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La question de l'évolution des Euphorbes cactoïdes au Maroc posée dans l'article précédent par M. Alph. Mathey a été soumise d M. Ch. Watier. Il a bien voulu y répondre dans l'intéressante nole qui suit. Nous sommes heureux de la publier en lui exprimant le désir qu'il nous renseigne également sur les travaux de fixation par le Ricin des dunes marocaines.

NOTE SUR L'ÉVOLUTION DES EUPHORBES CACTOIDES DANS LE SUD-MAROCAIN

La piste stratégique allant de Marrakech (alt. 450m) aux postes fortifiés de Tanant (1100) et Azilal (1400m) situés à environ 120 et 200 kilomètres à l'est de la capitale, s'allonge d'abord pendant près de 100 km. dans cette immense plaine du Haouz où des oasis d'oliviers et de blés jalonnent le tracé des séguias d'irrigation venant de l'Atlas et où de rares villages, aplatis comme le paysage et façonnés de la même boue rouge que la plaine, laissent entre eux d'immenses étendues quasi-désertiques, dont l'argile, durcie comme de la brique, se montre généralement recouverte par de grandes nappes de cailloux épars,plus ou moins arrondis et témoins de ruissellements anciens.

On arrive ainsi, après s'être élevé insensiblement d'environ 300 mètres, à une série d'ondulations de terrains parsemées de touffes de jujubier, de sumac (rhus oxyacantha), gommier (acacia gummifera) et qui masquent à la fois l'oued el Akhdar tout proche et le paysage montueux de la rive opposée.

On plonge assez brusquement dans la rivière pour la traverser aussitôt sur la passerelle du Génie.

En même temps le décor change complètement et l'on retient un cri en découvrant tout à coup, au penchant des collines d'en face arides et pierreuses, des troupeaux de bêtes étranges, sortes de tortues géantes, d'un vert bleuâtre qui semblent dormir, assemblées là par familles et se chauffant au soleil. En approchant de plus près on reconnaît que ces énormes boules sont hérissées, à la manière des oursins, de multiples lances quadrangulaires appartenant, en fait, non pas à un animal féroce mais à une plante cactoïde qui ne l'est guère moins : l'Euphorbia resinifera (Voir Pl. I. 2).

Etrange en vérité ce végétal inabordable dont les tiges menaçantes semblent faire front dans toutes les directions, comme celles d'un animal en colère ramassé sur lui-même et renflé pour la défense.

Et plus redoutable encore pour qui connaît les piqûres de ses épines et les brûlures atroces, indéfinies de l'affreux suc dont il est gorgé.

Qui donc alors penserait avoir devant lui une plante, dont la gomme desséchée fait l'objet d'un important commerce de droguerie naguère monopolisé par les Allemands', dont le suc lui-même, convenablement appliqué, guérit les rages de dent, et dont enfin le miel un peu irritant mais délectable aurait la propriété sympathique et précieuse aux indigènes de mettre fin rapidement à certaine affection accidentelle dont les plus respectables d'entre eux ne sont pas exempts et qu'ils attribuent gravement aux courants d'air...

De telles vertus conduisent à regarder l'euphorbe résinifère autrement que comme une pure curiosité et l'on apprend dès lors avec intérêt qu'elle est très répandue non seulement dans cette région de collines des Eutifa qui forme trait d'union entre le Moyen et le GrandAtlas, mais encore ça et là sur de nombreux contreforts de ces deux chaînes de montagne appartenant au bassin supérieur de l'Oum-erKbia.

Dans ces parages étendus et variés on la rencontre sur presque tous les affleurements rocheux ou collines rocailleuses inutilisables par toute culture, soit à l'état pur, sur les rochers nus, soit, le plus souvent, en mélange avec de nombreuses essences forestières et formant avec celles-ci toute une gamme d'associations typiques dont elle représente tantôt le terme le plus rare, tantôt le plus abondant.

. C'est ainsi que, si l'on continue de monter vers Tanant en recoupant ou en longeant ces rides calcaires des Entifa séparées entre elles par des cultures d'orges et de vergers d'amandiers, on constate que, presque partout sur les versants exposés au sud, l'euphorbe se retrouve plus ou moins dense, mélangée d'abord à une faible quantité de jujubiers, sumacs et gommiers, puis, plus haut, en allant vers Tanant, à des peuplements clairs et réguliers de thuya, parsemés d'oliviers sauvages, enfin, plus haut encore, entre Tanant et Azibal, à des boisements plus.

1.- Les commerçants allemands exportaient annuellement avant la guerre.par Saffi et Mogador, environ 200 tonnes de gomme. Le « phorbium » provenant de la pulvéri sation de ces larmes sè hes de résine était concentré à Hambourg et dirigé de là sur les drogueries du monde entier où les vét rinaires pouvaient se le procu er pour fabriquer des emplâtres vésicants très appréciés. Actuellement la gomme achetée directe. ment aux indigènes par les ambulants israé ites est réunie et triée chez les commerçants français et notamment dans les fondouks de M. Pitois à Marrakech.

irréguliers de betoum, oxycèdre et chêne vert, parmi lesquels elle se raréfie, s'étiole et disparaît.

De même, en partant du pied de l'Atlas, à Demnat, pour gravir la chaîne par la piste de pénétration des Ait Chitachen, on retrouve encore l'euphorbe mélangée au thuya et au genevrier de Phénicie sur le versant sud de la première ride calcaire qui culmine à 1400 à hauteur d'Imin Ifri, puis, après quelques heures de marche à travers un vaste cirque de pâturages à moutons et d'oliviers, on recoupe une seconde ride plus haute que la première d'environ 200m, et on a la surprise, en redescendant le versant sud, parmi le peuplement clair de lentisques, cistes, philarias, caroubiers, chêne vert, pin d'Alep, arbousiers, etc., de rencontrer encore quelques pieds d'euphorbes chétifs, perdus au milieu des éboulis ou tapis contre les rochers.

Que signifient donc ces derniers échantillons de l'espèce dans cet isolement et à cette altitude? Faut-il voir en eux des éléments d'arrièregarde séparés de la masse et voués à la disparition, ou, au contraire, des éclaireurs timides, attendant, pour gagner du terrain et se développer, des circonstances plus favorables?

Ici, comme partout où l'on rencontre les euphorbes, on doit remarquer tout d'abord qu'elles se localisent de préférence dans chaque versant, sur les plages pierreuses brûlées du soleil où nulle autre plante ne leur dispute la place et, d'autre part, qu'elles ne profitent pas d'emplacements immédiatement voisins plus favorables en apparence à toute autre végétation, et laissés vacants par l'incendie, le défrichement ou toute autre cause.

D'ailleurs, dans cette région du Sud, et notamment dans la zone des euphorbes, où les associations végétales sont particulièrement clairsemées, il est difficile de constater ou d'admettre aujourd'hui une lutte entre espèces, susceptible d'aboutir à l'élimination de l'une par l'autre ; il reste partout des places vides à prendre et nulle ne les occupe.

Il semble donc bien, que, pour l'avenir tout au moins, sinon dans le passé, il faille considérer les espèces associées à l'euphorbe et l'euphorbe elle-même comme devant avoir désormais des évolutions indépendantes les unes des autres.

Mais c'est là tout ce que l'on peut dire sans trop s'écarter de l'observation.

Si l'on veut aller plus loin, en ayant recours à des hypothèses de moins en moins étayées, on peut admettre que ces évolutions sont en général des régressions dues au desséchement progressif du climat et que, de plus, ces régressions s'accomplissent sur place sans émigra

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