part je ne la conçois que dans certains cas, que l'on peut déterminer et qui sont très-restreints. Je crois, dis-je, qu'il y a plusieurs manières d'expliquer une telle conduite de la part du débiteur, et je vais tâcher d'énumérer toutes les hypothèses où elle pourra se concevoir. Nous verrons ensuite que, dans quelque hypothèse qu'on place le débiteur. c'est toujours sur lui que doit retomber la charge de la preuve, tant d'après les principes du droit que d'après ceux de la saine équité.

Ou le débiteur prétend que dès le principe il n'ya pas eu de cause; ou il prétend que la cause, qui exis

tait lorsqu'il a souscrit l'obligation, est venue depuis à

cesser.

Dans ce dernier cas, c'est évidemment à lui à prouver ce fait postérieur qui a, suivant lui, opéré sa libération, en détruisant la cause de l'obligation. Ce n'est là que l'application toute simple du 2° § de l'art. 1315.

Dans la première hypothèse, plusieurs circonstances peuvent expliquer comment il se fait qu'il ait souscrit un acte sans cause, c'est-à-dire sans motif déterminant, sans but immédiat; et voici, je pense, tous les cas possibles: 1° il n'était pas sain d'esprit, il était en état de délire ou d'ivresse lorsqu'il a souscrit une obligation envers Pierre, auquel il ne devait rien, ni ne voulait faire aucune libéralité;

Ou 2o il a été induit en erreur, et il croyait être débiteur, tandisque depuis il a découvert qu'il se trompait, qu'il ne devait rien ;

Ou 3° on a usé à son égard de dol ou de violence, pour lui faire souscrire cette obligation;

Ou 4° ce n'était que par plaisanterie qu'il a souscrit le billet, sans intention sérieuse de s'obliger;

Ou 5° il y a mauvaise foi de la part du débiteur; il avait réellement eu l'intention, lorsqu'il a souscrit le billet, de faire une libéralité à Pierre, ou de se libérer envers lui de certaine dette soit civile, soit naturelle; mais aujourd'hui, pour quelque motif que ce soit, il se repent de sa générosité, ou ayant appris que Pierre n'avait plus le moyen de prouver la dette préexistante, qui avait été la cause du billet souscrit, il veut abuser de cette position où se trouve le créancier, et il vient prétendre que l'obligation n'avait pas de cause, dans l'espoir que Pierre ne pourra lui prouver le contraire.

Au 1 cas, c'est-à-dire s'il prétend que c'est par folic

ce moyen

qu'il a souscrit une obligation sans cause, il devra évidemment le prouver, comme tout individu qui allègue de nullité contre un acte qu'il a souscrit. La folie ne se présume pas, et il serait ridicule de prétendre que ce sera au créancier à prouver que le débiteur était sain d'esprit lorsqu'il a souscrit l'obligation.

Au 2o cas, ce sera encore au débieur qui allègue l'erreur à la prouver : ainsi supposons qu'un héritier, qui devait un legs de 1,000 fr., s'engage à payer à la place un arpent de terre au légataire, sans énoncer dans le billet la cause de son obligation. Plus tard il découvre un testament postérieur révoquant le legs de 1,000 fr.; il voit par conséquent que c'était par erreur qu'il avait promis l'arpent, ou en d'autres termes que cet engagement de sa part était sans cause. Sur qui fera-t-on retomber la charge de la preuve ?.... Sur le débiteur, et avec raison; ce sera à lui à prouver qu'il existe un second testament, que ce testament est valable, qu'il révoque le premier, et que par conséquent son engagement était sans cause.

Au 3o cas, ce sera encore, d'après tous les principes, à celui qui allègue le dol ou la violence à le prouver; ces faits sortant de l'ordre naturel des choses et dès lors ne se présumant pas.

La 4 hypothèse ne se présentera guère, et je ne l'ai relatée qu'afin de prévoir tous les cas. Ici encore, ce serait à celui qui prétendrait n'avoir agi que par plaisanterie à le prouver. En effet, on n'est pas légèrement censé avoir agi jocandi causá; et l'existence d'un écrit rend encore plus invraisemblable cette allégation du débiteur, à moins qu'il ne prouve par les circonstances qui ont accompagné la signature de l'acte, que les parties n'entendaient pas contracter sérieusement.

« PreviousContinue »