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thèses plus ou moins spécieuses, mais où se trouvent quelques vérités, au milieu d'assertions manifestement erronnées. D'après celui-ci, par exemple, les conquérans s'asseyent paisiblement au rang des vaincus, et baissent leurs glaives devant tous leurs établissemens (1). Un autre veut au contraire que les Barbares aient chargé de chaînes tout ce qui portait le nom de Gaulois (2). On peut reprocher sans doute au plus illustre de tous, à l'un des grands génies dont la France s'honore, d'avoir trop exclusivement cherché l'origine de tout, dans les forêts mêmes de la Germanie (3).

Evitons de voir cette partie de notre histoire sous un point de vue systématique, et empruntons à chaque hypothèse ce qu'elle peut avoir de fondé; il est probable que nous nous raprocherons ainsi de la vérité sur des points encore fort obscurs, après de longues discussions.

Il y a une remarque essentielle à faire; on n'a pas assez réfléchi, ce me semble, en s'occupant de l'époque où les Francs triomphèrent de la puissance romaine, que ces peuples devaient avoir subi de fortes altérations depuis un siècle. Il faut se rappeler, en effet, qu'ils avaient souvent possédé, pendant plusieurs années, quelques lambeaux des provinces septentrionales; que leurs courses continuelles dans les autres parties du territoire les mettaient en communication directe avec les Romains; que les captifs qu'ils ramenaient esclaves dans leur séjour ordinaire, devaient nécessairement avoir répandu parmi eux quelques lumières sur l'état politique de la Gaule; on ne doit donc pas les regarder tout-à-fait, à cette époque, comme des barbares déterminés à exterminer indistinctement et absolument tout ce qui n'était pas sorti de leur sauvage berceau.

Les lois qui régirent ces premiers temps, prouvent que partout où l'on se soumit, les propriétés et les institutions locales

(1) L'abbé Dubos.

(2) Le comte de Boulainvilliers.
(3) Le président de Montesquieu.

même furent respectées. Les Barbares ne s'emparèrent que des terres qui se trouvèrent libres par la mort ou l'esclavage des possesseurs; et ils ne modifièrent d'abord le gouvernement, qu'autant qu'il était nécessaire pour assurer leur con. quête. Si les vaincus furent politiquement placés au second rang, on voit néanmoins que ceux qui se réunirent aux conquérans, conservèrent une grande prépondérance dans la direction des affaires. Le règne d'Egidius, après l'expulsion de Childéric, en est une preuve. Puisque les Francs purent se soumettre à un Romain, il est clair que la situation du reste de la nation ne dût pas être telle, à cette époque, que quelques-uns l'ont voulu.

C'était un principe chez les Barbares, que chaque peuplade devait être régie par ses règles de justice. Ce principe maintint l'usage des lois romaines pour les Romains, comme il établissait la loi salique pour les Francs, la loi gombette chez les Bourguignons; ce qu'on appelait alors le code Théodosien, resta donc en vigueur dans la Gaule: or, cela suppose que les magistratures continuèrent encore à être exercées par des Romains, puisqu'eux seuls étaient capables de les

exercer.

Plusieurs monumens semblent attester pareillement que l'administration resta à-peu-près dans l'état où elle se trouvait, et que ce furent encore des Romains qu'on vit la plupart du temps choisis par les rois Francs, pour présider aux

cités comme comites ou comtes.

En un mot, voilà, ce nous semble, l'idée qu'on peut raisonnablement se faire de l'état du pays à cette époque. Le roi Franc avait pour conseil ses principaux chefs et ceux des illustres Gaulois dont le front s'était courbé sans peine sous le nouveau joug. Là, il méditait d'achever sa conquête et d'étendre sa domination soit sur les parties où des corps Romains tenaient encore, soit sur celles où d'autres chefs de Barbares tentaient d'établir une puissance rivale de la sienne. Les principaux officiers Francs étaient investis des grands commande

mens, dans les provinces où le roi était reconnu. Dans ces provinces, la population germanique, qui s'était établie après avoir quitté les bords du Rhin, n'était pas, dans l'origine, disséminée, mais réunie avec ses serfs, et formant des villages à part sur les terres qui lui avaient été cédées. Une religion, un culte et des usages différens, des sentimens de jalousie d'une part, et de cupidité de l'autre, devaient établir une division naturelle entre les anciennes cités que la conquête n'avait pas détruites, et les nouveaux établissemens. Ces deux populations s'observaient sans doute avec inquiétude, et il y avait entre elles des rapports trop immédiats, pour qu'il ne s'en suivît pas nécessairement une sorte de lutte presque continuelle, où l'on comprend que le dessous ne fut pas ordinairement aux derniers venus. Telle fut à-peu-près la situation du pays, jusqu'au moment où l'ancienne nation sembla, en quelque sorte, avoir totalement disparu dans cette suite de guerres et de dévastations, qui forme l'histoire de ces temps.

S IV.

De la Royauté,

Reges ex nobilitate, duces ex virtute sumunt, a dit Tacite (1) en parlant des Germains; ce qui prouve manifestement que les rois, chez ces peuples, appartenaient à certaines familles exclusivement.

Mais cette royauté était-elle héréditaire?

Le respect et la soumission pour le sang d'un homme qui s'est illustré par sa valeur, sont des sentimens qui naissent avec la société politique, et dont elle fait plus tard des principes quelquefois utiles à son maintien. Il serait facile d'en faire sentir la source et les motifs; mais ce n'est pas ici le lieu de se livrer à de semblables développemens. Au reste, l'histoire est là pour attester la vérité du fait. Il n'est pas rare de voir, chez tous les peuples, et spécialement chez ceux qui nous occupent, une assemblée de vieux guerriers tout entière

(1) De Mar. German., cap. 7.

exaltée, à la vue d'un faible enfant, qu'elle se plait à regarder comme devant un jour rappeler celui dont il a reçu la vie et dont il porte le nom.

D'un autre côté, un attachement servile et non raisonné ne peut guère être supposé parmi des peuples où le glaive est souverain, où le plus vaillant doit toujours être le premier de tous. Qui ne doute d'ailleurs que dans ces assemblées annuelles où la nation décidait avec toute puissance, il n'ait pas été question quelquefois de renverser un roi lâche ou tyran, pour couronner un chef plus digne : Childéric n'en est-il pas un exemple?

Voici comment on peut concilier cette apparente contradiction: les peuples avaient bien à la vérité le droit d'élire les rois; mais c'était en général une doctrine, d'en borner l'exercice et de choisir exclusivement entre les héritiers du sang royal. Diverses autorités fondent ce sentiment. On lit dans nos anciens historiens que ces premiers rois qui précédèrent Clovis, et dont les noms seuls sont connus, appartenaient très-certainement à la même famille, quoique le principe de l'hérédité directe n'eût point été appliqué à leur égard. C'est cet usage qui introduisit peut-être les partages des Etats, qui eurent lieu, si fréquemment sous la première race. Les fils du roi avaient, aux yeux de la nation, des droits égaux à une portion de souveraineté, puisqu'ils auraient pu être également choisis par elle pour commander à l'Etat tout entier.

Celui qui devait régner sur les Francs était placé sur un bouclier, le glaive à la main, en présence de toute l'armée, qui fesait diverses évolutions autour de lui (1). Tel était le couronnement; il caractérise une royauté d'où les femmes devaient naturellement être exclues. Ainsi, qu'on lie ce principe constitutif de notre monarchie à l'ensemble des lois saliques, ou non, il n'en est pas moins vrai qu'il devait naître du génie même de cette nation belliqueuse.

(1) Grég. Tar., lib. vir, chap. 18.

le

Clovis donna, par l'éclat qu'il jeta sur ses armes, un caractère plus imposant à la royauté, et il habitua les peuples à la voir irrévocablement fixée dans sa famille, et transmise plus régulièrement. Mais ce fut surtout le Christianisme qui lui imprima le sceau particulier d'un contrat religieux entre les peuples et sang des rois. Les évêques, pour reconnaître les bienfaits, au moyen desquels les monarques croyaient effacer leurs crimes, attachèrent le nom de Dieu à leur couronne, et firent découler leur autorité d'une source divine. Des miracles confirmèrent ces nouvelles doctrines, et les rois devinrent des êtres sacrés. Voilà la sainte ampoule, et le don des écrouelles ! voilà ces rois fainéans qui précédemment eussent été chassés d'un trône qu'ils étaient si peu dignes d'occuper!

S V.

Des Lois saliques.

C'est une opinion assez généralement admise, que les lois des Francs furent écrites peu après leur établissement dans les Gaules. Mais il est probable que la confection complète du Code Franc ne date pas de la même époque, et qu'elle fut amenée par les accroissemens successifs et les besoins du nouvel État.

La situation dans laquelle se trouva le pays après la conquête, la rivalité et les rixes qui devaient nécessairement naître entre les deux corps principaux de la population nouvelle, obligèrent les rois à établir quelques règles pour fixer des rapports nouveaux. La politique avait, comme nous l'avons vu, laissé une sorte d'égalité entre les anciens habitans et ceux qui venaient d'occuper le sol. La loi civile consacre au contraire une différence humiliante. C'est ainsi, par exemple, qu'en introduisant la composition, institution toute germanique, et qui devait appartenir en effet à des sociétés de guerriers chez qui le sang était moins apprécié que l'or, la loi établit que celui qui tuerait un Franc paierait 200 sols à ses parens, tandis que celui qui se serait défait d'un Romain, n'était tenu

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