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No 2. CONSÉQUENCE du principe posé par l'article 552 quaNT AUX

CONSTRUCTIONS ET PLANTATIONS.

250. Du principe que la propriété du sol emporte la propriété du dessus et du dessous, suit que le propriétaire seul a le droit de faire des constructions soit sur le sol, soit au-dessous du sol. En faut-il conclure que les constructions qui se trouvent sur le sol appartiennent nécessairement au maître du sol? Le droit romain posait comme règle absolue que le bâtiment accède au sol: Edificium solo cedit. Il n'en est plus de même en droit français. L'article 553 dit seulement que toutes constructions, plantations et ouvrages sur un terrain ou dans l'intérieur sont présumés faits par le propriétaire à ses frais et lui appartenir. Mais la loi ajoute si le contraire n'est prouvé; » et elle admet aussi qu'un tiers peut acquérir par prescription la propriété d'un souterrain sous le bâtiment d'autrui, ou de toute autre partie du bâtiment. Le droit absolu du propriétaire est donc remplacé par des présomptions. Quelle est l'étendue et la portée de ces présomptions? comment peuvent-elles être combattues?

251. L'article 553 établit deux présomptions. D'abord, la loi présume que les constructions sont faites par le propriétaire; ensuite elle présume que les constructions ont été faites à ses frais; et de cette double présomption, la loi tire la conséquence que les constructions sont présumées appartenir au maître du sol.

La première présomption est fondée sur une probabilité qui touche à la certitude. Une construction existe sur un terrain. On sait quel est le propriétaire du terrain. On demande qui a fait ces constructions. Le bon sens répond: Celui qui avait droit et intérêt à les faire. Or, le propriétaire du sol a seul le droit de construire sur ce sol, et lui seul a aussi intérêt à le faire, car si c'est un tiers qui construit sciemment sur un sol qui ne lui appartient pas, il peut être forcé à enlever ses constructions; et lors même qu'il serait possesseur de bonne foi, il n'aurait droit qu'à une indemnité. Ce n'est donc que dans des cas très-rares qu'il arrivera que des constructions seront faites par un

autre que par le propriétaire. Dès lors la loi pouvait présumer que les constructions sont l'oeuvre du propriétaire.

La seconde présomption est tout aussi naturelle. Si le détenteur du terrain, un fermier, par exemple, prouve que c'est lui qui a fait les constructions, les constructions seront néanmoins présumées faites aux frais du propriétaire. La loi suppose que le propriétaire a permis au détenteur de construire; mais comme ces constructions en définitive profiteront au propriétaire, il est probable que c'est lui qui a supporté les frais. C'est encore une probabilité qui touche à la certitude. Il n'est personne qui songe à construire à ses frais sur le terrain d'autrui, car c'est l'intérêt qui dirige nos actions, et nous n'avons certes pas intérêt à payer des travaux qui ne nous profiteront pas.

Cette double présomption est si forte que les jurisconsultes romains en avaient déduit le principe absolu que le bâtiment appartient au propriétaire du sol. Le code civil ne va pas aussi loin; il présume seulement que le maître du sol est propriétaire des constructions, et cette présomption peut être combattue par la preuve contraire et par la prescription.

252. Les présomptions établies par l'article 553 sont générales; elles s'appliquent à tout propriétaire et à toute construction. D'après la loi du 28 août 1792 (art. 14), les arbres existant sur les chemins publics, autres que les grandes routes nationales, étaient censés appartenir aux propriétaires riverains, sauf aux communes à justifier, par titre ou prescription, qu'elles en étaient propriétaires. Il a été jugé que le code civil a dérogé à cette loi en établissant la présomption contraire. Les communes, diton, sont propriétaires du sol sur lequel les chemins vicinaux sont construits; donc elles peuvent invoquer les présomptions de l'article 553 (1). Cette décision est contraire au principe qui régit l'abrogation tacite des lois; une loi générale ne déroge pas à une loi spéciale, à moins qu'il ne soit prouvé que telle est la volonté du législateur. On pourrait objecter qu'il y a abrogation expresse en vertu

(1) Bordeaux, 12 juillet 1839 (Dalloz, au mot Propriété, no 397).

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de la loi du 30 ventôse an xII (art. 7), qui abroge toutes les lois anciennes relatives à des matières qui font l'objet du code civil. Mais nous avons établi que cette disposition est étrangère aux lois portées pendant la Révolution (1). La question doit donc être décidée d'après les principes généraux. Nous reviendrons sur la loi de 1792, au titre des Servitudes, et nous verrons qu'elle n'a pas le sens général que lui donne la cour de Bordeaux ; c'est une disposition transitoire, ce qui est une raison de plus de la maintenir, malgré le principe proclamé par le code.

Les présomptions de l'article 553 s'appliquent à toute espèce de constructions. Il y a des constructions qui ont une valeur infiniment plus grande que le fonds sur lequel elles sont élevées. On a prétendu que ces constructions, telles que les théâtres, devaient être considérées comme le principal, plutôt que comme un accessoire, ce qui conduirait à renverser les présomptions de la loi. Cela seul prouve que ces prétentions sont inadmissibles. Quelle que soit la valeur des bâtiments, ils accèdent au sol, par la raison que le maître du sol a seul le droit de les élever; la question de valeur ne doit donc pas être prise en considération (2).

253. Supposons maintenant que des constructions soient faites par un tiers et à ses frais, sur le sol d'autrui; en faut-il conclure que ce tiers sera propriétaire des constructions? L'article 552 ne dit pas cela; et l'article 555 dit le contraire. Tout ce que l'article 552 présume, c'est que les constructions ont été faites par le propriétaire du fonds et à ses frais, et que par suite elles lui appartiennent. La preuve contraire est admise. Cela veut dire qu'un tiers peut prouver que c'est lui qui a construit et qu'il l'a fait à ses frais. Que résultera-t-il de cette preuve? Qu'il est propriétaire des bâtiments? Non, certes, car la loi ne dit pas cela; l'article 555 ne donne au tiers, s'il est possesseur, qu'une indemnité, comme nous le dirons plus loin. La seule conséquence de la preuve contraire sera donc, en

(1) Voyez le tome Ier de mes Principes, p. 38, no 27.

(2) Arrêt de rejet du 6 janvier 1829 (Dalloz, au mot Propriété, no 398).

général, le droit à une indemnité; cela est aussi fondé en raison. Qu'importe que le tiers prouve qu'il a construit sur le fonds d'autrui et à ses frais? Cela ne lui donne aucun droit sur le fonds ni sur le bâtiment; car, en principe, le bâtiment et le terrain sur lequel il est construit se confondent et appartiennent à un seul et même propriétaire, en vertu du principe de l'accession, d'après lequel la propriété du sol emporte la propriété du dessus (1). Toutefois ce principe n'est pas d'une vérité absolue dans son application aux constructions et plantations. En effet, l'article 552, après avoir établi la présomption que les bâtiments ont été construits par le maître du sol et à ses frais, conclut en disant, non pas qu'il est propriétaire des bâtiments, mais que ceux-ci sont présumés lui appartenir,

si le contraire n'est prouvé. » Il se peut donc que les constructions et plantations appartiennent à un autre qu'au propriétaire. Dans quels cas cela arrive-t-il et quelle preuve le tiers a-t-il à faire?

254. La propriété du sol et la propriété de la superficie ou des ouvrages souterrains peuvent être divisées. Nous verrons, en traitant du droit de superficie, que la propriété peut être démembrée de cette manière. L'article 553 lui-même dit qu'un tiers peut acquérir la propriété d'un souterrain sous le bâtiment d'autrui, ainsi que toute autre partie du bâtiment. Ce démembrement de la propriété peut être l'effet de la prescription ou de la preuve contraire que la loi admet pour combattre les présomptions établies par l'article 553. Il y a des difficultés quant à la preuve contraire. On enseigne que cette preuve peut se faire soit. par titre, soit par témoins, ou par présomptions; et il y a un arrêt en ce sens (2). La question touche à l'interprétation de l'article 1352, qui admet implicitement la preuve contraire aux présomptions légales, sauf dans les deux cas qu'il prévoit. Quelle est cette preuve contraire? A notre

(1) Cassation, 11 juin 1839 (Dalloz, au mot Propriété, no 419); Demolombe, t. IX, no 654, p. 602.

(2) Aubry et Rau, t. II, p. 180, note 4. Paris, 16 février 1869 (Dalloz, 1870, 1, 274), confirmé par un arrêt de rejet du 24 novembre 1869; mais la cour de cassation ne reproduit pas les termes absolus de l'arrêt de la cour de Paris.

avis, ce sont les preuves du droit commun, puisque le code ne déroge pas aux principes généraux sur la preuve dans l'article 1352. Au titre des Obligations, nous reviendrons sur ce point. Par la même raison, nous décidons que l'article 553, qui admet la preuve contraire à une présomption de propriété, renvoie implicitement aux règles générales sur les preuves. Quelles sont ces règles? En ce qui concerne la preuve testimoniale, on peut formuler le principe en deux mots les faits juridiques ne peuvent être prouvés par témoins que lorsque leur valeur pécuniaire n'excède pas cent cinquante francs; les faits matériels se prouvent par témoins, quel que soit le montant pécuniaire du litige. S'agit-il, dans l'espèce, d'un fait juridique ou d'un fait matériel?

Deux cas peuvent se présenter, essentiellement différents en ce qui concerne la preuve. Un débat s'engage entre le propriétaire d'un fonds et un tiers qui prétend y avoir élevé des constructions à ses frais. La présomption est pour le propriétaire, d'après l'article 553, mais le tiers est admis à la preuve contraire. Ici le fait à prouver est un fait pur et simple, si le tiers ne prétend pas être propriétaire des constructions, s'il réclame seulement une indemnité. En effet, il s'agit d'une construction; or, par luimême le fait de construire n'est pas un fait juridique, ce qui décide la question. Il y a des arrêts en ce sens et ce point n'est pas douteux (1). La question est tout autre lorsqu'un tiers prétend être propriétaire de la construction; dans ce cas, il s'agit de prouver un fait essentiellement juridique, l'acquisition du droit de propriété. Donc la preuve testimoniale ni les présomptions ne sont plus admissibles; il faut un écrit, d'après le droit commun. Il y a deux arrêts de la cour de cassation de Belgique en ce sens (2) et, à notre avis, la question n'est pas même dou

teuse.

On pourrait nous opposer un arrêt de la cour de cassa

(1) Arrêt de cassation du 27 juillet 1859 (Dalloz, 1859, 1, 398). Arrêt de rejet du 23 mai 1860 (Dalloz, 1860, 1, 384).

(2) Arrêt de cassation du 21 avril 1866 (Pasicrisie, 1866, 1, 130), et arrót de rejet du 8 décembre 1870 (Pasicrisie, 1871, 1, 48).

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