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CHAPITRE IV.

DU GOUVERNEMENT ET DES AUTORITÉS CENTRALES.

§ 1. LE MINISTÈRE. Rien n'est plus simple que le mécanisme de notre gouvernement. En premier lieu, le roi nomme les ministres ; sa confiance les soutient, et, quand elle vient à leur manquer, plutôt que d'agir contre leurs propres convictions, ils doivent rendre au roi les pouvoirs dont il les a investis. En second lieu, les ministres, pour diriger les affaires de l'État, ont besoin de l'appui des deux Chambres: un compromis entre la pensée du roi (de la couronne, comme on dit) et celle de la majorité parlementaire est donc la base habituelle de leurs opérations. Mais ce compromis n'est point une nécessité : quelquefois c'est la volonté royale, d'accord avec celle des ministres, qui mérite de l'emporter; d'autres fois, celle de la majorité parlementaire est destinée à prendre le dessus. Le jeu régulier de notre gouvernement n'exclut ni l'un ni l'autre de ces effets. Si les ministres n'ont pas la majorité dans les Chambres, le roi peut dissoudre celle des députés et changer la majorité dans celle des pairs par de nouvelles nominations. Il peut recourir à ces moyens une ou plusieurs fois. Mais quand les colléges électoraux donnent raison à la Chambre des députés, force lui est de céder en renvoyant ses ministres et par conséquent en modifiant son système. Les Chambres sont libres de leur vote, et en dehors de leur majorité il n'y a pas de gouvernement

possible. Toutefois, en outre de l'accord entre le pouvoir royal et le pouvoir parlementaire, il faut encore celui des deux Chambres entre elles; et pour le rétablir, quand il est rompu, les mêmes moyens sont employés d'une part, des nominations nouvelles dans la Chambre des pairs peuvent en modifier la majorité ; d'autre part, la Chambre des députés peut être dissoute. Le bon accord entre deux des pouvoirs législatifs ne suffit pas : il faut de toute nécessité que l'harmonie règne entre tous les trois.

Nous avons dit, d'après la Charte (art. 12), qu'au roi seul appartient la puissance exécutive; mais cette puissance, il ne l'exerce que par l'organe de ses ministres, qui sont secrétaires d'État, ce qui veut dire qu'ils ont le contre-seing de tous les actes de l'autorité royale. Leur signature constitue leur responsabilité, car le roi même est irresponsable et ne saurait mal faire; partout et en toute circonstance ils doivent le couvrir, pour employer une expression consacrée.

Les ministres peuvent être membres de la Chambre des pairs ou de la Chambre des députés; ils ont en outre leur entrée dans l'une et l'autre Chambre, et doivent être entendus toutes les fois qu'ils le demandent 1 (Ch., art. 46). Ils ont le droit de savoir tout ce qui se passe dans l'État ou concernant l'État, et rien ne se fait régulièrement sans eux. Leur poste est le plus

(1) En Angleterre, comme on sait, les ministres doivent aussi, autant que possible, être membres du parlement; mais ils n'ont leur entrée que dans la Chambre dont ils font partie.]

élevé de toute la hiérarchie des fonctionnaires: aussi un traitement très considérable y est-il affecté.

En revanche, une grave responsabilité pèse sur les ministres. D'abord la responsabilité qui découle de l'art. 1382 du Code civil, et en vertu de laquelle l'État, aussi bien que les particuliers, peut s'adresser aux tribunaux civils pour obtenir réparation d'un dommage qui lui aurait été fait; puis en outre la responsabilité politique, qui peut se résoudre en un cas criminel. Alors, conformément à l'art. 47 de la Charte, c'est la Chambre des députés qui a le droit d'accuser les ministres et de les traduire devant la Chambre des pairs, laquelle seule a celui de les juger. Dans son art. 69, cette même Charte a prescrit qu'une loi serait présentée dans le plus court délai possible, afin de régler la responsabilité des ministres et des autres agents du pouvoir. Cette loi, présentée en effet en 1837, n'a pas encore réuni les suffrages des trois pouvoirs : en conséquence, il n'y a plus à cet égard d'autres dispositions en vigueur que le titre 7 de la Constitution du 22 frimaire an VIII; car celle de la Charte de 1814, qui portait: Ils (les ministres) ne peuvent être accusés que pour fait de trahison ou de concussion n'a pas été

conservée dans la Charte de 1830 1.

Le nombre des ministres a varié depuis 1830, et de ce que l'art. 13 de la Charte donne au roi, sans aucune restriction, le droit de nommer à tous les emplois d'administration publique, on a conclu qu'il pouvait en

(1) Celle-ci, d'après cela, semble étendre la responsabilité ministérielle à un plus grand nombre de cas.

instituer à volonté (sauf la ratification par les Chambres de la dépense ainsi occasionnée). Aussi de nouveaux départements ministériels ont été créés, et, de plus, des remaniements importants ont eu lieu, quant à la répartition des services, dans ceux qui existaient jusqu'alors.

Aujourd'hui on compte 9 départements ministériels, énumérés par l'Almanach royal dans l'ordre suivant : de la justice et des cultes, des affaires étrangères, de la guerre, de la marine et des colonies, de l'intérieur, des travaux publics, de l'agriculture et du commerce, de l'instruction publique, des finances.

A différentes époques, il a existé en outre, et par une combinaison toute politique, des ministres sans portefeuille, qui toutefois partagent la responsabilité collective du ministère en ce qui concerne certains actes du gouvernement.

Dans quelques départements ministériels, il y a un sous-secrétaire d'État dirigeant l'administration sous l'autorité du ministre, ou recevant de lui la délégation d'une portion de cette autorité; dans d'autres, il n'y a qu'un secrétaire-général et des directeurs ou directeurs généraux.

Chaque ministre est, sous l'autorité du roi, le chef de l'administration active pour les services qui ressortissent au département à la tête duquel il est placé; mais en outre, il est membre du conseil des ministres, qui est le premier des conseils du roi, et qui se réunit, soit chez le monarque, et sous sa présidence, soit chez son président titulaire. Le conseil des ministres déli

bère sur les matières de politique générale concernant ou les Chambres ou les relations au dehors, sur celles de haute administration, sur la législation administrative, sur tout ce qui tient à la police générale et aux prérogatives de la couronne.

Quant aux départements ministériels, nous allons les passer en revue, mais d'abord seulement par rapport au gouvernement central, en renvoyant au chapitre suivant toutes les ramifications locales de chacun d'entre eux, tout ce qui tient à l'administration proprement dite. Cette division donnera peut-être lieu à quelques doubles emplois, mais elle est nécessaire; car c'est avant tout du gouvernement et de la force publique que nous avons à nous occuper ici. Avant d'y arriver, notons encore un fait : c'est qu'avant 1844 chaque ministre exerçait sur ses bureaux une autorité presque discrétionnaire ; mais, dans cette année, la commission du budget de la Chambre des députés ayant exprimé le vœu que ces bureaux reçussent une organisation stable, des ordonnances royales ont effectivement été rendues à cette fin 1.

§ 2. DÉPARTEMENT DE LA JUSTICE ET DES CULTES. Conformément à l'observation qui vient d'être faite, nous ne parlerons ici que des attributions générales et centrales de ce ministère, renvoyant au chapitre suivant tout le détail de son administration locale, qui com

(1) Voir le Moniteur du 20 décembre 1844. En Angleterre, les ministères sont autrement organisés : il y a 15 ou 16 ministres de cabinet membres du conseil, dont 4 seulement sont des ministres à département proprement dits.

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