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nous avons parlé suprà, no 104. En effet, dès que les traités désignent les tribunaux devant lesquels certaines contestations doivent être portées, il s'en suit l'exclusion de la disposition extraordinaire de l'article 14 1.

139. Le Français peut renoncer au droit que lui attribue l'article 14; car le texte de cette disposition n'établit qu'une faculté pour le Français (l'étranger pourra être cité) et non pas une obligation. Cette renonciation a pour effet d'empêcher le Français de saisir ultérieurement de la connaissance de la même cause les tribunaux français, par application de l'article 14. La cour de cassation, par deux arrêts des 15 novembre 1827 et 14 février 1837, a consacré le principe que cette renonciation est admissible on lit dans les motifs de ces arrêts que « le droit attribué aux Français, par les articles 121 de l'ordonnance de 1629 et 14 du Code civil, de traduire un étranger devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger, est une simple faculté, un privilége; et, d'après

1 Ainsi décidé quant aux Suisses, par deux circulaires du ministre de la justice, en date des 13 brumaire an XIII et 18 octobre 1813. Malleville, sur l'art. 14. Les Codes français annotés, par MM. Lahaie et Waldeck-Rousseau, sur le même article. La cour de cassation et le tribunal de commerce de la Seine ont statué dans le même sens. Arrêt du 26 août 1835 (Gazette des tribunaux, du 2 octobre 1835. Dalloz, 1836, 1, 14); jugement du 27 avril 1831 (Revue judiciaire, 111, 66).

2 On trouve un exemple d'une obligation imposée au Français de porter devant les tribunaux du royaume les contestations qui le concernent, dans l'édit de 1778, qui défend aux Français de saisir les tribunaux étrangers des différends qui s'élèvent entre eux. V. M. Pailliet, ibid. no 45.

3 Sirey, 1828, 1, 124; 1837, I, 251. Dalloz, 1828, 1, 23; 1837, 1, 100, V. aussi Rolin, no 20, p. 70.

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les principes du droit commun, chacun peut renoncer à un privilége qui lui est personnel. » L'arrêt du 15 novembre 1827 ajoute: «il (le Français) y renonce en effet, lorsque, comme dans l'espèce, il cite l'étranger devant les tribunaux de son pays et qu'il épuise tous les degrés de leur juridiction. » Dans l'espèce, le Français avait formé une demande contre un Belge devant les tribunaux de Bruxelles : débouté de sa demande en première instance, il avait interjeté appel, et le jugement avait été confirmé; plus tard le demandeur avait porté la même demande devant les tribunaux français. L'arrêt du 14 février 1837 va plus loin il reconnaît que la simple assignation devant un tribunal étranger suffit pour établir la renonciation au privilége attribué aux Français par l'article 14. Attendu que » y est-il dit, « dans ses qualités, l'arrêt attaqué constate, en fait, que la demanderesse, lorsqu'elle a intenté son action en France contre les défendeurs, avait déjà actionné ces derniers devant un tribunal anglais, en délivrance de son legs, et qu'une instance à ce sujet était encore pendante devant ce tribunal étranger; qu'en tirant de ce fait la conséquence que la demanderesse avait renoncé au bénéfice de l'article 14, et en se déclarant par suite incompétente pour statuer sur l'action portée devant elle, la cour royale de Paris n'a violé ni cet article, ni l'article 171 du Code de procédure, et nʼa commis aucun excès de pouvoir.

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En un mot, le Français qui a formé une action contre un étranger devant un tribunal étranger, est lié par cet acte de sa libre volonté par l'effet du même acte, il a

1 Cet arrêt a rejeté le pourvoi contre un arrêt de la cour royale de Paris, du 3 mai 1834, qui avait jugé dans le même sens. Gazette des tribunaux, du 31 mai 1834. Sirey, 1834, II, 305.

renoncé au droit établi en sa faveur par l'article 14.

La maxime consacrée par ces deux arrêts est fondée sur les principes généraux en matière de renonciation 1; l'arrêt de 1827 l'a encore développée dans une seconde partie des motifs qui répond à une objection que nous allons examiner au numéro suivant.

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140. Avant cet arrêt, plusieurs cours royales avaient admis comme règle, qu'une instance déjà engagée devant les juges étrangers, n'empêche pas le Français partie dans cette instance, de se prévaloir de l'article 14 *. Le motif de ces décisions était que les jugements rendus en pays étranger ne peuvent être exécutés en France d'où l'on concluait que, par rapport à la France, la litispendance à l'étranger ne pouvait avoir aucun effet, et devait être regardée comme n'existant pas. Mais c'était évidemment étendre trop loin l'application de la maxime qui refuse l'exécution, en France, des jugements étrangers: cette maxime n'empêche pas que le Français, qui a des réclamations à exercer contre un étranger, ne forme une action contre ce dernier devant les tribunaux de sa patrie, et le fait du Français d'avoir agi ainsi, peut être regardé comme une renon

1 Répert., renonciation, § 3.

2 Arrêt de la cour de Paris, du 23 thermidor an XII. Sirey, 1807, II, 855. Arrêt de la cour de Trèves, du 13 mai 1807, déjà cité. Arrêt de la cour de Turin, du 21 août 1812. Sirey, 1814, II, 191. Arrêt de la cour royale de Montpellier, du 12 juillet 1826. Sirey, 1827, 11, 227. Dalloz, 1825, II, 140. La cour de cassation n'a jamais sanctionné cette maxime : elle a rejeté le recours contre le premier de ces arrêts, le 7 septembre 1808, mais par d'autres motifs. Sirey, 1808, 1, 453. L'arrêt du 23 thermidor an XII pourrait être justifié par la circonstance que l'action en réméré est mixte. 3 M. Zachariæ (Cours de droit français) et ses traducteurs (T. 1, p. 58), partagent aussi cette erreur.

ciation, de sa part, au droit établi en sa faveur par l'article 14. Ce droit n'est relatif qu'aux intérêts privés du Français, tandis que la maxime qui refuse aux jugements étrangers toute exécution en France, découle immédiatement du droit de souveraineté. D'où il suit, que le particulier peut valablement renoncer au droit qui lui est accordé par l'article 14, tandis qu'il est impuissant à consentir valablement qu'un jugement étranger soit exécuté contre lui en France. C'est ce que la cour de cassation a expliqué dans la seconde partie des motifs de son arrêt de 1827; on y lit : « Attendu que c'est seulement la force exécutoire des jugements étrangers qui leur est déniée en France jusqu'à leur révision par un juge français, ainsi qu'il résulte des articles. combinés 2123, 2128 du Code civil, et 546 du Code de procédure civile; que ces dispositions de la loi, qui consacrent le droit de souveraineté sur le territoire, ne sont point prises en vue des intérêts privés, et que les parties contractantes ou litigantes restent liées par les actes de la juridiction volontaire et contentieuse à laquelle elles se sont soumises. »

L'arrêt de 1837 établit implicitement le même principe, lorsqu'il déclare que la nouvelle demande formée en France doit être écartée par le motif, qu'une instance sur le même objet était encore pendante devant un tribunal anglais; l'arrêt de la cour royale de Paris, qu'il confirme, avait même réformé le jugement de première instance qui avait déclaré que la litispendance à l'étranger n'avait pas s d'effet en France.

C'est donc à tort qu'on pose encore en principe que la litispendance en pays étranger n'a aucun effet en

1 Répert., Renonciation, § 3.

IV. 2o SÉRIE.

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France. Les arrêts des 15 novembre 1827 et 14 février 1837 ont formellement proscrit cette doctrine.

Boncenne attaque vivement la décision de l'arrêt de 1827 par des arguments uniquement basés sur le principe qui refuse aux jugements étrangers leur force exécutoire en France. Le célèbre auteur n'a nullement réfuté la distinction judicieuse établie dans la seconde partie des motifs de l'arrêt de 1827.

141. La litispendance en pays étranger ne peut cependant former une fin de non-recevoir, contre le Français qui invoque l'article 14, lorsque ce n'est pas lui qui s'est porté demandeur devant un tribunal étranger, et que, défendeur, il n'a fait aucun acte d'où résulterait une renonciation au droit établi en sa faveur par ledit article 14. Cette conséquence résulte des principes exposés au numéro précédent.

A plus forte raison, la litispendance à l'étranger ne saurait autoriser un tribunal français à surseoir à la demande, lorsque ce tribunal a été saisi le premier2.

142. Mais les mêmes principes nous semblent applicables aux contestations entre deux étrangers : et nous croyons que l'étranger ne peut être reçu à porter devant les tribunaux français la même demande qu'il a déjà formée devant un tribunal étranger : le fait de cette assignation implique renonciation, comme à l'égard des Français. En d'autres termes, la litispendance en pays étranger peut être opposée en France, par l'étranger défendeur, à l'étranger qui est également demandeur en pays étranger 3.

Théorie de la procédure civile, T. III, p. 224 et suiv. Ce voJume a été publié en 1837.

2 Arrêt de la cour royale de Bastia, du 14 décembre 1839. Sirey, 1840, 11, 454.

3 La cour royale de Paris, 1 chambre, semble avoir jugé en

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