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tion du traité de paix par l'Assemblée à Bordeaux aurait lieu ce soir et il me fit part de son espoir que tout serait terminé avant demain matin et que les troupes allemandes sortiraient alors de Paris. Il me parût croire qu'il n'y avait aucun doute au sujet de la ratification du traité. Il avait espéré que cette ratification aurait eu lieu la nuit dernière et aurait ainsi empêché l'entrée des Allemands dans Paris; mais, malheureusement, M. Thiers avait éprouvé du retard pour se rendre à Bordeaux, ce qui avait reculé la décision de l'Assemblée jusqu'à aujourd'hui. M. Favre me promit de m'envoyer la nouvelle de la ratification du traité aussitôt qu'il l'aura reçue, afin que je pusse vous l'annoncer par télégraphe.

En traversant la Seine pour rentrer chez moi, j'ai trouvé le pont de la Concorde gardé par des soldats français qui s'opposèrent formellement à mon passage. Bientôt une assez grande foule de vauriens essaya de forcer la garde, et pendant quelque temps il y eut une espèce de lutte. Après une attente de près d'une heure, je pus, grâce à la courtoisie d'un officier français, passer et enfin regagner ma maison. Mon cocher avait une telle peur des Prussiens, qu'il refusa préremptoirement d'atteler les chevaux ; et comme j'ai dû rester sur pied toute la journée, vous pouvez vous imaginer quelle fatigue j'éprouve au moment où je m'assieds pour vous écrire cette dépêche, dans la soirée.

Au moment où je vous écris, il est onze heures du soir. Le jour s'é tait levé brumeux et sombre, l'air frais et humide. Un peu après midi, le soleil apparút chaud et brillant et le reste de la journée fut magnifique. Le colonel Hoffman et M. Harrisse, qui ont parcouru la ville ce soir, m'apportent leurs renseignements sur ce qu'ils ont vu. Depuis le faubourg du Tempie jusqu'à l'Arc-de-Triomphe, pas une boutique ni un restaurant ne sont ouverts, à l'exception de deux restaurants dans les Champs-Élysées qui sont restés ouverts par ordre des Allemands. La foule n'est pas surexcitée sur les boulevards et, ce qui est remarquable et sans précédent dans la mémoire des plus vieux habitants, aucun omnibus ne circule dans la ville et leurs bureaux sont tous fermés. On ne voit pas non plus de voitures particulières ni de fiacre, à moins qu'un cobillard ne soit considéré comme une voiture publique, et malheureusement on en voit trop à toute heure du jour. Paris a l'air d'être complétement mort, on n'entend ni chants, ni cris dans les rues, la population tout entière circule morne et silencieuse. Le gaz n'est pas allumé et les rues offrent un sinistre et sombre aspect. Toutes les boucheries et boulangeries situées dans la partie de la ville occupée par les Allemands sont fermées, et si la population n'avait pas fait ses provisions à l'avance, il y aurait eu bien des souf

frances. La Bourse a été fermée par l'ordre du syndic des agents de change; aucun journal n'a paru, à l'exception du Journal officiel. Aucune affiche n'a été mise sur les murs de Paris, et jusqu'à ce moment, je n'ai entendu parler d'aucun acte important de violence. Le quartier général du général Kamicki, commandant des troupes d'occupation, est au magnifique hôtel de la reine Christine. Il n'est que juste de dire que la population de Paris s'est conduite aujourd'hui avec une dignité et une attitude qui lui font le plus grand honneur. J'ai, etc.

No 1138.

Signé WASHBurne.

NOTE DU Journal officiel.

Paris, le 2 mars 1871.

La population de Paris s'est étonnée de voir un certain nombre de soldats allemands pénétrer dans les bâtiments du Louvre. Cette visite avait été stipulée dans la convention. Il avait été formellement convenu que les soldats allemands pourraient visiter deux seulement des monuments de Paris: le Louvre et l'hôtel des Invalides, mais qu'ils ne pourraient le faire que par escouades, sans armes, et sous la condaite d'officiers.

Le général en chef a pris toutes les mesures nécessaires pour l'exécution de ces conditions, et la convention à cet égard a été strictement appliquée. L'émotion douloureuse de la population ne s'explique que trop dans les cruelles épreuves que nous traversons; mais elle a cru à tort à une violation des conventions faites elles ont été rigoureusement observées. Sur les représentations du général Vinoy, les chefs de l'armée allemande ont même renoncé à visiter les Invalides.

Le général Vinoy a fait, en outre, observer aux généraux allemands que la plupart des tableaux du Louvre avaient été retirés par les soins du ministre de l'instruction publique et des beaux-arts; que les cadres seuls étaient en place; qu'enfin les statues étaient dans des salles dont les fenêtres étaient blindées et où, par conséquent, l'obscurité était complète.

La visite du Louvre a donc été bornée à la promenade dans les cours. C'est par une erreur de consigne, bientôt réparée grâce à l'in

tervention des conservateurs du Louvre, que quelques soldats ont pénétré sous la colonnade. Les cours du Louvre n'ont même été ouvertes que pendant deux heures; des officiers allemands s'y étant présentés à cheval, suivis de soldats armés, contrairement à la convention, les grilles ont été fermées et les soldats déjà entrés se sont

retirés.

N° 1139.

M. JULES FERRY, MAIRE DE PARIS, A M. THIERS, A BORDEaux.

(Télégramme.)

Paris, le 2 mars 1871, 2 heures.

La promenade si inutile des Prussiens au Louvre et l'obstination de l'occuper, malgré le vote de l'Assemblée, excitent dans la population une animation qu'on ne peut trouver condamnable.

Il y a beaucoup de troupes sur la place du Palais-Royal. Un officier de chasseurs a été renversé de cheval.

La présence des Prussiens dans les cours du Carrousel et du Louvre est l'unique cause du tumulte; il faut convenir qu'elle est au plus haut degré inconvenante et non prévue par la convention.

Signé: JULES FERRY.

N° 1140.

PROCÈS-VERBAL D'ÉCHANGE DES RATIFICATIONS DU TRAITÉ DU 2 FÉVRIER 1874, ENTRE LA FRANCE ET L'ALLEMAGNE, DRESSÉ A VERSAILLES LE 2 MARS 1871.

Les soussignés s'étant réunis pour procéder à l'échange des ratifications du Chef du Pouvoir exécutif de la République française et de S. M. l'empereur d'Allemagne, roi de Prusse, sur le Traité préliminaire de paix conclu à Versailles, le 26 février 1871, entre la France et l'Empire germanique, les instruments de ces ratifications ont été produits, et ayant été, après examen, trouvés en bonne et due forme, l'échange en a été opéré,

En foi de quoi, les soussignés ont dressé le présent procès-verbal qu'ils ont revêtu de leurs cachets.

Fait à Versailles, le 2 mars 1874.

Le ministre des affaires étrangères
de la République française,
(L. S.) Signé: JULES FAVRE.

Le chancelier de l'Empire germanique, (L. S.) Signé: BISMARCK.

N° 1141.

LE COMTE DE BISMARCK A M. JULES FAVRE.

(Télégramme.)

Versailles, le 2 mars 1874, 7 b. 50 matin.

Pour effectuer la ratification du Traité, il sera indispensable de dresser un acte authentique reproduisant le texte du Traité et revêtu des signatures de M. Thiers et des personnes que l'Assemblée nationale aura autorisées à signer pour elle.

Je vous prie de bien vouloir télégraphier au président du Pouvoir exécutif pour qu'il vous fasse tenir ce document et de me le remettre. Je tiens à votre disposition l'acte de ratification pareil, signé par S. M. l'Empereur.

Signé BISMARCK.

N° 1142.

M. JULES FAVRE AU COMTE DE BISMARCK.

(Télégramme.)

Paris, le 2 mars 1871, 10 h. 40 matin.

A midi et demi, j'aurai l'honneur de remettre à Votre Excellence le procès-verbal régulier de la ratification du Traité. Je la prie de vouloir bien me faire l'honneur de me recevoir.

Signé JULES FAVRE.

N° 1143.

LE COMTE DE BISMARCK A M. JULES FAVRE.

(Télégramme.)

Versailles, le 2 mars 1871.

Il est urgent de régler l'évacuation prévue dans le Traité préliminaire par une entente affable entre les autorités militaires respectives. Je prie, par conséquent, Votre Excellence de vouloir bien désigner sans retard des officiers français supérieurs qui aient à se mettre en rapport à cet effet avec l'état-major général de l'armée allemande. Je vous attends, conformément à votre télégramme d'aujourd'hui. Signé BISMARCK.

No 1144.

PROCLAMATION DE M. ERNEST PICARD AUX HABITANTS DE PARIS, AU SUJET DE LA PRÉSENCE DES TROUPES PRUSSIENNES DANS L'INTÉRIEUR DE PARIS.

Paris, le 3 mars 1874,

L'armée allemande a évacué ce matin à onze heures les quartiers où elle avait pénétré. Pendant son séjour, la tenue de Paris a été audessus de tout éloge; partout, les lieux publics, les établissements industriels, les magasins des commerçants se sont fermés spontanément.

Des cordons de ligne et de garde nationale, soigneusement disposés, ont formé, entre les troupes allemandes et la population, des frontières provisoires qu'ils ont fait respecter.

Les occupants laissés à eux-mêmes, ont pu comprendre que, si le droit succombe parfois devant la force, il n'est pas si facile de dompter les âmes, et que la torture de la guerre ne domine pas seule le monde.

Nous devons un juste tribut de reconnaissance aux habitants des arrondissements qui ont supporté la présence de l'étranger; ils ont racheté leurs concitoyens, préservé la cité de malheurs imminents et conservé Belfort à la France.

Les municipalités du 8o, du 16° et du 17e arrondissement ont fait

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