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» Le chalet de M. Mathieu, ancien député de la Corrèze, a été incendié le 25 janvier, ainsi que je l'ai constaté de Suresnes.

» Saint-Cloud, le 30 mars 1871.

» Signé A. MONNIER. »

Il sera facile, si ces preuves ne semblent pas suffisantes, de les multiplier et de les compléter. Dès à présent, je puis l'affirmer, il en existe, d'autres. Le 29 janvier, le lendemain de la signature de l'armistice, M. Pastor, commissionnaire exportateur, demeurant à Paris, cité Trévise, no 3, propriétaire d'une maison de campagne à SaintCloud, tenta d'y pénétrer avec d'autres personnes intéressées comme lui. L'accès leur en fut interdit par l'ennemi; mais des bords de la Seine, ils ont vu, et ils en ont dressé un procès-verbal, les soldats étrangers, courant dans la ville une torche à la main, allumant l'incendie dans les rares maisons qu'ils avaient respectées, et l'attisant dans celles qui n'avaient été qu'imparfaitement brûlées. Je tiens le fait de M. Pastor lui-même et je produirai le procès-verbal rédigé sur place par lui et par les personnes qui l'accompagnaient.

A moins de récuser tous ces témoignages, il faut bien reconnaître que cet incendie de toute une ville a été une œuvre volontaire, systématiquement entreprise et méthodiquement exécutée, et cela, au lendemain du jour où la cessation des hostilités commandait une conduite différente, pendant les négociations de l'armistice, et même lorsque sa signature interdisait des actes semblables, là même où, pendant la lutte, les nécessités de la guerre eussent pu les justifier. Nous prévoyons l'objection.

Ces preuves, dira-t-on, elles émanent de personnes intéressées, suspectes dès lors, Nous leur opposons une dénégation absolue. De quel droit préférer les affirmations qui nous accusent d'actes odieux, contraires au droit des gens et contre lesquels nous n'avons cessé de protester?

De quel droit, répondrons-nous, condamner des témoignages intéressés, il est vrai, et cela pour leur préférer des dénégations également intéressées?

N'y a-t-il rien, d'ailleurs, qui permette de discerner la vérité ?
Il y a d'abord la vraisemblance.

On n'accusera pas les propriétaires d'avoir incendié eux-mêmes et ruiné leurs demeures; non, sans doute.

On mettra le méfait à la charge des rôdeurs, des francs-tireurs, trop facilement suspects peut-être des excès commis par l'ennemi.

S'il s'agissait de pillage, on pourrait l'admettre; mais quel intérêt, ou quelle passion, expliquerait de leur part l'incendie et la destruction des maisons?

Restent le tir du Mont-Valérien et celui des remparts de Paris.

Il suffit, pour écarter cette hypothèse, de la vue des lieux. Que les hommes du métier les visitent, et pas un, s'il veut rester fidèle à la vérité, n'osera prétendre qu'à Saint-Cloud, à Montretout et à Garches, il ait en face de lui l'œuvre des obus français ou ennemis. Les feux de nos batteries expliqueraient la ruine de quelques maisons, des incendies partiels ; il est impossible qu'ils aient allumé les incendies. méthodiques, nous répétons le mot, et successifs, sous lesquels ont disparu toutes les constructions de Saint-Cloud et de Montretout.

Nous disons toutes les constructions, et c'est à peine une exagération; car, en y comprenant les maisons de campagne éparses sur le coteau, entre Montretout et le Mont-Valérien, restées debout, à l'exception de celle de M. Mathieu, il ne reste pas trente habitations debout.

Est-ce que les restes d'huile de pétrole, les débris de torches incendiaires n'ont pas aussi leur sinistre signification?

Enfin, un fait, c'est la date où commencent les incendies.

Le 19 janvier, pendant la bataille, Saint-Cloud et Montretout étaient debout encore; le 3 février, il ne restait pas pierre sur pierre.

Qui était là, qui occupait les lieux, qui a pu y porter la torche, si ce ne sont les soldats allemands? Ils étaient là dès le 17 septembre et n'ont quitté Saint-Cloud que le 10 mars.

Si un doute s'élève, on peut interroger non-seulement ceux qui des remparts de Paris ont assisté de loin aux faits et ont vu la torche se promener dans Saint-Cloud, mais des habitants qui ont vécu au milieu des Allemands et à leur service.

Il n'est pas inutile ici, peut-être, de dire comment a émigré de la ville la population aujourd'hui sans abri.

Dès le 17 septembre, les troupes ennemies occupaient Montretout et le côteau, et en chassaient les habitants, même les gardiens laissés dans les propriétés. Et personne, pendant quatre mois, n'a pu y pénétrer. L'interdiction a été absolue à ce point que les habitants restés dans le village de Saint-Cloud, construit, comme on le sait, en étages sur le versant de la Seine au-dessous de Montretout, n'ont pu porter leurs morts au cimetière.

A la fin de septembre, les habitants de Saint-Cloud eux-mêmes étaient chassés à leur tour.

Le maire, le curé, les sœurs hospitalières, un certain nombre de pauvres gens, d'infirmes et de vieillards, persistèrent à rester jus

qu'au 6 octobre, où des soldats ennemis les chassèrent sous les feux croisés des forts.

Mais il resta encore quelques personnes cachées dans les maisons et entre autres celles dont nous avons rapporté le triste journal. Les témoins ne manqueront donc point.

20 Les nécessités de la guerre n'imposaient pas et ne peuvent dès lors justifier la destruction de Saint-Cloud et de Montretout.

A peine est-il besoin d'insister à cet égard, tant l'évidence est. grande.

1° Ce n'est pas à distance, par des obus incendiaires, ou au milieu de la lutte du 19 janvier, que Saint-Cloud a été brûlé; il l'a été à la main, au moyen d'huile de pétrole dont les maisons étaient badigeonnées pour faciliter et activer l'incendie; il a été brûlé de sang-froid jour par jour; six cents maisons environ ont été ainsi incendiées; trente à peine ont été conservées; ce sont celles que les soldats ennemis habitaient et où ils avaient entassé les fruits du pillage. Ils n'ont cessé d'occuper les localités ravagées que le 10 mars, fait qui à lui seul ne permet pas de nier qu'ils soient exclusivement les auteurs volontaires de ce désastre immense.

2o Parlera-t-on de mesures militaires? Lesquelles?

3. Dira-t-on qu'on détruisait ainsi pour faire place nette, afin d'établir des ouvrages? Il n'en a été commencé aucun du 19 au 23 janvier, ni du 23, jour de l'ouverture des négociations, au 29, jour de la signature de l'armistice.

Comment d'ailleurs et dans quelque hypothèse que ce soit, justifier ces violences sauvages pendant la négociation et surtout depuis la conclusion de cet armistice?

Reste à déterminer l'étendue de la réparation; ce n'est pas chose facile.

Pour un grand nombre des maisons incendiées, l'impôt serait une base inexacte et peu équitable. C'étaient des maisons de luxe, dont le revenu, base de l'impôt, est loin de représenter la valeur. Beaucoup, par une confiance cruellement trompée, étaient restées garnies de riches mobiliers et de toutes les élégances de la vie, dont on sait le prix.

Mais la tâche, pour être délicate, n'est pas impossible, et je donnerai, dans un autre mémoire, des indications précises pour aider, soit à une évaluation immédiate de l'indemnité, soit à une expertise, si les plénipotentiaires, le principe admis, voulaient y recourir.

Je crois avoir justifié, en fait et en droit, la réclamation que j'ai mission de défendre. Je n'insiste pas sur ce qu'elle a d'intéressant et

de respectable. Votre cœur, j'en suis sûr, est d'accord avec le mien, et votre appui ne fera pas défaut à mes humbles efforts.

Signé MATHIEu.

Ici s'arrêtent les documents officiels que nous avons pu recueillir sur l'incendie de la ville de Saint-Cloud.

M. Mathieu, chargé par la commune de Saint-Cloud de poursuivre cette négociation à Bruxelles, ne fut pas admis à défendre les intérêts qui lui étaient confiés devant les plénipotentiaires rassemblés dans cette ville, qui se refusèrent formellement à tout ce qui, de sa part, ressemblerait à une discussion orale, en dehors de son mémoire à M. Jules Favre, que nous publions plus haut.

M. Jules Favre essaya de faire prévaloir les réclamations de SaintCloud, parmi beaucoup d'autres d'un ordre différent; mais toutes ces réclamations furent écartées par une fin de non-recevoir qu'il n'est pas inutile de faire connaître, au moins dans l'intérêt de l'histoire.

<< Nous nous refusons absolument, disaient les plénipotentiaires » allemands, à discuter et à examiner une seule de ces réclamations. » La France, à supposer que, parmi elles, quelques-unes soient sus>> ceptibles d'un débat sérieux, doit s'estimer heureuse que l'Alle» magne ne réclame pas d'elle un complément d'indemnité de » guerre. Quand la paix a été signée, elle devait être, et aurait été >> suivie au bout de six semaines, de deux mois au plus, du départ de >> celles de nos troupes qui ne devaient pas occuper votre territoire. » L'insurrection de la Commune a retardé ce résultat; et cette insur>>rection, elle n'est pas seulement d'une manière générale le fait de » la faute de la France, elle est la conséquence directe du refus de » désarmer la garde nationale de Paris, refus opposé par M. Jules » Favre aux suggestions de M. de Bismarck. Il en résulte un grand » préjudice pour l'Allemagne, dont l'industrie et le commerce, dont >> la vie civile sont, dans une certaine mesure, paralysés par » l'absence d'un grand nombre de ses citoyens. Ce préjudice, elle >> aurait le droit, dont elle n'use pas, d'en exiger la réparation, et » il compense au delà les indemnités, fondées ou non, que vous ré> clamez. »

Les plénipotentiaires allemands niaient, d'ailleurs, est-il besoin de le dire, le fait que Saint-Cloud aurait été volontairement, systéma tiquement incendié et pillé par eux.

No 1174.

DÉCLARATION DU COMTE DE BISMARCK AU REICHSTAG IMPERIAL DONNANT LA DÉFINITION DU NOUVEL EMPIRE ALLEMAND.

Berlin, le 1er avril 1871.

Cette Confédération portera le nom d'empire allemand, c'est-àdire qu'on pose ainsi comme principe fondamental une continuation de l'institution fédérale. La question, à mes yeux, n'a pas d'importance essentielle comme principe, mais seulement une valeur verbale, et nous avons eu en vue de trouver le mot qui convint le mieux pour rendre l'idée du droit (sur lequel notre État est fondé). Nous avons admis, en principe, de n'employer le mot Empire que lorsqu'il s'agit d'exprimer en substance les attributs politiques et souverains qui s'étendent à la totalité de l'État allemand, et de nous servir du mot Confédération, alors que ce sont plutôt les droits des différents États, des membres de la communauté fédérale, qui se trouvent au premier plan.

Nous avons pensé, puisque le pouvoir souverain, la souveraineté du pays, la souveraineté territoriale sont conservés aux différents États, que l'idée du lien fédéral devait être exprimée en première ligne dans la désignation de l'ensemble du territoire commun. La distinction des deux termes se dessine, suivant moi, plus nettement entre le mot: conseil fédéral et celui de conseil de l'empire (Reichsrath). Ce dernier terme, employé comme il l'est jusqu'ici en Bavière et en Autriche, prête aisément à un malentendu sur l'idée et les attributions qu'on peut, il est vrai, éclaircir facilement en lisant la constitution; cependant, on se demande si c'est bien là le mot propre pour la chose qu'il désigne. Les Reichsrath, en Bavière et en Autriche, comme on le sait, sont des corps parlementaires. Je crois que dans ces pays mêmes un tel emploi du mot n'est pas d'une justesse tout à fait incontestable. Sous le terme Reichsrath, j'entendrais plutôt, par analogie avec le mot Staatsrath (conseil d'Etat), l'autorité qui remplit dans un empire (Reich) les fonctions exercées dans chaque État particulier par le conseil d'État. Le conseil fédéral (Bundesrath) n'est pas proprement une autorité de l'empire; il ne représente, pas comme tel, l'empire; au dehors, l'empire est représenté par Sa Majesté l'Empereur (Kaiser); le peuple tout entier a pour représentant le Reichstag; tel que nous le comprenons, le conseil fédéral est essentiellement un corps au sein duquel les différents

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