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trouve dans les ouvrages de Luitprand, de Constantin Porphyrogénète, d'Othon de Frisingue, et dans la plupart des chroniques de ce temps.

Cependant, au déclin des rois de la deuxième race, cette France n'exista plus que dans les fastes de l'histoire; et même, en faisant, au commencement de son livre, l'énumération des princes qui gouvernaient de son temps (Xe siècle) la chrétienté, l'évêque de Crémone (Luitprand) passe sous silence les rois des Français. Leur domination s'était dissoute en une multitude de petits États gouvernés par des seigneurs féodaux et faiblement unis entre eux par un lien fédératif. Un des grands démembrements de l'empire de Charlemagne recevait encore, il est vrai, la dénomination d'Ile-de-France ou comté de France; mais ce futur noyau de la monarchie, principalement renfermé entre l'Oise, la Seine, la Marne et l'Aisne, et qui, ayant pour centre le comté de Paris, comprenait les départements actuels dénommés d'après ces rivières, loin d'être sous l'autorité du roi, formait le domaine d'une famille rivale destinée à le remplacer sur un trône où les vœux du peuple appelaient un prince plus ferme et plus prévoyant que ceux de la race abâtardie de Charlemagne.

Après l'avénement de Hugues Capet, la France royale, ou ce qu'on appelait aussi alors le duché de France, se composait de l'Ile-de-France, de l'Orléanais, du Blaisois, du pays Chartrain et de la Picardie. Ce fut le point de départ de la monarchie française moderne, qui se reconstruisit lentement et par degrés. Tous les moyens y servirent, les héritages, les mariages, les ventes et

cessions, la violence, la guerre ; et c'est ainsi que furent successivement réunis au domaine royal, dans le xır° siècle (1101), le Berry; dans le xi, la Touraine, une portion du Poitou, la majeure partie du Languedoc, le comté de Toulouse, la Picardie et la Champagne (1286); au xive siècle, le Lyonnais (1312), le reste du Languedoc, le Dauphiné (1349), la totalité du Poitou, la Saintonge, l'Aunis, et le Berry pour la seconde fois; au xvo, Ja Normandie, la Picardie reconquise sur les Anglais, la Guienne, la Bourgogne (1477), l'Artois, l'Anjou, le Maine et la Provence (1486); au xvie, le Bourbonnais, la Marche, l'Auvergne, la Bretagne (1532), les TroisÉvêchés (1552), le Béarn (1589), le comté de Foix et la Gascogne; au xvii, le Roussillon, le Nivernais, l'Alsace, moins Strasbourg (1648), la Flandre (1667), la Franche-Comté (1678), Strasbourg (1681); au xviii, la Lorraine (1766), la Corse (1768), Avignon et le comtat Venaissin (1791), le comté de Montbéliard (1796), la république de Mulhouse (1798).

Plus qu'aucun autre roi, ce fut Louis XIV qui constitua l'ancienne France. Mais elle offrait une masse disparate, inégalement subdivisée, et où la diversité des usages, des traditions, des institutions rendait impossible l'unité, cet élément de force de la France moderne. Ce fut l'Assemblée constituante qui eut l'honneur de l'établir, ainsi que nous le verrons dans le paragraphe suivant.

Tout fut bouleversé à cette époque dans notre pays; mais le nom de France, loin de souffrir aucune atteinte, grandit au contraire aux yeux de la nation, et fut en

vironné de gloire et de splendeur. De tout l'héritage des siècles passés, il fut à peu près tout ce qu'on ne répudia pas aussi devint-il le point de ralliement universel et l'objet d'un culte bien près de l'idolâtrie; on peut dire qu'il fut pour le pays un véritable palladium. A travers toutes les vicissitudes, et se modifiant tour à tour en république française, empire français, pour redevenir royaume de France et ensuite royaume des Français, en vertu de la Charte de 1830, ce nom n'a rien perdu de son prestige. Il agit sur les imaginations comme une étincelle électrique, et, malgré l'amour actuellement prédominant des arts de la paix, il enfantera encore des miracles si l'arche sainte devait être menacée de nouveau, si les peuples étaient encore condamnés à se rencontrer sur les champs de bataille et à tourner les uns contreles autres des armes fratricides que la civilisation voudrait transformer en instruments de travail, propres à multiplier les objets d'échange qui rapprochent au contraire les hommes par le commerce.

§ 2. LIMITES DE L'ÉTAT. On a parlé précédemment (T. I, p. 5 et 6) des limites naturelles du royaume. L'ancienne France, telle qu'elle existait au 1o janvier 1792, s'y appuyait déjà de divers côtés, notamment à l'ouest et au nord-ouest, où, de Dunkerque à Saint-Jeande-Luz, sur un développement général d'environ 450 lieues, elle était baignée par la mer. Au sud, elle s'était également avancée jusqu'à cette barrière naturelle : elle y touchait dans une étendue de 150 lieues; et du côté de l'Espagne, la ligne des Pyrénées, longue d'environ 145 lieues, lui formait un excellent boulevard. Enfin, il en

était de même au sud-est, où s'étendait, de l'entrée du Rhône jusqu'à Antibes, sur un intervalle d'environ 180 lieues, la chaîne des Alpes, et à l'est, où la réunion de la Franche-Comté, par la paix de Nimègue (1678), avait prolongé la France jusqu'au Jura, qui, dans toute sa longueur, la séparait alors de la Suisse, et où, par la réunion de l'Alsace en vertu de la paix de Westphalie (1648), le cours du Rhin était devenu sa limite de Huningue à Lauterbourg, séparés par une distance d'une quarantaine de lieues.

C'est en conséquence sur ces deux traités de paix que reposait la délimitation de l'ancienne France, au moins du côté de l'Allemagne et de la Suisse; car l'état de choses était plus ancien sur la frontière du Piémont1 et du duché de Gênes, et, du côté de l'Espagne, il fut consacré, dans l'intervalle, par la paix des Pyrénées (1659). Plusieurs autres conventions secondaires s'étaient jointes à ces grands actes du droit des gens. Dunkerque, avec Mardyck, avait été acheté le 27 octobre 1662; les chambres de réunion (depuis 1679) et la prise de Strasbourg en 1681 (ratifiée à Ratisbonne, en 1684, et par le traité de Ryswick, en 1697), avaient arrondi la France du côté du Rhin; la maison de Nassau et la Prusse lui avaient abandonné, par la paix d'Utrecht, en 1713, la principauté d'Orange sur le Rhône, et le traité de Rastadt, en 1714, en même temps qu'il avait enlevé à Louis XIV Vieux-Brisach, le fort de Kehl et quelques autres places,

(1) Traité de Lyon du 17 janvier 1601.- Pour les traités antérieurs, voir Dussieux, Géographie historique de la France, p. 58 et suiv.

avait réintégré à l'Alsace la forteresse de Landau, qui était redevenue son boulevard au nord. La Lorraine, assurée à la France dès 1738, y avait été réunie en 1766, et la Corse avait été acquise deux ans après.

Quelques enclaves seulement rompaient l'unité du territoire : Avignon et le comtat Venaissin appartenaient encore au pape; la principauté de Montbéliard, possession de la maison de Wurtemberg, séparait la FrancheComté de l'Alsace, et, dans celle-ci, non-seulement Mulhouse était une ville libre, alliée de la Suisse, mais divers princes allemands y étaient encore possessionnés. Mais en 1798, année de la réunion de Mulhouse à la France, l'unité dont nous parlons devint complète, car Avignon et le comtat avaient été occupés par décret du 14 septembre 1791, les enclaves allemandes de l'Alsace avaient été fondues, au moment de l'organisation des départements, dans ceux du Haut et du Bas-Rhin, et la principauté de Montbéliard était devenue française au même titre, en 1796.

Mais ne nous séparons pas encore de l'ancienne France. Sauf ces légères solutions de continuité, elle était donc en possession de ses frontières naturelles, la mer du Nord et la Manche, l'Océan, les Pyrénées, la mer Méditerranée, les Alpes, le Jura, le Rhin, sur beaucoup de points; mais elle ne l'était pas au nord, de Dunkerque à Landau, ni sur une certaine étendue à l'est, où elle semble appelée à occuper encore l'espace qui sépare le lac de Genève du Mont-Blanc.

Sur ces points, à défaut de frontières naturelles, l'an

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