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N° 1127.

M. WASHBURNE A M. HAMILTON FISH.

Paris, le 28 février 1871.

Sir, le traité de paix entre la France et le nouvel Empire d'Allemagne, qui aura à être ratifié ensuite par l'Assemblée nationale à Bordeaux, a été signé à Versailles dimanche dans l'après-midi. Le texte n'en a pas encore été publié, mais ses principales conditions sont bien connues. La nouvelle de la signature de ce traité a été reçue à Paris samedi soir et a causé, comme vous devez bien le supposer, une profonde impression. La condition par laquelle trente mille hommes de l'armée allemande occuperont une partie de Paris jusqu'après la ratification du traité a produit une vive émotion, mais j'espère que la ville traversera cette pénible épreuve sans scènes de violences.

On supposait généralement que la plus grande partie de l'armée d'investissement ferait une entrée triomphale dans Paris, à travers ses rues principales, mais sans en occuper aucune partie. Le changement apporté à ce programme, de ne faire entrer qu'un petit nombre de troupes qui resterait dans Paris jusqu'après la ratification à Bordeaux, semble indiquer que cette occupation partielle de la capitale n'a pour objet que d'exercer une pression sur l'Assemblée nationale pour hâter ses résolutions. Le Gouvernement a fait un appel pressant à la patience et à la modération des habitants, et il a été secondé à cet égard par la grande unanimité de la presse. Par l'extrait ci-joint, que j'ai coupé dans un des journaux, vous verrez que la publication de tous les journaux de Paris doit être suspendue durant l'occupation prussienne.

Notre légation est située dans la partie de la ville qui doit être occupée par les troupes allemandes; c'est celle où le plus grand nombre des résidents américains ont leur domicile. Il y a eu pas mal de crainte parmi nos concitoyens d'avoir peut-être à loger les soldats allemands; mais j'ai écrit hier au comte de Bismarck à ce sujet, et j'ai appelé son attention sur la correspondance qui a été échangée entre M. Bancroft et M. de Thiele, pour ce qui concernait la protection des propriétés américaines dans l'éventualité de l'occupation de Paris par les troupes allemandes, afin que des ordres fussent donnés par les autorités mi.itaires pour assurer la protection de toutes les propriétés américaines dans Paris.

Je dirai qu'il ne me paraît pas y avoir le moindre doute sur la ratification du traité par l'Assemblée de Bordeaux. Vous aurez certainement recu par télégraphe le texte de ce traité avant que cette dépêche vous parvienne, vous serez à même de l'apprécier et de décider dans votre propre jugement si la paix qui vient d'être conclue sera durable. Il est impossible de dire quelle sera l'influence du temps sur le peuple français; mais je crois pouvoir assurer que, pour le présent, il existe par toute la France un sentiment de haine contre les Prussiens tel, qu'il n'y en a aucun exemple dans l'histoire des peuples. L'article du Siècle que je vous envoie vous donnera une assez bonne idée du sentiment qui domine à ce sujet en France.

Les principaux négociateurs, du côté de la France, sont MM. Thiers et Jules Favre. Une tâche plus cruelle n'a jamais été probablement imposée à des hommes patriotes, et ce n'a été qu'aux dernières heures de l'armistice que le traité a été signé. Je tiens d'une source digne de foi que le nœud de la question a été la cession de la forteresse de Belfort, qui a été demandée opiniâtrement par les négociateurs allemands et aussi opiniâtrement refusée par les négociateurs français; enfin M. Thiers déclara de la façon la plus absolue que, bien que les Allemands fussent disposés à ne pas entrer dans Paris si Belfort leur était cédé, il ne consentirait jamais à signer une paix qui céderait Belfort. Je crois que la conservation de cette forteresse contribuera à faire paraître moins dure à la population parisienne l'entrée des Allemands dans la capitale. Plusieurs résidents américains sont déjà de retour ici, et aussitôt que la paix aura été définitivement conclue et que les trains de chemins de fer auront repris leur marche régulière pour les voyageurs et leurs bagages, je m'attends à les voir tous revenir.

Il y a eu de vives craintes sur l'état sanitaire futur de Paris, mais je crois qu'il n'y a aucun motif raisonnable d'avoir de pareilles craintes. La mortalité va diminuant chaque jour. Les approvisionnements sont maintenant en abondance et à meilleur marché qu'avant le siége. Ce qui fait faute ici pour le moment, ce sont les moyens de locomotion, le plus grand nombre des chevaux ayant été tués pour être mangés durant le siége; mais, aussitôt que la paix sera conclue, les choses reprendront leur état normal. Paris est redevenu déjà tout à fait parisien, et pendant les quelques derniers beaux jours les rues ont été couvertes de cette même population animée produisant ce plaisant aspect qui est particulier à cette ville historique. Mais si vous sortez de l'enceinte, la destruction et la dévastation de la guerre peuvent à peine se décrire. Le changement le plus complet et le plus terrible se montre à Saint-Cloud; ce charmant village, avec son

magnifique palais, si riche en souvenirs des siècles passés, est littéralement un monceau de ruines. Le bois de Boulogne, dépouillé de ses arbres, offre un triste spectacle, rappelant le sort qu'il a éprouvé dans des circonstances à peu près semblables en 1815. L'intérieur de Paris n'est pas beaucoup changé. Beaucoup de beaux et grands arbres ont été coupés sur les boulevards et avenues, mais les plus petits sont intacts, de sorte que le changement est presque imperceptible. J'ai, etc.

Signé: WASHBUrne.

No 1128.

LORD A. LOFTUS AU COMTE DE GRANVILLE.

Berlin, le 28 février 1874.

Mylord, j'ai l'honneur de vous accuser réception de la dépêche de Votre Seigneurie, en date du 24 courant, qui m'a été remise hier matin par le courrier Harbord.

Je me suis rendu, aussitôt sa réception, chez le baron de Thile et je lui en ai donné connaissance.

Le baron de Thile m'a demandé si j'étais autorisé à lui laisser une copie de la dépêche de Votre Seigneurie. Je lui ai répondu que je n'étais pas chargé de le faire officiellement, mais que je lui laisserais la copie demandée.

Le baron de Thile m'informa qu'il avait quelques raisons de croire, d'après un télégramme qu'il avait reçu du comte de Bernstorff, qu'une copie de cette dépêche avait été dejà envoyée à Versailles, mais que néanmoins il la transmettrait immédiatement au comte de Bismarck. Son Excellence ajouta que, naturellement, il ne pouvait exprimer aucune opinion sur le sujet auquel la dépêche se référait, sa position ne lui permettant que de servir d'intermédiaire pour la transmettre au chancelier.

J'ai, etc.

Signé A. LOFTUS.

N° 1129.

NOTE DU Journal officiel RELATIVE A L'ENTRÉE DES DÉTACHEMENTS DE L'ARMÉE PRUSSIENNE DANS PARIS.

Paris, le 1er mars 1871.

Aujourd'hui, à dix heures du matin, aux termes des stipulations arrêtées entre l'autorité militaire française et l'autorité militaire allemande, des détachements de l'armée d'investissement sont entrés dans Paris, ont descendu l'avenue des Champs-Élysées, et occupé l'espace expressément déterminé par la convention.

Les officiers et les soldats de ces détachements ont été logés dans le palais de l'Industrie, dans le Cirque, dans la rotonde du Pano

⚫ rama.

A ceux qui n'ont pas trouvé place dans ces édifices, des maisons particulières ont été assignées. Il n'a pas été possible d'affranchir de cette charge les appartements des étrangers, très-nombreux dans le quartier des Champs-Élysées et du faubourg Saint-Honoré.

Un cordon de nos troupes marque la limite dans laquelle les troupes allemandes sont tenues de se renfermer.

L'accès des points occupés par elles n'est point interdit; mais la population presque tout entière s'est d'elle-même imposé la loi de ne pas user de la liberté de circulation qui lui a été laissée.

La Bourse n'a point ouvert ses portes. Sur les quais, sur les boulevards, dans les quartiers les plus reculés, les magasins et les boutiques sont fermés. Paris a volontiers suspendu sa vie.

Il sent la responsabilité qui pèse sur lui en ces jours douloureux. Il comprend qu'il dépend de lui de ne pas ajouter aux malheurs qui accablent la patrie des malheurs plus terribles et peut-être irréparables; il comprend qu'il se doit à lui-même et à tous ceux qui, dans le monde entier, lui ont témoigné et lui témoignent tous les jours tant de respect et de si touchantes sympathies de supporter avec une dignité fière cette nouvelle épreuve; il comprend enfin qu'après ces derniers mois, où il a été héroïque devant le danger, devant la faim, devant les misères de toutes sortes, il lui restait à se montrer capable d'un courage plus difficile encore : Paris est calme.

No 1130.

RAPPORT FAIT PAR M. VICTOR LEFRANC A L'ASSEMBLÉE NATIONALE DANS LA SÉANCE DU 4er MARS 1874, SUR LE PROJET DE LOI RELATIF AUX PRÉLIMINAIRES DE PAIX SIGNÉS A VERSAILLES (1).

Messieurs, la commission nommée par l'Assemblée, le 21 février dernier, avait été chargée par vous d'assister vos négociateurs, de recevoir les communications qui pourraient les éclairer, de donner son avis et de faire ensuite son rapport à l'Assemblée.

Malgré les loyales revendications de responsabilité si nettement exprimées alors, au nom du Gouvernement, par M. le ministre de l'instruction publique, notre mission n'en demeurait pas moins douloureuse et moins redoutable. Offerte, chacun de nous a fait effort pour la décliner; imposée, nul n'a pu la repousser; acceptée, nous avions tous à la remplir.

Choisi par la Commission pour être son organe, je viens, non sans une profonde émotion, vous communiquer les pensées sous l'empire desquelles elle s'est trouvée unanime.

Cette unanimité même est un signe de la gravité de la situation, elle est aussi un témoignage du dévouement que cette situation inspire aux patriotisme, c'est-à-dire à ce sentiment qui n'est connu tout entier que de ceux qui ont vu souffrir leur pays; car, Messieurs, les douleurs de la patrie sont nôtres, bien plus que sa gloire.

M. le Président du Conseil des ministres, chef du Pouvoir exécutif, et M. le ministre des affaires étrangères ont, sous nos yeux, conduit les négociations. Ils ont, chaque jour, rendu compte à la Commission de l'Assemblée des efforts qu'ils ont faits, des difficultés contre lesquelles ils ont eu à lutter, des résultats qu'ils ont successivement obtenus ou subis, des incidents qui ont bien des fois ravivé quelquesunes de nos espérances ou redoublé toutes nos angoisses.

Nous voudrions que l'Assemblée tout entière, le pays tout entier eussent, comme nous, entendu ces récits et recueilli ces confidences. Le pays connaîtrait mieux encore les hommes qui le servent, et l'Assemblée se raffermirait dans la confiance qu'elle leur a donnée.

Vos négociateurs ont successivement appelé nos préoccupations

(1) Les conclusions de ce rapport ont été adoptées le même jour par l'Assemblée nationale; la loi de ratification a été promulguée à la date du 2 mars, dans les termes mêmes qu'énonce l'exposé des motifs.

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