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§ 734.

Du droit d'attaquer le partage pour cause de lésion, ou pour atteinte portée à la réserve.

1o Le partage d'ascendant peut, comme tout autre partage, être attaqué par voie de rescision1, pour cause de lésion de plus d'un quart, c'est-à-dire dans le cas où la valeur des objets compris au lot de l'un des descendants est inférieure de plus d'un quart au montant de la part héréditaire qu'il aurait dû recevoir2. Art. 1079.

Cette action en rescision appartient à tout descendant lésé de plus d'un quart par l'effet du partage, et ne compète qu'à lui seul 3.

La lésion ne s'estime qu'eu égard aux objets formant la matière du partage, et non relativement à la masse totale des biens qui composaient le patrimoine de l'ascendant. Il en résulte que le descendant qui aurait obtenu les trois quarts de sa part héréditaire dans les objets partagés, ne pourrait attaquer le partage pour cause de lésion, encore que, par suite des dispositions à titre gratuit faites par l'ascendant, il n'eût point obtenu les trois quarts de cette part dans la masse totale des biens de ce dernier, et qu'il ne se trouvât même pas rempli de sa réserve'. Il en résulte encore que le descendant qui n'aurait pas reçu les trois quarts de sa part héréditaire dans les objets partagés, serait admis à attaquer le

'Il est à remarquer que l'art. 1079 ne qualifie pas l'action en vertu de laquelle le partage d'ascendant peut être attaqué pour lésion de plus d'un quart; mais il résulte de la nature même des choses et de la combinaison de l'article précité avec les art. 887, 2e alinéa, 888 et 891, que cette action est une action en rescision. Cpr. note 10 infra.

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Cpr. art. 887 et suiv.; § 626, texte no 3.

Ainsi, les descendants lésés de moins d'un quart ne peuvent attaquer le partage, lorsque celui qui a éprouvé une lésion de plus du quart ne se plaint pas. Duranton, IX, 648. Req. rej., 30 juin 1852, Sir., 52, 1, 735. Mais si le partage est rescindé à la demande de ce dernier, et que, faute par le défendeur d'user de la faculté établie par l'art. 891, il soit procédé à un nouveau partage, les descendants lésés de moins d'un quart pourront profiter du rétablissement de l'indivision. Duranton, IX, 653.

• La seule action qui lui compéterait en pareil cas, serait une action en réduction pour atteinte portée à la réserve. Duranton, IX, 648. Req. rej., 20 décembre 1847, Sir., 48, 1, 231. Agen, 14 mai 1851, Sir., 51, 2, 593. Req. rej., 30 juin 1852, Sir., 52, 1, 735.

partage pour cause de lésion, bien que, par suite d'une disposition préciputaire faite à son profit, il eût recueilli au delà des trois quarts de cette part dans la masse totale des biens de l'ascendant".

Si l'ascendant avait partagé ses biens par plusieurs actes successifs, l'action en rescision ne pourrait être dirigée contre l'un de ces actes séparément, et elle ne devrait être admise contre tous ces actes réunis, qu'autant que le demandeur aurait éprouvé une lésion de plus du quart sur l'ensemble des biens qui y ont été compris ".

On suit du reste, pour l'appréciation de la lésion et pour l'estimation des biens compris au partage, les dispositions de l'art. 890 et les règles développées au § 6267. Toutefois, même au cas de partage fait par acte entre-vifs, les biens doivent être estimés d'après leur valeur, non à l'époque du partage, mais au moment du décès. Le demandeur en rescision est obligé de faire l'avance des frais d'estimation, qu'il supportera en définitive ainsi que les dépens de la contestation, si la réclamation n'est pas fondée". Art. 1080.

L'action en rescision a pour objet l'anéantissement du partage d'ascendant en ce qui concerne la répartition des biens qui s'y trouvent compris, et par suite le rétablissement, entre les descendants, de l'indivision de ces biens. Le juge saisi d'une pareille action ne peut, après avoir reconnu l'existence d'une lésion de plus du quart, se borner à en ordonner la réparation, en maintenant pour le surplus le partage attaqué; il doit mettre cet acte au néant pour le tout 10. L'indivision se trouvant ainsi rétablie entre les co

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Ainsi, l'enfant donataire par préciput du quart disponible peut attaquer, pour cause de lésion, un partage d'ascendant par lequel il se prétend lésé de plus d'un quart sur les trois quarts composant la réserve et formant l'objet de ce partage. Genty, p. 306. Caen, 21 mars 1838, Sir., 38, 2, 419.

6 Troplong, IV, 2338. Civ. cass., 18 décembre 1854, Sir., 55, 1, 572. Cpr. § 626, texte et note 11.

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Ainsi, par exemple, la recevabilité de l'action n'est pas subordonnée à l'existence de présomptions de nature â rendre la lésion vraisemblable. Riom, 10 mai 1851, Sir., 51, 2, 598. Cpr. § 626, texte et note 26.

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Req. rej., 18 février 1851, Sir., 51, 1, 340. Cpr. cep. Nîmes, 24 décembre 1849, Sir., 50, 2, 308.

L'art. 131 du Code de procédure n'est point applicable en pareil cas Per legem generalem, speciali non derogatur. Duranton, IX, 660.

10 L'action en rescision dont il est ici question doit produire les effets qu'entraîne en général toute action en rescision, par cela même que l'art. 1079 qui l'établit, ne l'a soumise sous ce rapport à aucune modification. Cpr. note 1 supra;

participants, chacun d'eux est autorisé, d'une part, à demander un nouveau partage, et obligé, d'autre part, à rapporter à la masse les objets compris dans son lot. La rescision du partage n'entraîne point celle des libéralités préciputaires que renferme, au profit de l'un ou l'autre des coparticipants, l'acte instrumentaire qui le constate, à moins qu'elles ne soient le résultat des opérations mêmes du partage, et ne se confondent ainsi avec cet acte juridique ". Les libéralités contenues au partage sont même à considérer comme étant virtuellement faites par préciput, et se trouvent par conséquent, malgré la rescision de cet acte, dispensées du rapport, toutes les fois qu'elles n'y ont pas été expressément ou implicitement soumises 12.

§ 626, texte no 2 et note 28; § 336, texte et note 1. Le juge doit donc, lorsqu'il reconnaît que le demandeur a été lésé de plus d'un quart, prononcer la rescision du partage; et il ne peut d'office, c'est-à-dire, hors du cas où le défendeur aurait formellement offert une indemnité suffisante pour faire disparaître la lésion, se borner à ordonner la réparation de cette dernière. Delvincourt, II, p. 161 et 162. Cpr. aussi Grenier, I, 401; Duranton, IX, 651 à 653. Ces deux auteurs ne s'occupent pas spécialement de la question que nous traitons ici; ils considèrent comme hors de toute controverse la solution que nous avons adoptée. Voy. en sens contraire : Zachariæ, § 734, note 9. Les deux arrêts de la cour de cassation (Req. rej., 24 juillet 1828, Sir., 28, 1, 281, et Req. rej., 6 juin 1834, Sir., 35, 1, 58) que ce dernier auteur invoque à l'appui de sa manière de voir, statuent sur des espèces différentes de celle que nous avons actuellement en vue. Le premier a été rendu dans une hypothèse toute spéciale, dont il sera traité plus bas. Cpr. texte no 1 in fine, et notes 22 à 25 infra. Dans le second, il ne s'agissait pas d'une action en rescision pour cause de lésion, mais bien d'une action en réduction pour excès de la quotité disponible. Cpr. texte no 2 infra. " Delvincourt, II, p. 162. Toullier, V, 812. Duranton, IX, 650. Troplong, IV, 2330. Cpr. § 728, texte in fine, et note 12.

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** Lorsque dans l'acte même par lequel l'ascendant procède au partage de tout ou partie de ses biens entre ses descendants, il donne ou lègue à l'un d'eux un objet quelconque en sus de sa part, cet ascendant manifeste évidemment par la corrélation qu'il établit entre la libéralité et le partage, en les renfermant dans un seul et même acte instrumentaire, l'intention d'exclure du partage à faire après sa mort, non-seulement les biens auxquels il appelle tous ses descendants à participer, mais encore l'objet dont il gratifie spécialement l'un d'entre eux. On ne pourrait certainement pas, dans le cas où le partage serait maintenu, demander après la mort de l'ascendant, et par application de l'art. 1077, le partage de cet objet, qui, par cela même, est à considérer comme ayant été donné ou légué par préciput. Il doit donc en être de même dans le cas où le partage vient à être rescindé, puisque cette rescision ne porte, ainsi que tout le monde en convient, aucune atteinte aux libéralités préciputaires que renferme l'acte instrumentaire par lequel il a été procédé au partage. Cpr. § 632, texte no 2, et note 11. Voy. cep. Duranton, IX, 652.

Au surplus, le défendeur à l'action en rescision jouit, conformément aux règles du Droit commun et à la disposition de l'art. 89113, du droit d'arrêter le cours de cette action, et même d'empêcher un nouveau partage, en offrant au demandeur le supplément de sa portion héréditaire, soit en numéraire, soit en nature 14.

Que le partage ait été fait par testament ou par acte entre-vifs, l'action en rescision ne s'ouvre qu'à la mort de l'ascendant 15. Au cas de partage entre-vifs, elle se prescrit, conformément à l'art. 1304, par dix ans à partir de cette époque 1, sans qu'il y ait lieu

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13 Cpr. § 333, texte et note 5; § 626, texte no 2, notes 31 et 32.

Toullier, V, 804. Grenier, I, 401. Duranton, IX, 651. Rolland de Villargues, Rép. du notariat, vo Partage d'ascendant, no 104. Grenoble, 25 novembre 1824, Sir., 25, 2, 171. Lyon, 22 juin 1825, Sir., 25, 2, 366. Toulouse, 11 juin 1836, Sir., 36, 2, 556. Voy. en sens contraire Toulouse, 21 août 1833, Sir., 34, 2, 123.

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Voy. en ce sens : Civ. cass., 18 décembre 1854, Sir., 55, 1, 572; les autorités citées à la note 7 des §§ 730-731; et celles qui se trouvent indiquées à la fin de la note suivante. Voy. en sens contraire: Duranton, IX, 647; Toulouse, 12 août 1854, Sir., 55, 2, 120; et les autorités rappelées dans la première partie de la note suivante. Il a même été jugé (Bordeaux, 4 janvier 1827, Sir., 27, 2, 85) qu'un partage entre-vifs fait par deux ascendants conjointement ne pouvait être attaqué qu'après le décès de tous deux. Mais voy. en sens contraire: Agen, 17 novembre 1856, Sir., 56, 2, 662; Agen, 16 février 1857, Sir., 57, 2, 193. Voy. aussi Req. rej., 18 août 1847, Sir., 48, 1, 230. Ce dernier arrêt décide qu'un partage fait par deux ascendants est susceptible d'être confirmé dès après le décès de l'un d'eux et du vivant de l'autre. Toutefois, pour apprécier la valeur de cette décision, il faut se rappeler que la chambre des requêtes qui, dans le principe, s'était prononcée pour l'admissibilité, du vivant de l'ascendant donateur, de l'action en rescision et même de celle en réduction, a plus tard abandonné cette jurisprudence.

18 La question de savoir quel est le point de départ de la prescription de dix ans à laquelle se trouve soumise l'action en rescision d'un partage fait par acte entre-vifs, divise profondément les auteurs et les tribunaux. Dans nos premières éditions, nous nous étions prononcés en faveur de l'opinion d'après laquelle la prescription court du jour même du partage, opinion qui était assez généralement admise, et qui même avait été consacrée par la chambre des requêtes. Voy. en ce sens Rolland de Villargues, Rép. du notariat, vo Partage d'ascendant, no 102; Duranton, IX, 646; Vazeille, Des prescriptions, II, 563; Bordeaux, 1er avril 1833, Sir., 33, 2, 334; Limoges, 24 décembre 1835, Sir., 36, 2, 378; Req. rej., 12 juillet 1836, Sir., 36, 1, 534; Toulouse, 15 mai 1838, Sir., 39, 2, 50; Grenoble, 30 juillet 1839, Sir., 40, 2, 204; Grenoble, 6 mai 1842, Sir., 42, 2, 433; Nîmes, 12 juillet 1842, Sir., 42, 2, 465; Bordeaux, 26 décembre 1845, Sir., 46, 2, 242; Douai, 24 janvier 1846, Sir., 46, 2, 241; Montpellier, 22 décembre 1846, Sir., 47, 2, 174. En adoptant cette manière de voir, nous étions

de s'arrêter à la circonstance que la lésion n'aurait été découverte que plus tard 17. Si le partage a été fait par testament, l'action en rescision ne se prescrit que par trente ans à partir du décès du testateur 18.

L'action en rescision n'est également plus recevable, lorsque postérieurement à l'ouverture de cette action, c'est-à-dire, après le décès de l'ascendant, le partage a été confirmé expressément ou tacitement 19. L'acceptation d'un partage entre-vifs, ni même son exécution du vivant de l'ascendant donateur, n'élève aucune fin de non-recevoir contre cette action 20. Du reste, la question de partis de l'idée que l'action en rescision s'ouvre du vivant même de l'ascendant donateur. Mais les raisons déjà indiquées à la note 7 des §§ 730-731 et le rapprochement des art. 1078 et 1079 nous ont fait reconnaître que cette idée n'était point exacte. Or, du moment où l'on admet que l'action en rescision n'est recevable qu'après le décès de l'auteur du partage, on doit également admettre qu'elle ne se prescrit qu'à partir de ce décès. Voy. en ce sens : Zachariæ, § 734, texte et note 11; Solon, Des nullités, II, 490; Troplong, IV, 2331; Bordeaux, 6 juillet 1824, Sir., 25, 2, 115; Agen, 4 janvier 1827, Sir., 27, 2, 85; Caen, 15 juin 1835, Sir., 38, 2, 521; Nîmes, 17 mars 1841, Sir., 41, 2, 335; Civ. cass., 14 juillet 1849, Sir., 49, 1, 622; Bordeaux, 30 juillet 1849, Sir., 50, 2, 37; Agen, 28 mai 1850, Sir., 51, 2, 177; Orléans, 17 janvier 1851, Sir., 51, 2, 426; Orléans, 15 juin 1853, Sir., 55, 1, 572.

17 Cpr. § 626, texte et note 36.

18 Il est généralement reconnu que la prescription ne court, en pareil cas, que du jour du décès de l'ascendant, et qu'elle peut même être suspendue jusqu'à la découverte du testament qui contient le partage. Quant au délai même de la prescription, MM. Duranton (IX, 646), Genty (no 55) et Zachariæ (§ 734, texte et note 11) enseignent, contrairement à l'opinion émise au texte, qu'il n'est que de dix ans. En appliquant les dispositions de l'art. 1304 à l'action en rescision dirigée contre un partage fait par testament, ces auteurs ont perdu de vue que la prescription de dix ans établie par l'article précité, ne concerne pas les actions en nullité ou en rescision ouvertes au profit de tierces personnes contre des actes auxquelles elles n'ont point participé. Cpr. § 339, texte et note 14. Troplong, IV, 2331.

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Cpr. art. 1338; § 337; § 626, texte n° 2, et note 33. Grenoble, 8 mai 1835, Sir., 35, 2, 554. Caen, 27 mai 1843, Sir., 43, 2, 575. Bordeaux, 23 mars 1853, Sir., 53, 2, 403. Req. rej., 22 février 1854, Sir., 54, 1, 173.

* L'acceptation du partage d'ascendant fait par acte entre-vifs n'emporte pas plus que le concours à un partage conventionnel une confirmation qui rende non recevable l'action en rescision pour cause de lésion. Delvincourt, II, p. 150. Duranton, IX, 645. Troplong, IV, 2336. Grenoble, 8 mai 1855, Sir, 35, 2, 554. Toulouse, 5 décembre 1845, Sir., 45, 2, 247. Quant à l'exécution du partage qui aurait eu lieu avant le décès de l'ascendant, elle ne peut emporter confirmation de cet acte, c'est-à-dire renonciation à l'action en rescision à laquelle il se trouvait soumis, puisque cette action n'était point encore ouverte. Caen, 15 juin 1835, Sir., 38, 2, 521.

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