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De même, il y a des voleurs et des incendiaires; mais l'incendiaire, le criminel d'habitude ne sont pas des réalités vivantes; ils constituent des types que le raisonnement a produits, à la suite d'observations le plus souvent incomplètes. Car pour le même fait criminel, observé et décrit, on a presque toujours un agent, dont le mobile et les sentiments diffèrent; de sorte que conclure de la répétition des mêmes crimes à leur reproduction inconsciente et forcée, ce serait se mettre en contradiction avec le sens intime et les saines données de l'expérience elle-même.

Où donc se trouve la vérité ? Dans la double loi qui suit :

1° En face d'une règle morale certaine, éternelle et nécessaire qui vient de Dieu même et que l'intelligence humaine connaît, l'homme est libre, d'une liberté primordiale et essentielle.

Cette règle, recta ratio, naturæ congruens, constans, sempiterna, non alia Romæ, alia Athenis (1), la conscience universelle la reconnaît et le christianisme lui a donné sa lumière et sa perfection définitives. Quant à la liberté, on a beau la presser dans les étreintes en apparence irrésistibles du déterminisme, elle est plus forte que les théorèmes et les négations, sous lesquels on a cru parfois l'étouffer, et elle survit à toutes les épreuves aussi bien qu'aux plus tristes chutes.

2o Mais des circonstances et des fails multiples limitent et énervent souvent la liberté. « La misère est mauvaise conseillère,» selon un vieux proverbe; ou encore : « Dis-moi qui tu hantes, je te dirai qui tu es ; » de là, pour le législateur et pour le juge, l'obligation de tenir soigneusement compte de ces divers «< facteurs ou excitants du crime », afin de fixer avec mesure la res

(1) Cicéron, De Republ. II, 17.

ponsabilité réelle du coupable et l'intensité du châtiment. En cela, la sociologie criminelle est utile; par ses méthodes, elle a donné à l'analyse de la criminalité plus de délicatesse et de sûreté. En même temps la recherche patiente des causes plus ou moins éloignées, qui ont agi en sens divers sur le délinquant, a conduit à cette «<thérapeutique criminelle » qui passionne la société contemporaine et qui lui fait honneur. Jamais, en effet, on n'a poursuivi avec plus d'ardeur généreuse la solution de ces trois grands problèmes les plus ardus, peutêtre, de toute législation criminelle : la préservation de l'enfance, la diminution de la récidive, l'exécution des peines. Et si nous sommes encore loin du but à atteindre, il est vrai de reconnaître l'admirable accord des gouvernements et des philanthropes conjurés sur ce point contre l'ignorance et le crime.

Le domaine du droit criminel étant ainsi déterminé, est-il besoin d'en marquer l'importance? Celle-ci apparaît d'elle-même. Rien apparemment ne touche de plus près aux intérêts essentiels de l'individu que ce qui regarde la liberté de sa personne, l'honneur de son nom et même sa vie. Pour les nations, leur grandeur de tout temps s'est mesurée au souci qu'elles ont eu des garanties de la liberté individuelle: demandezle plutôt à la Rome républicaine et à la libre Angleterre!

Au surplus, le criminaliste ferait fausse route s'il n'avait constamment pour guides l'observation et le raisonnement une observation à la fois précise et large, qui ne néglige nul élément du fait délictueux, et non plus aucun des sentiments de l'âme du coupable; — un raisonnement d'une rectitude rigoureuse, proscrivant l'à peu près et cherchant à exprimer la pensée dans une langue toujours sobre et limpide. Du reste, il n'est aucune partie du droit qui impose plus à l'esprit,

et comme naturellement, le devoir de penser juste; on peut, sans doute, s'égarer un moment dans des phrases; mais bientôt le bon sens reprend ses droits, et si l'idée devient flottante, l'expression, malgré son apparence scientifique, augmente encore, pour qui voit clair, le vide de la théorie,

ESQUISSE HISTORIQUE.

CHAPITRE II

§ 1. DROIT PÉNAL ROMAIN. § 2. ANCIENNE LÉGISLATION FRANÇAISE JUSQU'A LA RÉ

VOLUTION.

L'histoire du droit criminel peut être enfermée dans trois grandes divisions:

Droit romain;

Ancien droit français;
Législation moderne.

Comme il ne peut être ici question que d'une simple esquisse (1), je me bornerai à retracer l'histoire des idées, sans essayer de présenter, même en abrégé, le tableau des lois successives et des institutions pénales à Rome et dans notre ancien droit.

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Les diverses législations pénales offrent en général trois périodes dans leur développement : une période

(1) L'histoire des institutions pénales est fort compliquée et l'une des branches les plus curieuses de l'histoire générale du droit. A ce titre elle appartient à cette dernière histoire et il est, ce semble, aussi inutile que dangereux d'essayer de la faire tenir dans un résumé qui ne pourrait être que très étendu ou très incomplet. Des résumés de cette sorte risquent de n'être que l'ombre et peut-être même que la parodie de l'histoire.

primitive; une période politique;

enfin la pé

riode judiciaire ou éclectique. Et pour chaque période, l'historien perspicace démêle assez bien le progrès réalisé quant au fond; dans l'organisation des tribunaux enfin relativement à la procédure.

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Au fond, la vengeance privée est à l'origine de la législation pénale de tous les peuples. Ce n'est que lentement que l'esprit humain s'élève à la conception de la justice sociale.

- Quant à l'établissement des juridictions et à l'organisation des tribunaux, partout on débute de même : le jugement se fait par le peuple; et, chose digne de remarque toutes les législations tendent et aboutissent au jugement par le jury, qui est encore, et sous la meilleure forme, le jugement par le peuple.

puis inquisitoire,

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enfin

- La procédure; elle a été, le plus ordinairement, d'abord accusatoire, éclectique ou mixte.

Quelques textes éclairent d'une vive lumière ce qui précède :

Si membrum rupsit, ni cum eo pacit, talio esto, ainsi dispose la Loi des XII Tables. Et c'est déjà un progrès: car ainsi la vengeance de l'offensé ou de sa famille est contenue dans une mesure qui ne peut dépasser la grandeur de l'offense.

Ultio Domini est; sicut fecit, sic facite ei, porte le texte sacré (1), qui se rencontre presque mot pour mot avec la Loi des XII Tables; Qui irrogaverit maculam cuilibet civium, sicut fecit, sic fiet ei (2). La peine du talion a donc suivi et corrigé l'abus de la vengeance privée qui, à l'origine, s'est exercée sans limites!

Qu'on le remarque, d'ailleurs; la peine n'est pas

(1) Jerem. L, 13.
(2 Lev. XXIV, 19.

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