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liste qui ne peut répondre, est misérablement opprimée. Or, comme cette opinion est celle d'une puissante minorité dans les deux Chambres législatives, il en résulte que dans l'intervalle des sessions, l'Opposition, nécessaire à la vie d'un gouvernement représentatif, est détruite, et que l'on est privé de ces lumières qui jaillissent de la contradiction.

L'opinion royaliste sera-t-elle réduite à attendre le retour des sessions pour retrouver une tribune? Si les autres opinions demeuroient elles-mêmes stationnaires, on pourroit faire cette question; mais ces opinions, comme je l'ai dit, ont des espèces de journaux qui les répandent; elles avancent tandis que l'opinion royaliste recule. La voix de cette dernière opinion s'éteint avec celles de ses orateurs nous demeurons sans interprète. En ne nous entendant plus, on croit que nous n'existons plus; et notre contre-poids cesse d'être calculé dans la balance politique.

Il est vrai, quelques feuilles irrégulières, quelques écrits royalistes paroissent de loin à loin, comme pour empêcher la prescription; mais le silence recommence bientôt. Ce n'est pas de la sorte au une opinion se soutient: c'est en parlant sans cesse, en répétant sans cesse la même chose, qu'on peut espérer d'être écouté. Le projet de l'établissement du Conservateur est donc très-bon en ui-même il ne s'agit plus que de savoir comment le mettre à exécution.

D'abord, je dois déclarer que ni moi ni mes amis ne prendrons jamais aucun intérêt à un ouvrage qui ne seroit pas parfaitement constitutionnel. Nous voulons la Charte nous pensons que la force des royalistes est dans la franche adoption de la monarchie représentative. Leurs ennemis le sentent si bien, qu'ils ne les craignent que sur ce terrain: aussi voyez ce qu'ils font pour les en chasser! « Nous avons pris la Charte comme » un manteau, disent-ils; mais, au fond du cœur, » nous avons juré la perte de la liberté, le réta»blissement de l'ancien régime, le retour des prin viléges, de l'inquisition et de la féodalité. »

C'est en effet comme cela qu'ils peuvent nous combattre s'ils convenoient une fois que nous sommes sincères dans nos opinions constitutionnelles, leur empire seroit passé.

Quoi qu'il en soit de ces accusations, de ces mensonges avec lesquels on se croit obligé de combattre des adversaires, le Conservateur soutiendra la religion, le Roi, la liberté, la Charte et les honnêtes gens, ou ni moi ni mes amis ne pouvons nous y intéresser.

Et à propos d'honnêtes gens, je vois avec plaisir que l'ouvrage projeté ne contiendra rien d'offensant pour les personnes. Ce ne sont point les hommes que l'on combattra, mais les doctrines; on louera ce qui est louable. Si les ministres montrent de l'habileté, du talent, de la sagesse, on applaudira; si les indépendans défendent les

vrais principes de la liberté, on donnera des éloges à leurs efforts: l'élévation des sentimens, la nesure et la politesse doivent être le caractère distinctif d'une feuille royaliste.

que

Mais entendons-nous; tout a ses bornes : « La » débonuaireté, dit Etienne Pasquier, implique » dans soi je ne sais quoi du sot. » Je pense donc si le Conservateur ne doit jamais attaquer, il ne doit pas non plus renoncer à une défense légitime. Tous les jours il arrive que les hommes les plus recommandables de la France sont exposés à d'infâmes calomnies; et les journaux soumis à la censure, ou n'admettent point la réplique, ou ne l'insèrent qu'avec des mutilations qui en énervent Ja vigueur,

Le Conservateur doit être ouvert à la justice: il rendra les calomniateurs plus circonspects, en leur apprenant que les personnes outragées auront un moyen de se justifier, d'examiner à leur tour, quels sont les hommes qui les outragent. Principe général: ne courez point les premiers aux armes, mais ne vous laissez pas désarmer la paix est dans la force.

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Lorsqu'on insulte les royalistes, on leur crie : Paix; c'est pour votre bien! soyez tranquilles. » Leur histoire ne ressemble pas mal à celle du Lion amoureux : ils conservent une passion toujours nouvelle pour la monarchie. Certaines gens (qui ne sont rien moins que les pères de cette monar, chie) viennent leur dire :

Ma fille est délicate;

Vos griffes la pourront blesser,
Quand vous voudrez la caresser.
Permettez donc qu'à chaque patte
On vous les rogne; et pour les dents
Qu'on vous les lime en même temps.

On sait ce qui arriva au bonhomme de lion, pour avoir cru trop naïvement à la sincérité des rogneurs d'ongles et des arracheurs de dents.

Il seroit assez piquaut de commencer la carrière du Conservateur par nous donner un Etat de situation des Journaux.

:

Le public a sans cesse besoin qu'on lui remette en mémoire les choses même dont il est tous les jours occupé il lit vite et lit mal; il est distrait et oublieux. Quoiqu'il sache très-bien que nos gazettes sont soumises à la censure; que ces gazettes n'expriment par conséquent que la pensée des entrepreneurs de cette censure, cependant il se laisse séduire par des mensonges incessammeut répétés.

Parlant d'abord des journaux censurés, on feroit voir comment on leur permet, avec une sorte d'adresse, de porter des couleurs différentes, quand ils traitent de l'ancienne monarchie, de la morale et de la religion. Ainsi il y en a qui peuvent déclamer à leur aise contre les prètres, les nobles, l'ancien régime; et d'autres à qui l'on accorde la faculté de défendre ce que les premiers ont attaqué, pourvu que ceux-ci n'aillent pas trop

loin dans leur réponse, et qu'ils s'abstiennent de tout ce qui seroit ou trop vif ou trop net. Quelquefois il est permis d'avoir une opinion littéraire sur un ouvrage ou sur un auteur, bien que cela souffre encore des restrictions: un rédacteur, qui veut écrire en sûreté, doit avoir sous les yeux un tarif des hommes avec les variations du cours, comme on a un almanach avec les phases de la lune. Souvent certains noms sont proscrits: les laisser passer dans un journal, c'est conspiration et trahison.

Telles sont les libertés religieuses, morales et littéraires légalement permises aux journaux censurés; quant à la liberté politique, elle est interdite à tous. Ils ne doivent contenir que les louanges des autorités, l'admiration de leurs œuvres, et les raisonnemeus nécessaires pour l'événement du

moment.

Ainsi nous allons bientôt voir paroître les colonnes officielles sur les élections. Chaque journal censuré aura, selon sa couleur tolérée, un petit article libéral, royaliste, indépendant, jacobin même, mais qui dira en définitive la même chose, c'est-à-dire Nommez des députés comme le veut le ministère.

:

Les bonnes gens s'émerveilleront après avoir bien retourné la chose dans leur esprit, ils concluront que c'est là très-certainement l'opinion générale; « car remarquez, diront-ils, que les Journaux, de principes les plus opposés, insinuent cependant

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