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RÉPERTOIRE

MÉTHODIQUE ET ALPHABÉTIQUE

DE LÉGISLATION

DE DOCTRINE ET DE JURISPRUDENCE

EN MATIÈRE DE DROIT CIVIL, COMMERCIAL, CRIMINEL, ADMINISTRATIF,
DE DROIT DES GENS ET DE DROIT PUBLIC.

NOUVELLE EDITION,

CONSIDÉRABLEMENT AUGMENTÉE ET PRÉCÉDÉE D'UN ESSAI SUR L'HISTOIRE GÉNÉRALE DU

PAR M. D. DALLOZ AINÉ

Ancien Député

DROIT FRANÇAIS

Avocat à la Cour d'appel de Paris, ancien Président de l'Ordre des Avocats au Conseil d'État et à la Cour de Cassation
Officier de la Légion d'honneur, Membre de plusieurs Sociétés savantes

avec la collaboration

DE M. ARMAND DALLOZ, SON FRÈRE,

Avocat à la Cour d'appel de Paris, Auteur du Dictionnaire général et raisonné de Législation, de Doctrine et de Jurisprudence
Chevalier de la Légion d'honneur,

et celle de plusieurs jurisconsultes

TOME SIXIÈME.

A PARIS

AU BUREAU DE LA JURISPRUDENCE GÉNÉRALE,

RUE DE LILLE, No 19

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RÉPERTOIRE

MÉTHODIQUE ET ALPHABÉTIQUE

DE LÉGISLATION, DE DOCTRINE

ET DE JURISPRUDENCE.

AVOUÉ.

On désigne sous ce nom les officiers ministériels qui représentent et défendent les parties devant le tribunal ou la cour royale près desquels ils sont établis.

la qualification de maître que l'on donne encore aujourd'hui aux avoués. Mais il ne faut pas confondre ces procureurs en titre avec les procureurs ad negotia qui s'étaient établis dans les premiers temps. Ceux-ci n'étaient ordinairement que des esclaves mercenaires qui n'avaient aucune connaissance des lois, et dont les services se bornaient à solliciter les juges.

1. Cette dénomination est très-ancienne, et elle avait autrefois plusieurs acceptions. Sous les rois de la seconde race, les avoués étaient les agents du public, pour la manutention politique et domestique (V. Montesquieu, Esprit des lois, liv. 28, ch. 36).-Le caractère de ces fonctions, qui différaient essentiellement de celles des avoués de nos jours, a donné le change à Muratori, lequel a prétendu, dans un recueil de formules insérées dans les lois des Lombards, qu'il y avait à cette époque un avoué de la partie publique. Mais Montesquieu, loc. cit., prouve clairement qu'il n'y avait point d'analogie entre l'avoué de ce temps-là et le ministère public, tel que nos lois l'ont établi : l'avoué était chargé des intérêts du fisc, et non de la répression des atteintes portées à l'or-ployé qu'avec la permission du prince. Le demandeur en justice

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dre public. On voit aussi, dans les monuments de ces temps reculés, que les évêques et les abbés avaient des avoués qui menaient à la guerre leurs vassaux ou arrière-vassaux. — Enfin, on donnait encore ce nom au seigneur qui se chargeait de la défense des droits d'une église. C'est ainsi que le pape Étienne III, lorsqu'il sacra Pépin, en 752, lui donna le titre d'avoué et de défenseur de l'Église (V. Anquetil, Hist. de France, seconde race, §1). Dans le langage moderne, le mot avoué ne s'entend plus que dans le sens de la définition que nous en avons donnée.

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2. Chez toutes les nations civilisées, partout où les formes salutaires d'une bonne justice ont garanti à chacun la conservation de ses droits, le cours naturel des choses à dù faire établir près des tribunaux des hommes spéciaux versés dans la connaissance des règles à suivre pour l'instruction des procès.

3. A Rome, la variété des formules introduites pour les diverses actions rendit l'accès du prétoire difficile pour ceux qui n'en avaient pas fait une étude particulière. De là nécessité de recourir aux hommes spéciaux qui s'y étaient livrés, et qui, sous le nom de cognitores juris ou de procuratores ad lites, firent bientôt profession de représenter les parties, d'agir ou de répondre pour elles. Le mandat dont ils étaient investis était si général et si complet, qu'ils étaient reconnus les maîtres du procès, domini litis, L. 4, § 5, ff., De appell.; et c'est peut-être là l'origine de TOME VI.

4. En France, dans les premiers siècles de la monarchie, c'était le sort des armes qui, le plus souvent, décidait les contestations, et l'on conçoit que le ministère des procureurs ad lites était peu compatible avec les formes d'une semblable justice. Mais aussitôt que les ténèbres de la barbarie commencèrent à se dissiper, et que le régime des lois fut susbtitué au droit de la force, ils reparurent comme une nécessité d'une organisation plus perfectionnée. Dans l'origine, leur ministère ne pouvait être em

était obligé de se munir de lettres de chancellerie scellées du grand sceau pour plaider par procureur. Les accorder était un des droits de la souveraineté, et on lit dans l'instruction donnée en 1372 pour la conservation des droits de souveraineté et de ressort, et autres droits royaux dans la ville et baronnie de Montpellier, cédés par Charles V à Charles Ier dit le Mauvais, roi de Navarre et comte d'Évreux, que « au roi seul appartient donner et octroyer sauvegarde et grâces à plaidoyer par procureur et lettres d'élat de nobilisation et de légitimation. » — Ces lettres de grâces, qu'il fallait renouveler à chaque séance, coûtaient six sols parisis. Pour éviter cette dépense aux parties, le parlement, sur une requête que lui présentaient les procureurs, prorogeait lui-même gratuitement ces dispenses. Mais, par des lettres du 3 nov. 1400, Charles VI renouvela la défense de plaider par procureur, soit au parlement, soit au châtelet, sans en avoir obtenu la permission par des lettres de chancellerie. Cette autorisation n'était pas nécessaire pour le défendeur.-Sur la maxime « nul en France, excepté le roi, ne plaide par procureur, »V. v° Action, n° 265 et s. 5. Ce n'était pas là une mesure exclusivement fiscale. La justice a souvent besoin d'être éclairée par la présence des parties elles-mêmes, et le point de fait est parfois mieux connu au moyen de quelques questions qui leur sont directement adressées par le juge, que par plusieurs heures de plaidoirie. C'est pour ce motif que le code de proc. (art. 119) a maintenu aux tribunaux la faculté d'ordonner la comparution personnelle des parties. Néanmoins, par une ordonnance de 1518, François Ier abrogea les lettres de Charles VI sur ce point, et déclara qu'à l'avenir les procureurs pourraient occuper sans autorisation.

6. Le nombre des procureurs fut d'abord illimité; les juges en recevaient autant qu'ils le jugeaient convenable. Sous le règne de Charles V, on se plaignit de ce qu'ils étaient devenus trop nombreux, et ce prince les réduisit à quarante pour le Châtelet; mais Charles VI (lettres du 19 nov. 1393) révoqua cette disposition. Toutefois, dix ans après, le nombre des procureurs s'était multiplié à tel point que le même roi reconnut la nécessité de le restreindre. En conséquence, il autorisa les présidents du par

lement à choisir un certain nombre de conseillers de la cour, en leur donnant mission de supprimer tous les procureurs qui n'auraient pas les qualités requises pour leur profession. Malgré cette mesure et plusieurs autres ordonnées dans le même but, il y avait, en 1537, plus de deux cents procureurs au parlement. Ce nombre considérable, comparé à celui des avoués à la cour royale de Paris, lequel n'est aujourd'hui que de soixante, montre assez que les contestations portées devant le parlement étaient beaucoup plus multipliées que celles qui sont déférées à la juridiction qui l'a remplacée. Ce rapprochement pourrait se faire, du reste, avec le même résultat, dans le ressort de tous les anciens parlements. Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, un édit du mois de septembre 1666 avait fixé à cent vingt le nombre des procureurs près le parlement de Toulouse. Sur les représentations de leurs successeurs, un édit de mars 1768 les réduisit à soixante. Aujourd'hui il n'y a que vingt-deux avoués près la cour royale de cette ville, et le nombre est plus que suffisant pour les besoins des justiciables. Il est vrai que le ressort des parlements était plus étendu que celui des cours royales; mais quand on considère que la population de la France a presque doublé depuis deux siècles, que la propriété a été morcelée à l'infini, par suite des lois qui nous régissent depuis environ soixante ans, et que, malgré ces deux causes, le nombre des procès a sensiblement diminué, on est forcément amené à conclure que la législation s'est améliorée, que l'esprit de litige s'est affaibli, et qu'en un mot la civilisation a porté ses fruits, Il est impossible que les amis des progrès sociaux n'applaudissent point à un semblable résultat.

7. Les conditions d'admission étaient originairement d'une grande simplicité; il suffisait de produire au prévôt de Paris un certificat de capacité délivré par trois ou quatre avocats notables. Mais un réglement du 15 octobre 1557 voulut que, pour être admis à l'exercice de la profession de procureur, on fùt tenu de justifier de dix ans de palais pendant lesquels le candidat devait en avoir passé trois en qualité de maître clerc. Ce stage s'établissait au moyen d'un certificat délivré par la communauté des clercs appelée la Bazoche, Les fils de procureurs étaient, par un étrange abus, dispensés de produire ce certificat (V. Denisart, 6o édit., 1768, vo Procureur ). Il fallait, de plus, que l'aspirant aux fonctions de procureur fùt âgé de vingt-cinq ans et prêtât serment de garder les ordonnances, arrêts et règlements. Ces conditions, nous le croyons, offraient plus de garanties de capacité que celles établies par la législation moderne. Aujourd'hui cinq ans de cléricature suffisent (décret du 6 juill, 1815, art. 15, V, infrà, art. 2), et encore n'est-il pas nécessaire que l'aspirant ait été maître clerc. A la vérité, la loi du 22 ventôse an 12 (art. 6) | exige en outre un certificat de capacité obtenu dans une faculté de droit du royaume; mais l'expérience apprend assez que cette condition est loin de remplacer avec avantage les cinq années de cléricature exigées de plus par les anciens règlements, et surtout les trois années d'exercice de l'emploi de principal clerc. Par des lettres du 8 août 1552, Henri II permit aux avocats d'Angers d'exercer en même temps la profession de procureur, comme ils étaient déjà en possession de le faire; et l'ordonnance d'Orléans (art. 58 ) étendit cette faculté à tous les siéges. Cet état de choses fut confirmé par Charles IX.

8. Toutefois, par un édit du mois de juillet 1572, ce prince, pour rendre tous les procureurs égaux en qualité, et afin de pouvoir les réduire à l'avenir à un nombre certain et limité, créa en titres d'offices tous procureurs, tant anciens que nouveaux, dans ses cours de parlement, grand conseil, chambre des comptes, cours des aides, des monnaies, bailliages, sénéchaussées, siéges présidiaux, prévotés, élections, siéges et juridictions royales du royaume, à la charge de prendre de lui des provisions dans le temps marqué, sans que les parlements et autres juges pussent les en dispenser. Dans plusieurs siéges, les avocats réclamérent et firent observer que, de tout temps, et notamment suivant P'ordonnance d'Orléans, il leur avait été permis de remplir les fonctions de procureur. Charles IX les autorisa alors à en contiquer l'exercice en prenant de lui des provisions.

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Par lettres du 22 juillet de cette année, le même roi permit à ceux qui seraient pourvus de ces sortes d'offices de les résigner à personnes capables, en payant le quart denier en ses parties casuelles comme les autres officiers. C'est de cette ordonnance

que date, à proprement parler, l'institution des offices de procu

reurs.

9. Au reste, le temps et les révolutions, qui ont si profondé ment modifié tant d'autres institutions, n'ont apporté que d'assez faibles changements aux fonctions et aux devoirs des anciens procureurs. Après quelques vicissitudes, leur histoire se trouve, sous ce rapport, à peu près tout entière dans la législation actuelle sur les avoués ou dans les usages maintenus au palais.

Ainsi, les procureurs comme les avoués étaient tenus d'avoir un registre de recettes. L'art. 44 de l'ordonnance de Charles Vi d'avril 1453 était ainsi conçu: « Et pour ce que souventes fois advient que, après le trespassement des procureurs, leurs hér itiers demandeut grandes taxes et salaires, et ainsi, les héritiers demandent souvent ce qui a été payé auxdits procureurs; voulons et ordonnons que lesdits procureurs fassent dorénavant registre de ce qu'ils auront reçu et recevront des parties.»>

Les procureurs étaient tenus, comme les avocats, de se trouver au palais avant l'ouverture des audiences, d'y paraître en robe et en bonnet carré, sous peine d'amende (ord. juin 1540, art. 27; 11 fév. 1519, art. 13; arrêts de règlement, 14 août 1617 et 11 fév. 1612). Quand l'avocat plaidait, ils devaient se tenir debout (règlement 14 août 1617, art. 5; édit juillet 1539 art. 40; règlement 26 fév. 1588) et ne pouvaient quitter l'audience qu'avec la permission du juge.

A Paris, ces dernières prescriptions, qui y sont tout à fait oubliées, paraîtront, sans doute, s'éloigner beaucoup du régime actuel; mais, dans plusieurs autres siéges, elles reçoivent encore leur exécution.

10. Il y avait dans les communautés de procureurs une chambre syndicale appelée chambre de postulation, A Paris, cette chambre se composait de dix-buit personnes, élues pour trois ans par la communauté; elle avait pour mission de faire exécuter les règlements sur la postulation, de rechercher et de poursuivre toutes les contraventions. Le premier membre de cette chambre était appelé président, le second procureur général et les autres conseillers (V. Encyclop. méth. (Jurisprudence), t. 6, p. 619; Ferrière, Dict, de dr. et de prat., t. 1, p. 262).— On verra plus bas (art. 9) que cette organisation diffère peu de celle qui a été établie pour les chambres des avoués par l'arrêté du 13 frim. an 9.

11. Quant aux anciens priviléges des procureurs, ils donnaient lieu à plusieurs questions qui ne présentent plus maintenant qu'un intérêt de curiosité, mais qui, à ce point de vue même, peuvent naturellement trouver ici leur place. Ainsi, on avait agité la question de savoir si les biens qu'acquéraient les procureurs dans leur profession devaient être considérés comme un pécule quasi castrense, et la jurisprudence leur avait accordé cet avantage qu'elle attribuait également aux avocats.-V. Denisart, 6e édit., 1758, vo Procureur.

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C'était aussi, dans ce temps d'inégalité sociale, une question intéressante que de savoir si la profession de procureur faisait perdre la qualité de noble, Le président de Chambéry, après avoir décidé que l'emploi de notaire était incompatible avec la noblesse, déclarait que c'était une erreur de prétendre qu'il en fût de même de l'office de procureur (Denisart, loc. cit.). — On trouve encore, dans le recueil de Maynard, un arrêt du parlement de Bordeaux qui maintient en la qualité de noble un procureur de cette cour issu de Pic de la Mirandole.

Les laiques pouvaient-ils seuls remplir les fonctions de procureur? Une ordonnance du parlement de 1287 déclarait qu'il y avait incompatibilité entre cette profession et les ordres sacrés; et cependant, on voit dans l'histoire de Paris, de dom Lobineau, qu'Alexandre Nacart, curé de Saint-Sauveur, était en même temps procureur au parlement. L'opinion générale était cependant que les procureurs devaient nécessairement être laïques.— V. Merlin, Rép., v° Procureur.

12. La jurisprudence ancienne avait établi contre eux une incapacité de recevoir, qui n'est pas admise par la législation actuelle. Aucune libéralité ne pouvait leur être faite, durant le cours des procès, par les parties pour lesquelles ils occupaient. Denisart cile pourtant un assez grand nombre d'arrêts qui ont validé des dispositions à titre gratuit faites dans ces circonstances. Ce sont notamment les arrêts du parlement de Paris du

1 mars 1646, en faveur de Me Dubois; du 22 juin 1676, au profit de M® Lesné; du 7 janvier 1697, en faveur de Mo Edeline; du 22 juin 1700, en faveur de Me Pillon; du 3 sept. 1726, au profit des enfants de Me Delisle; du 5 février 1751, en faveur de Me Belamy. Mais ces décisions mêmes, fondées uniquement sur des motifs exceptionnels, semblent confirmer la règle en admettant l'exception.

Le législateur moderne a agi sagement, ce nous semble, en ne laissant pas subsister une incapacité qui n'avait en réalité aucun fondement raisonnable. Que les médecins, les pharmaciens soient déclarés incapables, cela se conçoit ; ils tiennent, en quelque sorte, dans leurs mains, la vie des malades livrés à leurs soins, et il pourrait se trouver des hommes capables d'abuser de cette situation. On comprend encore très-bien que le code civil (art. 909) ait étendu celte incapacité au ministre du culte, qui peut excercer une si grande influence sur l'esprit affaibli d'un moribond. Mais rien de semblable n'est à redouter de la part d'un avoué. Son client est, à son égard, dans une position tout à fait indépendante, et son ministère n'a pas sur le résultat du procès une action assez décisive pour que son ascendant puisse être réellement à craindre.

13. Nous avons exposé dans leur ensemble les règles auxquelles la profession de procureur était encore soumise en 1789. A cette époque d'agitation et de réforme, cette institution devait être nécessairement modifiée. Un décret du 29 janvier20 mars 1791 supprima la vénalité et l'hérédité des offices; mais comme on n'en était point encore à l'application des idées radicales qui devaient prévaloir plus tard, l'art. 3 de ce décret dis-posa qu'il y aurait auprès des tribunaux de district des officiers ministériels ou avoués, dont la fonction serait exclusivement de représenter les parties, d'être chargés et responsables des pièces et titres des parties, de faire les actes de forme nécessaires pour la régularité de la procédure et mettre l'affaire en état (V. Office et Organ. judic.). On voit que, sauf le nom et la vénalité des offices, les procureurs étaient maintenus dans leurs fonctions: on maintenait la chose tout en supprimant une dénomination qui, à cette époque, était tombée dans un certain discrédit; car les masses jugent des institutions par leurs résultats, souvent même par les préjugés que la légèreté et l'esprit de critique ont élevés contre elles, sans rechercher si ce n'est pas plutôt aux vices de la législation qu'on doit s'en prendre des abus, plutôt qu'aux hommes et aux fonctions dont ils sont investis.

Sans doute que des abus avaient existé. Quelle est l'institution au monde qui en a été complétement à l'abri? On ne saurait admettre que des hommes, qui, par la nature de leurs fonctions, se trouvaient en contact continuel avec la magistrature et le barreau, se fussent, en masse, couverts d'une telle Souillure que leur nom fùt devenu une sorte d'outrage pour leurs successeurs. Il était, d'ailleurs, impossible de formuler une telle accusation sans qu'elle atteignît indirectement la magistrature de cette époque, qui, par une inexplicable faiblesse, aurait toléré les plus honteux écarts de la part de ceux qu'elle devait surveiller. Cette sorte de réprobation, nous le croyons pour l'honneur de nos pères, devait être fondée sur des inductions tirées de certains faits particuliers, et étendues à l'ensemble de la profession. Il est moralement impossible, en effet, que, dans une communauté reconnue, favorisée par la loi, la probité ne soit pas la règle et la prévarication une exception assez rare.

Au reste, la position élevée dont jouissaient certains procureurs nous paraît une réfutation suffisante du préjugé populaire qui les atteignait. Jean-Baptiste Vernier était procureur du duc d'Orléans, régent du royaume, et l'un des membres du conseil du prince. Il eut l'honneur d'être nommé, par arrêt du parlement, tuteur des princesses, ses filles. Le duc de Bourbon nomma par son testament Jean-Baptiste Maupassant, son procureur au parlement, l'un des conseillers de la tutelle du prince de Condé, son fils. Louis Pormé, procureur au parlement, était aussi membre du conseil du duc d'Orléans, premier prince du sang. Pour cet office, il était employé sur l'état du roi, à la cour des aides, comme les commensaux de la maison du roi; il était aussi admis aux conseils du comte de Clermont, du prince de Conti, de la princesse de Conti, de mademoiselle de Charolais et de mademoiselle de Sens, princes et princesses du sang. On n'ar

rive pas au degré éminent de considération que font supposer de pareils choix par l'exercice d'une profession dont le nom même serait devenu l'objet d'une réprobation de la législature, si l'on ne devait supposer que le préjugé parlait alors plus haut que la vérité des choses.

De nos jours, en France, où l'on a vu des avoués parvenir aux plus hautes fonctions de la législature et de la magistrature, ces préjugés sont bien affaiblis; l'esprit de justice est venu avec les lumières. L'exagération des frais judiciaires est due aux exigen❤ ces du fisc toucirant les droits de timbre et d'enregistrement, dont les avoués sont tenus de faire l'avance, encore plus qu'à l'intervention de ces derniers. C'est ce que l'on a déjà compris assez généralement. On sait aussi que les affaires que les avoués parviennent à concilier leur sont souvent plus profitables que celles qui se terminent par des jugements. Aussi, à mesure que cette connaissance pénètre dans la société, à mesure aussi que la réputation de savoir et de probité de ces officiers ministériels se propage, on voit s'évanouir les dernières traces des préventions et des préjugés de nos pères envers des fonctionnaires dont l'existence est indispensable à l'administration de la justice, et au sujet desquels M. Favard de Langlade a dit avec raison au corps législatif : « que la magistrature ne sera jamais plus honorée que lorsque les avoués le seront eux-mêmes. »>

Quoi qu'il en soit de ces considérations, la dénomination de procureur disparut devant celle plus moderne d'avoué. En cela on crut, et avec raison, ne faire qu'une chose convenable: aussi fut-il dit par l'un des orateurs qu'il « était de l'intérêt des procureurs eux-mêmes que le nom de procureur fùt changé aux yeux de la société, » et si le Moniteur du 17 déc. 1790 constate que ces expressions furent accueillies par les murmures de l'assemblée, on n'y eut pas moins égard, puisque le nom ne figure point dans le décret de 1790.

14. Mais reprenons l'historique de la législation depuis la période révolutionnaire jusqu'à nos jours.

Plusieurs des dispositions du décret du 29 janv. 1791 dont il vient d'être parlé ont été confirmées par celui rendu à la même date, du 29 janv.-11 fév. 1791, qui détermine les personnes admissibles aux fonctions d'avoué, ainsi que quelques conditions imposées à cette profession : ce décret, en raison de sa connexité avec le précédent, sera pareillement rapporté vo Office.

15. Plusieurs dispositions d'un faible intérêt, concernant les avoués, ont été rendues dans la même année 1791 et en 1793. On y lit: 1° que les avoués doivent se conformer au tarif de 1778 et à la forme de procédure établie par l'ordonn. de 1667 et règlements postérieurs (L. 6 mars 1791, art. 32 et 34 );-2° Qu'ils ne peuvent représenter les parties au bureau de paix (L. 6 mars 1791, art. 16, V. Organisat. jud.) ;—3° Que, dans les villes où l'ord. de 1667 n'a été publiée ni exécutée, les avoués se conformeront aux usages, lorsqu'ils ne seront pás contraires aux modifications faites à cette ordonnance par l'art. 34 du décret du 6 mars 1791 (décret 28 avril 1791, art. 1);—4° Qu'il n'y aura point d'avoués aux tribunaux de police municipale (décret 19 juill. 1791, tit. 1, art. 38, V. Inst. crim.);—5o Que le comité de constitution présentera un projet de loi sur la manière d'admettre auprès des tribunaux de justice les avoués et les huissiers (décret 30 août 1791); -6° Qu'ils produiront un certificat de civisme pour être admis à exercer leurs fonctions (décret 26 janv. 1793); -7° Que la formalité d'une consultation signée par des avoués, nécessaire pour se pourvoir en cassation ou en requête civile, est supprimée (décret 19-21 août 1793).

16. Une période allait s'ouvrir, devant laquelle l'institution devait disparaître. · Les avoués furent supprimés par le décret du 3 brum. an 2, dont l'art. 12 est ainsi conçu : « Les fonctions d'avoués sont supprimées, sauf aux parties à se faire représenter par de simples fondés de pouvoirs, qui seront tenus de justifier de certificats de civisme; ils ne pourront former aucune répétition pour leurs soins ou salaires, contre les citoyens dont ils auront accepté la confiance. »V. Instruct. civ.

17. C'était là faire preuve, sinon d'habileté politique, au moins de logique radicale. Mais on ne lutte pas longtemps contre la nécessité des choses (V. aussi l'historique de l'article Avocat), et l'absence de mandataires légaux auprès des corps de judicature était remarquée par tout le monde. Toutefois, quoique l'on ait

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