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CHAPITRE II.

DE LA CONSTITUTION POLITIQUE DE L'ÉTAT.

La France ancienne était une monarchie absolue. Quand le temps, aidé de la volonté énergique de quelques-uns de nos rois, eut emporté sa vieille constitution féodale, que sans doute personne ne regrette sérieusement, Louis XIV put dire dans son égoïsme, mais sans trop d'exagération : L'État c'est moi! La Bastille était là pour condamner au silence les récalcitrants politiques, de même que les dragonnades, ou d'autres persécutions non moins sanglantes, étouffaient l'opposition en matière religieuse. Les États-Généraux n'étaient plus convoqués, et les parlements, héritiers partiels de leurs prérogatives, n'en faisaient point usage pour la défense des droits de tous, mais dans un intérêt de coterie, afin de résister aux innovations prétendues dangereuses et de faire au pouvoir une opposition tracassière, féconde en intrigues, mais stérile pour la liberté.

La révolution de 1789 mit fin à cet état de choses : la mesure des abus était comble, et les réformes, longtemps repoussées malgré leur évidente nécessité, finirent par se faire jour violemment, peut-être en dépassant le but, et bien certainement en souillant leur juste cause par des atrocités tout aussi condamnables que celles au sujet desquelles la royauté avait alors un terrible compte à rendre.

Le torrent déchaîné des animosités populaires engloutit le trône, et il ne fut pas facile de le ramener dans son lit. Pour remplacer la monarchie détruite, divers essais de constitution furent tentés sans beaucoup de succès1; la république, bien que prodigue du mot de liberté, ne respecta guère plus la chose que l'ancienne royauté; et à la fin, quand tout le monde fut las d'expériences dont l'anarchie était le résultat le plus certain, un homme de génie, malheureusement trop personnel, mais organisateur habile et qui connaissait bien la nation à laquelle il avait affaire, vint confisquer la liberté à son profit, étouffant sous des monceaux de lauriers les cris des amis persévérants de cette déesse outragée. Le prestige de ce pouvoir nouveau dura tout juste autant que le succès de ses armes : au premier revers, le souvenir des biens perdus quoique si chèrement achetés revint à chacun. La monarchie avait repris faveur, mais on ne voulait plus lui sacrifier la liberté ; l'exemple de l'Angleterre prouvait qu'une alliance était possible entre les deux principes. L'opinion de tous était contraire à la liberté sans limite, qui engendre le désordre, aussi bien qu'à la royauté sans frein qui mène à l'oppression. Il s'agissait de concilier l'une avec l'autre en les entourant toutes deux de certaines garanties. Les Bourbons de la branche aînée, auxquels

(1) Constitution du 3 sept. 1791 (monarchie constitutionnelle); du 24 juin 1793 (république); du 19 vendémiaire et du 14 frimaire an II (gouvernement révolutionnaire); du s fructidor an III (directoire); du 22 frimaire an VIII (consulat); des 14 et 16 thermidor an X (consulat à vie); du 28 floréal an XII (empire), etc.

Statistique de la France, II.

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cette tâche fut confiée, se montrèrent inhabiles à la remplir dominés par leurs souvenirs d'autrefois, ils ne surent pas tenir la balance en équilibre, et nonseulement ils la firent pencher du côté du pouvoir, mais ils méconnurent aussi complétement les tendances nouvelles d'une nation régénérée par de longues et cruelles vicissitudes. L'unité du pays était la seule passion qui eût survécu à tant de déceptions: on voulut en affaiblir le lien; l'élément aristocratique avait disparu et l'égalité de tous était un principe qui, de la théorie, passait de jour en jour dans les mœurs on se montra hostile à l'une, et l'on s'épuisa en vains efforts pour ressusciter l'autre. Il y eut une lutte de quinze ans, vive, ardente, soutenue, envenimée par de vieilles rancunes et par des haines personnelles; elle détruisit toute sympathie entre la nation et son roi, et créa des difficultés si grandes que le dernier crut à la fin n'en pouvoir triompher que par une infraction aux lois. La Charte constitutionnelle de 1814, qui était le pacte d'alliance accepté de tous, avait reçu ses serments: il en viola la lettre et l'esprit en rendant, le 25 juillet 1830, les fameuses ordonnances qui donnèrent lieu à la révolution des trois jours1. Depuis longtemps le feu couvait sous ses cendres : cette fois il éclata, consumant ceux qui avaient cru l'étouffer par un acte de violence. Le peuple se leva et expulsa trois générations de rois; on révisa la Charte de 1814 pour la purger de toute équivoque et pour affermir l'équilibre entre la monarchie

(1) Voir nos articles Juillet (révolution de) et Louis-Philippe, dans l'Encyclopédie des Gens du Monde.

et les libertés publiques; enfin on commit la garde de cette constitution, devenue de fait et d'une manière évidente un pacte synallagmatique entre le roi et la nation, à une royauté nouvelle, dite citoyenne, c'est-àdire disposée à s'appuyer, non sur les débris d'une aristocratie impossible à relever, mais sur la masse de la nation, ou, si l'on veut, sur la classe moyenne, qui en est actuellement le représentant, classe dont les rangs sont ouverts à tous, sans exclusion pour personne. Ce fut le chef de la branche cadette des Bourbons, un prince depuis longtemps populaire, le duc d'Orléans, qu'on investit de cette royauté, lorsque, déjà lieutenant-général du royaume, il eut juré, le 9 août 1830, la Charte constitutionnelle votée par les Chambres deux jours auparavant. Quinze ans se sont depuis écoulés, et le règne sage, modérateur, pacifique de LouisPhilippe 1 a inauguré pour la France une ère nouvelle.

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En vertu de la Charte de 1830, la France moderne est toujours une monarchie, mais une monarchie constitutionnelle, représentative, c'est-à-dire contenue dans certaines bornes par une loi fondamentale placée au-dessus de la royauté. Celle-ci ne peut agir qu'en s'appuyant sur des ministres responsables, chargés des affaires à condition d'avoir pour eux la majorité de deux assemblées colégislatives et complétant avec le roi l'expression de la souveraineté nationale.

Cette souveraineté, naturelle en elle-même et proclamée déjà par Pufendorf et par Vatel, est aujourd'hui le fondement du droit public des Français; mais il est

entendu aussi que la nation, en qui elle réside, ne peut l'exercer que par l'intermédiaire des représentants qui lui sont donnés en vertu de la loi fondamentale1.

(1) Si on ne compte pas les deux confédérations, et qu'on laisse de côté le Luxembourg et le Holstein, il existe en Europe, dans sa constitution actuelle, 84 États réguliers, qualification qu'on peut donner même à l'empire Othoman depuis le hatti-chérif de Gulhané, du 3 nov. 1839, qui place la vie, l'honneur et la fortune des habitants sous la protection de certaines garanties, qui prescrit des règles pour la perception des impôts, et qui introduit un mode légal de recrutement. Sur ces 84 États, 77 seulement ont la complète souveraineté ; les 7 autres, à savoir, la Valachie, la Moldavie, la Servie, la république des Sept-Iles (Ioniennes), la république de Cracovie, Monaco et Saint-Marin, ne sont que mi-souverains. Si on voulait ajouter à ces derniers la petite république d'Andorre, il y en aurait 8 de cette nature, et le nombre total des États serait porté à 85; on en trouverait un plus grand nombre encore si l'on comptait séparément le royaume de Pologne et la grande-principauté de Finlande, appartenant à la Russie, les royaumes de Hongrie, Bohême, Dalmatie, etc., appartenant à l'Autriche, etc. Nous ne nous occupons pas des États-Unis d'Amérique, ni des autres États souverains existant hors d'Europe.

Les 77 États souverains se réduisent à 23, si l'on réunit sous une seule dénomination ceux entre lesquels il existe une association politique sous un nom collectif officiel, comme les 38 États souverains d'Allemagne qui forment la Confédération germanique (dont quatre toutefois figurent encore à d'autres titres dans la grande famille européenne) et les 22 cantons également souverains constituant la Suisse ou la Confédération helvétique. Sur ces 23 États, deux, la Suède et la Norvége, forment une seule et même puissance, leurs couronnes distinctes étant réunies sur la même tête.

Mais en maintenant le nombre 77, voici la division qu'il faut faire entre ces États, relativement à leur constitution politique : 51 sont des monarchies et 26 des polyarchies.

Ces dernières, à constitution plus ou moins libérale, plus ou moins arriérée (malgré leur titre de république), sont les 22 can

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