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272. Il a été jugé, conformément à ce que l'on vient de dire, que lorsque, pendant la mort civile d'un individu, un jugement rendu contre sa femme seule et sans que lui ni personne qui représente lui ou sa famille ait été appelé, a décidé qu'un enfant qui se prétend leur fils, l'est effectivement, ce jugement n'a point force de chose jugée contre le prétendu père qui, après avoir recouvré ses droits civils, est recevable à l'attaquer par tierce opposition (Cass., 7 déc. 1808) (1).— V. aussi l'affaire Nogent,

n° 163.

273. Un autre arrêt de la cour suprême a jugé dans le même

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(1) Espèce: (Voyneau.) Voyneau, habitant de la Vendée, émigra laissant en France sa femme, une fille et un fils nommé Louis-RénéAuguste, âgé de dix-huit mois. Bientôt, le pays qu'il avait quitté fut livré à la guerre. La dame Voyneau se retira, avec ses deux enfants, à la Roche-sur-Yon. Après le passage de la Loire par les Vendéens, elle reparut avec sa fille seule. Son fils s'était perdu au milieu des troubles dont cette contrée avait été le théâtre. Plus tard, un intendant de la dame Voyneau retrouva à Nantes, chez une veuve Clavier, marchande de fruits, le jeune Auguste, que cette femme avait recueilli après qu'il eut été amené à Nantes par des commissaires aux subsistances, qui, parcourant la Vendée, avaient trouvé cet enfant avec deux autres, respirant encore parmi les victimes d'un carnage récent. Auguste fut aussi reconnu par plusieurs parents; mais sa mère, qui d'abord avait froidement accueilli la nouvelle de cette découverte, finit par méconnaître tout à fait cet enfant pour son fils. D'autres firent alors des démarches pour faire recouvrer à Auguste son état. On lui nomma un tuteur et un conseil de tutelle, parce que le père était émigré. L'action fut dirigée contre la dame Voyneau seule en son propre nom; et elle plaida en cette seule qualité sans prendre celle de tutrice de sa fille. Après une longue instruction, un jugement du 24 niv. an 6, et un arrêt du 6 fruct. an 7, rendu par le tribunal des Deux-Sèvres, déclarèrent Auguste fils de Voyneau, émigré, et de la dame Monsorbier sa femme, et condamnèrent celle-ci à lui payer une pension de 700 fr. Rentré en France, en vertu de la loi d'amnistie, Voyneau père attaque ces jugements par tierce opposition. - Le 25 juill. 1806, arrêt de la cour de Poitiers qui l'y déclare non recevable:« Considérant que, lorsque Auguste a réclamé l'état et le nom d'enfant légitime du sieur Voyneau et de la dame son épouse, et qu'il s'est fait maintenir en possession de cet état, par les jugements des tribunaux civils des départements de la Vendée et des Deux-Sèvres, l'un confirmatif de l'autre, le sieur Voyneau était émigré et par conséquent mort civilement; — Considérant que, pendant que le sieur Voyneau était ainsi émigré et mort civilement, les droits de la paternité résidaient dans la personne de son épouse, comme ceux de la maternité; Considérant qu'Auguste ne pouvait réclamer son état que contre la dame Voyneau, qui était alors la représentante de son mari, et seule partie capable pour défendre à la question d'état dont il s'agissait; - Considérant que la voie de la tierce opposition est interdite à ceux qui ont été représentés; Considérant que la chose jugée contre la dame Voyneau, relativement à la question d'état dont il s'agissait, l'est irrévocablement contre le sieur Voyneau lui-même, comme représenté par la dame son épouse pendant le temps de son émigration et de sa mort civile, et que le jugement, objet de sa tierce opposition, est du nombre de ces actes qu'il doit respecter après son amnistie, aux termes du sénatus-consulte du 6 flor. an 10, et de l'avis du conseil d'État du 11 frim. an 12, ledit jugement étant revêtu de sa forme extérieure et matérielle. »

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Pourvoi par Voyneau père, 1° violation de l'art. 474 c. pr.; 2° fausse application du sénatus-consulte de l'an 10, et contravention aux dispositions par lesquelles tous les droits non exceptés ont été rendus aux émigrés. Le défendeur a répondu :

La cour de Poitiers a basé sa décision sur ces trois points: 1° que Voyneau père n'avait pu ni dû être appelé dans l'instance jugée en 1806; 2o qu'il avait, d'ailleurs, été représenté par sa femme; 3° enfin que le sénatus-consulte lui défendait d'attaquer les jugements rendus pendant son émigration. Cette décision est inattaquable sur tous ces points. - A l'égard du premier, pour être admis à former tierce opposition à un jugement, il ne suffit point qu'on n'y ait pas été partie et qu'il nous préjudicie, mais qu'il faut de plus qu'on ait eu alors une qualité qui ait obligé de nous y appeler (Rép., v Opposition (tierce), et Denisart, vo Tierce opposition). C'est ce qui résulte de ces mots de l'art. 2, tit. 35 de l'ordon. de 1667: « auxquels jugements le demandeur n'aura pas été dùment appelé, » c'est-à-dire appelé lorsqu'il devait l'être. L'art. 474 c. pr. dit aussi: « Une partie peut porter tierce opposition à un jugement qui préjudicie à ses droits, etc. » Quels droits? Ce sont évidemment, comme le portaient formellement les art. 464 et 465 du projet, les droits antérieurs au jugement; car ce jugement n'a pu dépouiller les tiers de droits qui n'existaient pas encore. Ces tiers, dont les droits n'existent point encore, ne doivent donc point être appelés dans la contestation; ils auraient même été déclarés non recevables, quant à présent, à y intervenir. Par exemple, un frère ne pourrait s'immiscer dans la contestation élevée entre son frère et la femme de celui-ci sur la validité de leur mariage, sous prétexte

sens, que « les enfants acquièrent, en naissant d'un mariage légitime, des droits propres et personnels qu'il ne faut pas confondre avec ceux qui peuvent leur appartenir comme héritiers dans la succession de leurs auteurs; à l'égard de ces derniers droits, les enfants sont tenus de remplir tous les engagements de leur père, et ils ne peuvent point, par conséquent, former tierce opposition aux jugements rendus contre eux; mais il en est autrement des droits de famille acquis aux enfants par le seul fait de leur naissance en mariage légitime; respectivement à ces droits, leurs auteurs ne peuvent ni les obliger par leur fait, ni

qu'il a l'espoir de succéder un jour à son frère; il y serait évidemment non recevable en l'état. Or tous les droits de Voyneau étaient anéantis par son émigration. Il n'en avait point au moment du jugement rendu contre sa femme; dès lors il est non recevable dans sa tierce opposition. A la vérité, ceux qui ont un droit éventuel, quoique non ouvert, peuvent former tierce opposition, suivant M. Pigeau; mais au moins faut-il avoir un droit civil quelconque, et c'est ce que n'avait point Voyneau, avant son amnistie, puisque, par sa mort civile, il était considéré comme n'existant pas, et par conséquent comme n'ayant pas même conservé sa qualité de père naturel; tandis que ses enfants pouvaient, au contraire, exercer tous les droits de filiation. Mais à supposer que Voyneau ne fût pas non recevable sous ce premier rapport, il le serait encore, sous le second, comme ayant été représenté par sa femme. Les père et mère sont les seuls contradicteurs légitimes de l'enfant qui réclame son état, et le jugement rendu avec eux a force de chose jugée à l'égard de tous les collatéraux et des enfants, parce que les uns et les autres tiennent tous leurs droits des père et mère (Duaren, Prælect. 42, etc., de Covarruvias, Quest. de pratique, chap. 13, et M. Proudhon, Cours de législation, t. 2, p. 39). Le défendeur invoquait d'anciens arrêts, l'un, du 20 juin 1713, rendu sur les conclusions de Chauvelin et rapporté dans le cinquième volume des Causes célèbres; l'autre, du 4 sept. 1638; un troisième, du 24 mars 1738, rendu dans l'affaire de la demoiselle Ferrand, dans laquelle plaidait Cochin, et le quatrième, du 21 avril 1693, rendu sur les conclusions de d'Aguesseau, qui tous ont déclaré un enfant fils d'un tel et d'une telle, quoique rendus contre la mère seule après la mort du mari, et sans que les héritiers du mari eussent été appelés. Les parents collatéraux avaient cependant été parties dans l'affaire de la demoiselle Ferrand; ils ne furent appelés que parce qu'ils étaient déjà en possession des biens du père, qu'ils furent condamnés à restituer. · Dans l'espèce, les parents collatéraux, ni même la fille de la dame Voyneau, n'avaient dû être appelés dans l'instance, et l'arrêt de 1806 n'en devait pas moins avoir contre eux toute la force de chose jugée, s'il était vrai que la dame Voyneau représentait son mari. - Or tous les droits de la paternité, tous ceux de la puissance paternelle appartiennent à la femme, et à elle seule, lorsque le mari est mort civilement, comme lorsqu'il est mort naturellement; c'est ce qui résulte des art. 173, 384, 390 et 477 c. civ. Dès lors, la femme, représentant entièrement son mari, est le seul contradicteur légitime, et les jugements rendus avec elle doivent avoir force de chose jugée envers et contre tous. Les collatéraux ne devaient pas être appelés à la place du mari, car ils étaient exclus de la succession par l'art. 745 c. civ.; et d'ailleurs ils avaient reconnu pour leur parent l'enfant dont il s'agit, ce qui les rendait doublement non recevables. - La fille ne devait pas l'être non plus. -- Mais, à supposer qu'on eût dû diriger l'action contre celle-ci, comme la mère était sa tutrice, la mère a défendu à l'action en l'une et en l'autre qualité; peu importe que l'arrêt ne prononce pas expressément contre la dame Voyneau, tant en son nom qu'en celui de sa fille; cela n'était pas nécessaire. La mère représentait de droit sa fille, et celle-ci ne pouvait prétendre à la succession de sa mère, sans accepter la charge résultante des condamnations prononcées. D'ailleurs, comment concevoir que l'on puisse scinder l'état de l'enfant? Cet état doit, au contraire, être indivisible; et, dès qu'il a été jugé avec la mère qu'il était son enfant, on ne pourrait que renouveler les mêmes discussions qui donneraient lieu au même scandale. Par conséquent tout a été décidé sans retour par l'arrêt de 1806. M. Jourde a conclu au rejet du pourvoi, en se fondant principalement sur l'indivisibilité de la chose jugée en matière de question d'état. - Arrêt (apr. délib.). LA COUR; - Vu l'art. 2, tit. 35, ordonn. 1667;- Considérant que le droit du sieur Voyneau de défendre l'état d'un enfant né de son mariage, et par conséquent de repousser un individu auquel il impute d'avoir cherché et de chercher encore à se faire substituer à cet enfant, a précédé son émigration; que ce droit ne peut être mis hors la classe de ceux qui lui ont été restitués par son amnistie; Considérant qu'un tel droit ne peut se trouver anéanti par un arrêt rendu pendant son émigration, à la charge de son épouse, seule en cause, sans qu'il eût été appelé, ni personne représentant soit lui-même, soit sa famille; - D'où il suit que la cour de Poitiers, en admettant la fin de non-recevoir avancée contre le sieur Voyneau, a faussement appliqué le sénatus-consulte du 6 flor. an 10, et violé l'art. 2, tit. 35, ordonn. 1667; Casse, etc.

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Du 7 déc. 1808 (et non 6 janv. 1809).-C. C., sect. civ.-MM. Liborel, pr.-Bauchau, rap.-Jourde, subst., c.contr.-Chabroud et Loiseau, av.

les représenter dans les instances où ces enfants n'ont pas été personnellement appelés. »-Ainsi, lorsqu'un individu a un enfant issu d'un mariage légitime, et qu'un autre enfant obtient contre le père seul un jugement qui le déclare aussi légitime, comme né du måriage de son père avec une autre femme, ce jugement a bien, contre l'enfant du premier lit, l'autorité de la

(1) Espèce :- (De Saint-Lieux C. Pagèze.)-Pierre-Paul de Pagèze, marquis de Saint-Lieux, marié à la demoiselle de Lévis, étant devenu reuf, et ayant un fils né de ce mariage, introduisit la demoiselle de Dufresne dans le château de Saint-Lieux, où celle-ci vécut publiquement comme sa femme. De ce commerce naquit, le 7 fév. 1765, un enfant qui fut baptisé et inscrit le même jour, sur les registres publics, sous les noms de Louis-Philippe-Pierre-Paul de Pagèze, fils de messire de Pagèze, seigneur de Saint-Lieux, et de demoiselle de Dufresne, mariés. L'acte de naissance fut signé par le père. Le 15 juin 1767, le marquis de Saint-Lieux et la demoiselle de Dufresne rédigèrent les conventions civiles de leur futur mariage; l'acte notarié contient la promesse réciproque de célébrer le mariage à la première réquisition de l'un d'eux. La famille du marquis obtint une lettre de cachet qui ordonna à la demoiselle de Dufresne de quitter le château de Saint-Lieux, et de s'en éloigner à trente lieues de distance.-Le marquis suivit cette femme, et il continua à vivre avec elle quelque temps. Le mariage projeté, au moins en apparence, ne fut pas célébré; au contraire, le 8 janv. 1782, la demoiselle de Dufresne se maria, à Toulouse, avec le sieur Linnon. A cette époque, le sieur Pagèze, né en 1765, assigna son père en payement d'une pension alimentaire. Un arrêt du parlement de Toulouse, rendu sur requête le 14 mars 1782, condamna, en effet, le marquis de Saint-Lieux à payer une provision annuelle de 400 1. Le 14 août 1787, le marquis de Saint-Lieux fit donation de tous ses biens présents à Pagèze de SaintLieux, son fils, issu de son mariage avec la demoiselle de Lévis. mois de juill. 1791, ce fils contracta mariage avec la demoiselle de Sénégal. Les époux émigrèrent, et eurent dans leur émigration un fils, Alphonse-Antoine de Pagèze, aujourd'hui comte de Saint-Lieux. Les biens donnés par le marquis à son fils furent confisqués par suite de l'émigration de celui-ci.-Le sieur Pagèze prétendit alors qu'il était enfant légitime du marquis, et qu'il avait, en cette qualité, droit à une portion des biens donnés par celui-ci à son fils émigré. Il provoqua la formation d'un tribunal de famille, et fut déclaré fils légitime par sentence du 13 avril 1793: ce jugement ne fut rendu que par trois membres du tribunal de famille.Sur l'appel de Saint-Lieux, le tribunal de Lavaur confirma la sentence par jugement du 5 thermidor an 3, rendu par défaut contre l'appelant : Attendu, portent en substance les motifs de ce jugement, que la filiation de Pagèze est établie par son acte de naissance; que le marquis de Saint-Lieux et Marie-Marguerite de Dufresne étaient réputés mari et femme; que c'est durant cette possession que Louis-Philippe-Pierre-Paul de Pagèze est venu au monde ; qu'elle a été continuée après sa naissance, et qu'il a joui de ses effets lors de sa conception, de sa naissance, et pendant les premières années de son enfance, puisqu'il a été nourri et élevé comme fils légitime dans la maison paternelle. » — Ce jugement, signifié au marquis de Saint-Lieux le 26 therm. an 3, ne fut pas attaqué.

- Au

Saint-Lieux fils, émigré, rentra dans sa patrie en vertu du sénatusconsulte du 6 flor. an 10; un arrêté du 2 pluv. an 11 le réintégra dans la propriété de tous ceux de ses biens qui n'avaient pas été vendus. Il crut devoir réclamer auprès de l'administration le recouvrement de ceux que Pagéze était parvenu à se faire délivrer à la faveur de sa qualité d'enfant légitime du marquis de Saint-Lieux; mais on lui opposa les jugements rendus en 1793, et en l'an 3. — En 1807, il fit assigner Pagèze devant ie tribunal de Gaillac, pour le faire déclarer enfant naturel et condamner au délaissement de ces biens. Longs débats pendant lesquels le demandeur vint à mourir.- En 1817, son fils, le comte de Saint-Lieux, a intenté contre Pagèze une action tendante à ce qu'il lui fût fait défense de prendre la qualité d'enfant légitime et de porter le nom de Pagèze de Saint-Lieux. Pagèze a soutenu cette nouvelle action non recevable, en se fondant sur les jugements qui avaient reconnu sa légitimité.- SaintLieux a formé tierce opposition au jugement du 5 therm. arf 3.- Le 20 août 1818, jugement qui déclare Pagèze enfant naturel.- Pagèze appelle de ce jugement.

Le 17 juin 1819, arrêt de la cour de Toulouse qui déclare la tierce opposition non recevable par les motifs suivants : « Attendu que le sieur Alphonse-Antoine de Pagèze, comte de Saint-Lieux, représente, comme fils et comme héritier, le sieur Louis-Pierre-Charles-Philippe-Marie de Pagèze de Saint-Lieux, son père, qui lui-même représentait Pierre-Paul de Pagèze, son père; que la donation de 1787 n'embrassait que les biens présents; que rien ne prouve que Louis-Pierre-Charles-Philippe-Marie de Pagèze ait opté pour cette donation et répudié la succession qui lui était déférée par la nature et par la loi; que les explications fournies dans le cours des plaidoiries ont assez prouvé que, soit du chef de son père, soit du sien, Alphonse de Saint-Lieux n'a pas répudié et ne veut pas répudier la succession de son grand-père; qu'à la vérité, il prétend agir comme héritier bénéficiaire, soutenant que ce bénéfice lui est acquis non en vertu d'une déclaration expresse faite par lui ou par son père, mais

chose jugée quant aux droits héréditaires, mais non relativement aux droits de famille, tels que le nom et la parenté. En conséquence, cet enfant est recevable, en ce point, à former tierce opposition au jugement et à contester la légitimité de son frère (Cass., 9 mai 1821; Montpellier, 24 janv. 1822) (1).

274. L'acquiescement qui aurait été donné par l'État, re

en vertu de l'inventaire qui dut être dressé au décès de Pierre-Paul d Pagèze, au nom de l'État succédant du chef de l'émigré; mais que cet inventaire n'est point rapporté; que son existence n'est nullement prouvée; qu'au surplus, Alphonse de Saint-Lieux et son père ont fait, sans restriction, des actes d'héritiers, en réclamant, soit de l'État, soit du sieur de Pagèze, des biens qui font évidemment partie de la succession de Pierre-Paul de Pagèze; que, puisqu'il est constant, en fait, que l'intimé est héritier de son grand-père, il est constant, en droit, que la voie de la tierce opposition envers des jugements rendus avec ce même grandpère ne lui est point ouverte; attendu que ce principe, consacré par l'art. 2, tit. 35, ord. 1667, et par l'art. 474 c. pr., s'applique à tous les cas; qu'il en est de même du principe sur l'autorité de la chose souverainement jugée, consacré par l'art. 1350 c. civ.; qu'aucun de ces articles n'excepte telle ou telle matière des dispositions qu'ils renferment...>>

Pourvoi par Saint-Lieux, pour fausse application des art. 724 et 1550 c. civ., et pour violation de l'art. 474 c. pr.-La légitimité, dit-il, ne peut naître que du mariage. Or le jugement du 5 therm. an 3 reconnaît lui-même, ce qui est d'ailleurs constant en fait, que le marquis de SaintLieux et la demoiselle de Dufresne n'étaient point mariés, puisqu'il ne se fonde que sur leur possession d'état de mari et femme; et cependant il déclare leur fils légitime. De là résulte une contradiction évidente qui rendrait le jugement inexécutable, même vis-à-vis du marquis de SaintLieux père; car un enfant né hors mariage, n'est toujours qu'un enfant naturel, quelque décision qu'il parvienne à surprendre à la justice.Mais supposer qu'un pareil jugement dût recevoir son exécution, à l'égard d'un père qui n'aurait point d'enfants ni de parents, et que ce père pût ainsi conférer la légitimité à un bâtard, ce jugement ne peut avoir aucun effet vis-a-vis des enfants et des parents dont il lèse essentiellement les intérêts, et qui ne peuvent jamais être forcés de reconnaître d'autre parenté légale que celle qui résulte d'un mariage. M. Proudhon, que l'on cite en faveur de l'opinion contraire, dit formellement « que la reconnaissance des père et mère ne peut pas rendre les enfants légitimes, même au préjudice des collatéraux, sans union légalement contractée entre eux. » Aussi les art. 54, 100, 337 et 339 c. civ., permettent-ils expressément à toutes personnes intéressées de contester les reconnaissances d'enfants naturels, d'intervenir dans toutes les réclamations que peut former l'enfant naturel, et de s'opposer à tout jugement rendu sur l'état civil de cet enfant. Peu importe donc que le comte de Saint-Lieux soit ou non héritier de son grand-père. Il agit ici en vertu d'un droit personnel qu'il ne tient que de la nature et de la loi, et non de ses parents, droit entièrement distinct des droits héréditaires, droit enfin dans l'exercice duquel il n'a pu être représenté par son grand-père, qui n'était point le seul contradicteur légitime. On oppose que l'état de l'enfant ne peut être perpétuellement incertain. Mais si la multiplicité des procès est un mal, c'en est un plus grand encore qu'un individu soit atteint par une condamnation, sans qu'il ait été entendu. D'ailleurs, l'inconvénient subsiste par la volonté même du législateur, à l'égard des jugements de rectification des actes de l'état civil.-Au surplus, en parlant des personnes intéressées, la loi ne désigne que celles qui, lors du jugement, ont un droit acquis, une possession à défendre, ce qui concentre la contestation dans la génération existante au moment du jugement. Ainsi restreinte, la faculté d'opposition laissée aux parties intéressées a même plus d'avantages que d'inconvénients, non-seulement pour l'intérêt des familles, mais encore pour l'ordre public. - Ensuite le comte de Saint-Lieux, comme donataire de tous les biens présents du marquis de Saint-Lieux, avait encore, sous ce rapport, des droits distincts de celui-ci. — Mais, dit-on, si à cet égard le comte de Saint-Lieux n'a pas été représenté par son grand-père, il l'a été par la nation qui a acquiescé au jugement, en déli vrant au sieur de Pazège, comme enfant légitime, les biens compris dans la donation. On répond, 1° qu'il n'y a point d'acquiescement valable en matière de question d'état (V. cependant Req., 13 avril 1820, aff. Remy, vo Filiation); 2° que la nation ne représentait les émigrés que par rapport aux biens, et non relativement à leur état civil; d'où la conséquence, que la délivrance des biens n'avait pu légalement avoir lieu, puisque rien n'était jugé, avec le demandeur en cassation, sur la légitimité du sieur Pagèze. En troisième lieu, à supposer qu'un jugement contradictoire, rendu avec le grand-père, pût avoir force de chose jugée contre ses descendants, il n'en est point ainsi d'un simple jugement par défaut, tel qu'était celui du 5 therm. an 3. Il faut que le légitime contradicteur ait été présent, legitimo contradictore præsente, dit Vinnius (*).

Le defendeur a répondu qu'il était étrange que Saint-Lieux voulût bien être héritier de son aïeul lorsqu'il s'agissait de recueillir les biens, ek (*) C'est d'ailleurs ce que porte la loi 27, § 1, ff. De liberali causâ, 40, 19 M. Toullier est d'avis que cette décision doit être appliquée sous notre droit (T. 10, no 227, p. 325). La cour de cassation ne s'est point prononcée sur cette question

présentant un émigré, au jugement qui aurait déclaré un individu frère de cet émigré, ne saurait être opposé à celui-ci; car la nation ne représentait les émigrés que quant à leurs biens et non quant à leurs droits de famille (mêmes arrêts).

275. Non-seulement les enfants existants à l'époque du procès, mais encore ceux qui naîtraient depuis, et même ceux issus d'un mariage postérieur, ont le droit d'attaquer le jugement rendu contre le père seul, ou un autre parent; car leur naissance a un effet rétroactif, qui remonte à l'époque du mariage, et ils ont le même intérêt que les enfants existants lors de la contestation. Mais ce droit appartiendrait-il aux enfants de la seconde génération, quand la première n'aurait pas réclamé? qu'il prétendit dépouiller cette qualité lorsqu'il s'agissait d'une décision rendue contre cet afeul et qui blessait ses intérêts;- Les décisions rendues en matière d'état civil ont force de chose jugée à l'égard de tout le monde. Mais au moins doit-on reconnaitre que ces décisions lient les descendants et ayants cause de celui contre qui elles ont été rendues, et que celui-ci les a représentés. Les art. 474 c. pr., et 1351 c. civ., en étendant l'autorité des jugements à ceux qui y ont été représentés, n'ont fait aucune exception à l'égard des questions d'état, ainsi que l'a dit avec raison la cour de Toulouse. Ce dernier argument n'était qu'une pétition de principe, parce qu'il s'agissait précisément, dans l'espèce, de savoir s'il avait été représenté, quant à ses droits de famille, par son aïeul.— ❘ Arrêt (après 3 jours de délib.).

LA COUR ;- Vu les art. 724 et 1350 c. civ.;- Vu aussi l'art. 474 c. pr.;- Considérant que les enfants acquièrent, en naissant d'un mariage légitime, des droits propres et personnels qu'il ne faut pas confondre avec ceux qui peuvent leur appartenir comme héritiers dans la succession de leurs auteurs; qu'à l'égard de ces derniers droits, les enfants sont tenus de remplir tous les engagements de leurs pères, et qu'ils ne peuvent point, par conséquent, former tierce opposition aux jugements rendus contre eux, mais qu'il en est autrement des droits de famille acquis aux enfants par le seul fait de leur naissance en mariage légitime; que, respectivement à ces droits, leurs auteurs ne peuvent ni les obliger par leur fait, ni les représenter dans les instances où ces enfants n'ont pas été personnellement appelés;

Considérant qu'il est constant et reconnu, en fait, que le demandeur n'a été partie ni présente ni appelée dans le jugement du tribunal civil de Lavaur, du 5 therm. an 3; Considérant, d'ailleurs, que LouisPierre-Charles-Philippe-Marie de Pagèze, père du demandeur, avait un intérêt direct à la question de légitimité élevée par le défendeur contre le marquis de Saint-Lieux, non-seulement comme enfant légitime et membre de la famille, mais aussi comme donataire de tous les biens présents du marquis de Saint-Lieux; d'où il suit que le demandeur a eu, du chef de son père, droit et qualité pour former tierce opposition au jugement du 5 therm. an 3, et qu'en la rejetant par fin de non-recevoir, la cour royale de Toulouse a fait une fausse application des art. 724, 1550 c. civ., et violé l'art. 474 c. pr.;- Sans qu'il soit besoin de statuer sur le moyen pris du conflit d'attribution entre le pouvoir judiciaire et l'autorité administrative, non plus que sur tous autres moyens proposés par le demandeur;- Casse, etc.

Du 9 mai 1821.-C. C., sect. civ. -MM. Brisson, pr.-Henry-Larivière, rap.-Cahier, av. gen., c. contr.-Odilon-Barrot et Loiseau, av.

Sur le renvoi, la doctrine de la cour suprême a été adoptée par l'arrêt suivant.

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LA COUR; Attendu, sur l'exception prise de la chose jugée, que ce n'est point comme héritier de son aïeul que le comte de Saint-Lieux agit contre le sieur de Pagèze, pour le faire déclarer fils naturel et non légitime du marquis de Saint-Lieux, son aïeul, qu'en formant cette action, il exerce des droits personnels, des droits de famille, résultant du mariage du marquis de Saint-Lieux, aïeul, avec la demoiselle de Lévis, et de la naissance de son père Louis-Pierre-Charles-Philippe-Marie de Pagèze, marquis de Saint-Lieux, fruit de cette union légitime; que ni le demandeur ni son père n'ont été parties ouïes, ni appelées dans le jugement du tribunal de Lavaur, du 5 therm. an 3; qu'ils n'ont donc pas été représentés lors de ce jugement dans leur intérêt propre et personnel; qu'on doit donc considérer ce jugement comme étranger audit comte de Saint-Lieux, et non susceptible de lui être opposé; et que, par conséquent, et à plus forte raison, sa tierce opposition envers ce jugement doit être reçue, lorsqu'il exerce tout à la fois ses droits de famille et ceux que lui assurait la donation faite à son père le 14 août 1787;-Attendu, d'ailleurs, qu'aucun acquiescement à ce jugement n'a été ni pu être donné par l'État, pendant l'émigration dudit marquis de Saint-Lieux fils, parce que l'Etat ne le représentait pas et ne pouvait nullement le représenter dans ses droits de famille; qu'ainsi le jugement du district de Lavaur, et rien de ce qui s'en est suivi, ne peut mettre obstacle à l'action exercée par le comte de Saint-Lieux; - Sans s'arrêter à l'exception de la chose jugée, et recevant, en tant que de besoin, l'intimé tiers opposant envers le jugement du tribunal de Lavaur, du 5 therm. an 3, déclare le susdit jugement étranger et non opposable, dans aucun cas, au comte de Saint

Un arrêt du parlement de Paris, du 4 fév. 1689, a décidé la négative. Cette décision peut paraître sage; néanmoins, en principe, elle est fort susceptible de controverse.-V. Droit civil et Filiation. 276. Ce qui vient d'être dit du jugement rendu en faveur du réclamant vis-à-vis d'un parent, est applicable au jugement qus serait rendu contre lui; de même que le premier ne pourrait lui profiter, le second ne pourrait nuire à l'action qu'il dirigerat contre un autre membre de la famille.— Ainsi, lorsque, par un jugement rendu avec les parents paternels, un enfant a été déclaré illégitime, ce jugement n'a point force de chose jugée en faveur des parents maternels qui n'y ont point été parties; à leur égard, l'enfant peut être déclaré légitime (Rej., 28 juin 1824) (1). Lieux; et, sans avoir égard à l'appel du sieur de Pagèze envers le jugement du tribunal de Gaillac, du 20 août 1818, ordonne que ce dont a été appelé sortira effet, etc.

ans.

Du 24 janv. 1822.-C. de Montpellier, aud. solen. (1) Espèce: (Bourreau C. Vaudolon.). An 6, Louise Bourreau, femme de René Vaudolon, parti comme réquisitionnaire en l'an 2, et qui n'avait point donné de nouvelles depuis l'an 3, accoucha d'un fils qu'elle fit inscrire sur les registres de l'état civil, sous le nom de Réné, comme fils de Louise Bourreau, femme de Réné Vaudolon, absent depuis quatre Au mois de fructidor suivant, Louise Bourreau, se disant veuve, obtint, contre le curateur de son mari absent, un jugement qui lui adjugea une provision alimentaire de 200 fr.; et cependant, le 3 niv. an 7, elle exposa au juge de paix de Lude que son mari était décédé à Bellegarde (Sambre-et-Meuse), en brum. an 7. — Peu après, elle mourut assassinée. Dans l'assemblée de famille, convoquée pour nommer un tuteur à l'enfant, les Vaudolon, parents paternels, le désavouèrent; au contraire, les frères Bourreau, parents niaternels, le reconnurent, et l'un de ceux-ci fut nommé tuteur. Le 27 fruct. an 7, Antoine Vaudolon, mari d'une sœur du défunt, assigna le tuteur Claude Bourreau pour voir déclarer nul l'acte de naissance du mineur, en ce qu'il lui attribuait la qualité de fils de Réné Vaudolon, et pour voir adjuger la succession à Marie Vaudolon, sa femme.

Le 14 therm. an 11, jugement du tribunal de la Flèche, qui accueille ces conclusions, par le motif qu'il résulte des certificats produits au procès la preuve qu'à l'époque de la conception de Réné, Vaudolon, mari de Louise Bourreau, n'existait plus; d'où il suit que l'enfant mineur n'est que fils naturel. - - Ce jugement fut signifié au tuteur le 16 fructidor suivant; il passa en force de chose jugée en faveur des parents de Réné Vaudolon, mari de Louise Bourreau. Malgré ce jugement, qui le déclarait fils naturel de Louise Bourreau, René continuait de jouir des biens de celle-ci, dont les héritiers l'avaient toujours reconnu pour enfant légitime, et qui l'avaient même admis, en l'an 12, à partager avec eux comme représentant sa mère, la succession de François Bourreau, leur père et son aïeul. Étant devenu majeur en 1818, il demanda un compte de tutelle Claude Bourreau. Alors celui-ci et ses frères se pourvurent contre René en restitution des biens de sa mère qu'il avait recueillis, et, le 22 mai 1818, jugement du tribunal de Saint-Calais, qui, sans examiner le fond, déclare que l'état du défendeur avait été irrévocablement fixé par le jugement du tribunal de la Flèche, du 14 therm. an 11, parce qu'il s'agissait d'une chose indivisible, et, en conséquence, le condamne à restituer aux demandeurs les biens de sa mère, sauf à lui à se faire délivrer la portion à laquelle il a droit comme enfant naturel.

-

Au mois d'août 1819, René se rend appelant tant de ce dernier jugement que de celui du 14 therm. an 11; et, par un premier arrêt du 11 av. 1821, confirmé le 26 août 1823 par la cour de cassation, la cour d'Angers déclare l'appel de ce dernier jugement non recevable (V. Appel civil, n° 1154). Ainsi, voilà l'appelant irrévocablement déclaré, vis-à-vis des parents paternels, fils naturel de Louise Bourreau. Mais la question de savoir si, par cela seul, il devait être considéré comme tel en faveur des parents du côté maternel, s'est présentée le même jour devant la cour d'Angers, sur l'appel dirigé par René contre le jugement du tribunal de Saint-Calais.—A cet égard, l'appelant a soutenu, 1o que les sieurs Bourreau ne pouvaient se prévaloir du jugement rendu avec les Vaudolon, parce qu'ils n'y avaient point été parties; 2° que, d'ailleurs, ayant toujours reconnu en lui la qualité de légitime, ils étaient désormais non recevables à la contester; 5° qu'il y avait lieu, dès lors, à examiner l'affaire au fond; or René devait être réputé légitime tant que le décès de Vaudolon n'était pas prouvé régulièrement. Les intimés ont répondu, 1o que le motif donné par le tribunal de Saint-Calais exprimait suffisamment le droit qu'ils avaient de se prévaloir du jugement du 14 therm. an 11; 2° qu'ils n'avaient jamais reconnu expressément la légitimité de René; que ce n'était que pour ménager la mémoire de leur sœur qu'ils avaient fait tous les actes dont on voulait induire une reconnaissance de leur part; qu'au surplus, il ne peut y avoir aucun acquiescement valable dans les matières d'ordre public. - Enfin, sur le fond, ils ont soutenu que plusieurs des compagnons d'armes de Vaudolon certifiaient qu'il était décédé, sur la fin de l'an 3, à l'hospice de J.-J. Rousseau, près Bayonne.

Le 11 avril 1821, arrêt de la cour d'Angers qui, « considérant que la

27. Le jugement qui accorde à un enfant l'état qu'il a réclamé a force de chose jugée relativement à la demande qu'il pourrait former d'un autre état, encore qu'elle soit dirigée contre des parties qui n'ont point figuré dans le premier jugement. Ainsi, l'enfant qui, sur sa propre demande, a été déclaré fils légitime d'un tel, ne peut plus réclamer la qualité d'enfant naturel d'un autre individu (Cass., 8 prair. an 7) (1). La raison en est qu'il a toujours été de principe, et ce principe est érigé en loi par l'art. 322 c. civ., que nul ne peut réclamer un état contraire à celui que lui donnent son titre de naissance et la possessession d'état conforme à ce titre.

278. Les questions d'état peuvent être soulevées soit par action principale, comme lorsqu'un enfant introduit une action à l'effet d'être déclaré flls de telle personne, soit par exception, comme lorsqu'un individu sé présentant au partage d'une successión, on lui oppose, pour l'en écarter, qu'il est fils adultérin du défunt. Mais, même quand la question d'état n'a été ainsi élevée qu'incidemment, le jugement qui la résout n'a pas moins d'autorité à cet égard que s'il avait été rendu sur une action principale en réclamation d'état (Cass., sect. réun., 25 pluv. an 2, aff. Nogent, V. no 163). — Il suffit que la contestation de légitimité d'un enfant pour prétendu adultère de sa mère, formée incidemment à sa demande en rectification de l'acte de son état civil, par l'héritier du mari, ait été rejetée par arrêt passé en force de chose jugée pour que cet héritier ne puisse plus saisir les tribunaux de l'action principale en désaveu de paternité (Cass., 31 déc. 1834, aff. Jacob, V. Filiation).-V. no 289.

279. Pour qu'un jugement puisse acquérir force de chose jugée sur une question d'état, est-il nécessaire qu'il la décide formellement, ou suffit-il qu'il la préjuge? La loi 5, § 9, D., De agnosc. lib., consacre la première opinion, en décidant qu'on ne peut conclure de ce qu'un jugement a condamné une personne à nourrir un enfant, que celui-ci est le fils de cette personne. Ce jugement préjuge bien la paternité, mais il ne la juge pas positivement; et de simples présomptions ne peuvent fonder l'état des citoyens (V. Toullier, t. 10, no 228). — V. cependant les arrêts cités au numéro qui précède et ceux rapportés vo Filiation, qui tendent, sinon à établir une doctrine contraire, au moins à jugement rendu à la Flèche, le 14 therm. an 11, auquel le tribunal de Saint-Calais a attribué l'autorité de la chose jugée pour l'appliquer à l'instance pendante devant lui, et y prendre une règle de sa décision, n'était pas intervenu entre les mêmes personnes qui comparaissaient devant lui et qu'ainsi il a faussement appliqué l'art. 1351 c. civ.; - Considérant qu'il y a eu un mariage entre Louise Bourreau et René Vaudolon; que l'appelant, auquel a été donné à sa naissance le même nom de René, est fils de Louise Bourreau; qu'il a été inscrit sur le registre de l'état civil comme fils d'une femme légitimement mariée, avec déclaration que le mari était absent; que cette inscription est une présomption légale de la légitimité de sa naissance; que les intimés, frères de sa mère, loin de contester, dans l'origine, l'état de cet enfant, l'ont considéré comme faisant partie de leur famille; qu'ils lui ont serví de tuteur; l'ont admis à succéder à sa mère; qu'ils ont défendu son état devant les tribunaux ; que même, après qu'il eut succombé devant celui de la Flèche, ils l'ont encore considéré comme fils légitime de leur sœur, en l'admettant à la succession de leur père...;- Qu'aujourd'hui ils ne rapportent pas la preuve légale de la dissolution du mariage de Louise Bourreau avant la conception de son fils; qu'ils auraient pu être admis à faire la preuve du décès de René Vaudolon, son mari, dans les formes autorisées par la loi, dans les cas qu'elle a prévus, mais qu'ils ne peuvent y suppléer par des certificats extrajudiciaires qui ne sont pas même précis et concordants, dont la sincérité n'est pas attestée, et qui ne fournissent aucune garantie à la justice (1); - A mis l'appel et ce dont est appel au néant; et émendant et réformant, faute par les intimés de rapporter preuve légale du décès de René Vaudolon, les déclare non recevables à contester l'état par eux reconnu de René Vaudolon, leur neveu, et le relaxe des condamnations, etc. »

Pourvoi par les sieurs Boutreau pour violation de l'art. 1354 c. civ. Le demandeur soutenait qu'il ne fallait pas raisonner dans les questions d'état comme dans les matières ordinaires; - Que, lorsqu'il s'agit de filiation, le jugement rendu entre l'enfant et un contradicteur légitime produit l'effet de la chose jugée à l'égard de tous les autres parents. — Arrêt.

(*) Ces motifs supposent que si l'on avait rapporté la preuve légale que le mari Absent était décédé au moment de la conception de l'enfant, la reconnaissance que les collatéraux avaient faite de la légitimité de cet enfant ne les aurait pas rendus non recevables à contester son état. Cette doctrine est contraire à un arrêt du 13 avril 1820 (C. cass.), qu'on trouvera au mot Filiation. Ce n'est pas ici le lieu de rappeler les principes sur l'effet des reconnaissances d'état.

modifier ce qu'il peut y avoir de trop absolu dans cette solution. 280. Le jugement qui déclare un individu héritier l'empêchet-il de répudier cette qualité vis-à-vis des tiers qui n'ont pas été parties dans ce jugement?-L'affirmative est défendue par Merlin, Quest., vo Héritier, § 8; Toullier, t. 4, no327; Malpel, no 194; Favard, vo Renonciation, no 16, § 1; Vazeille, art. 800; Marcadé, t. 5, p. 201; Goubeau, p. 238; Conf. Bruxelles, 9 déc. 1815, aff. Desemblaux; Toulouse, 7 mars 1840, aff. Penaveyre, V. Success. Mais le système, qui restreint la chose jugée à la partie qui a obtenu le jugement et à ce qui a fait l'objet du procès, paraît plus généra lement admis. C'est celui de la loi ult., D., De inter. injur.; de Pothier, des Success., chap. 3, sect. 6; Jousse; Chabot, t. 2, p. 601 et 626 (qui avait d'abord été d'avis contraire); Delvincourt, t. 2, p. 31, no 7; Duranton, t. 6, no 455 et t. 7, no 25; Delaporte, t. 3, p. 155. C'est celle que nous avons nous-même soutenue vo Succession, où la question est discutée avec étendue (Conf. Montpellier, 1er juill. 1828, aff. Goudal; Toulouse 25 juill. 1828, aff. Lordat, vo Succession). - Le principe a été poussé si loin que, dans une espèce où plusieurs héritiers avaient accepté bénéficiairement, un jugement les ayant condamnés tous comme héritiers purs et simples, il a été jugé que le bénéfice de cette décision devait être restreint à la partie qui l'avait obtenu et qu'il ne pouvait être invoqué même par les héritiers entre eux pour faire dépouiller de sa qualité l'héritier bénéficiaire (Req., 20 avril 1831, aff. Becq, V. Succession).

No 2. De l'identité de qualité.

281. L'identité de qualité dans les personnes n'est pas moins essentielle que l'identité des parties, pour constituer l'exception de chose jugée (c. civ. 1351); il est même évident que ces deux conditions se confondent en une seule, car, sans l'identité des qualités, il n'y aurait pas identité de parties. Ainsi, on est recevable à demander en son propre nom une chose que l'on a vainement réclamée en qualité de tuteur d'un tiers; on peut requérir comme héritier de Pierre, ce que l'on n'a pu obtenir comme héritier de Paul. Et, par exemple, il a été jugé que l'identité de qualité n'existe pas en cela qu'après avoir agi comme héri

LA COUR; Considérant, sur le deuxième moyen, qu'en décidant que le jugement rendu le 14 therm. an 11 au profit des parents de la ligne paternelle contre René Vaudolon, n'avait pas l'autorité de la chose jugée au profit des parents de la ligne maternelle qui n'avaient pas été parties dans ce jugement, la cour royale d'Angers a fait une juste application de l'art. 1551 c. civ.; Considérant enfin que l'arrêt attaqué repose sur des titres et des faits qui ont été légalement appréciés; - Rejette, etc.

Du 28 juin 1824.-C. G., sect. civ.-MM. Brisson, pr.-Vergès, rap.Jourde, av. gén., c. conf.-Guillemin et Guichard, av.

(1) Espèce: (Lépinaist C. Carles.) En 1790, Jean Carles avait poursuivi en déclaration de maternité, Victoire Sulbert devant le sénéchal de Bigorre; et, le 6 août de la même année, était intervenue une sentence qui, d'après une enquête faite, le déclarait fils de Théodore Carles et de Victoire Sulbert, son épouse, ordonnait que cette enquête lui tiendrait lieu de son acte de naissance, et qu'à cet effet il en serait fait mention sur le registre de l'église de Tarbes. Carles avait joui pendant plusieurs années de l'état que lui donnait cette sentence; mais en l'an 4, il se prétendit fils naturel de Michelle Noguez, décédée sans enfants dans le mois de prairial an 2; et en cette qualité, il actionna les frères et sœur Lépinaist, en délaissement d'un immeuble qu'ils avaient acquis de la dame Noguez. - Le 12 fruc. an 5, jugement du trib. civ. des Hautes-Pyrénées qui démet Carles de sa demande, sur le fondement que son état se trouvait définitivement fixé par la sentence du sénéchal de Bigorre. Sur l'appel porté au tribunal civil du Gers, ce jugement fut infirmé, et Carles fut déclaré fils naturel de Michelle Noguez. Pourvoi de la part des enfants Lépinaist, pour violation de la chose jugée.- Jugement.

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LE TRIBUNAL;- Vu les art. 5, tit. 27, et 34, tit. 55, ord. 1667;-Et attendu que l'état civil de Jean Carles a été irrévocablement fixé par le jugement rendu sur sa propre réclamation, le 6 août 1790, par le ci-devant sénéchal de Bigorre, qui l'a déclaré fils naturel de Théodore Carles et de Victoire Sulbert, mariés; Que ce jugement reçut son exécution le 4 septembre de la même année; que le défendeur à la cassation ne s'est pas pourvu en désaveu dans la forme prescrite par la loi, contre le procure ur qui l'avait représenté, d'où il résulte que ledit jugement reste dans tout sa force, et que conséquemment le tribunal du département du Gers, en jugeant contrairement à ses dispositions, a porté atteinte à la chose jugée; Casse.

Du 8 prair. an 7.-C. C., sect. temp.-MM. Boileux, pr.-Sibuet, rap.

tier de son père, on agit comme héritier de sa mère (Nimes, 29 déc. 1841, aff. Manen, V. no 191) en un mot, et comme le remarque M. Marcadé, t. 5, p. 186, « il ne suffit pas de l'identité physique, il faut l'identité juridique. »>

282. Réciproquement celui qui agit pour d'autres, n'est point, en raison de cet agissement, personnellement passible des effets de la chose jugée, et il n'est pas non plus fondé à s'en prévaloir de son chef. C'est ce qu'Ulpien décidait soit à l'égard des tuteurs et curateurs, debet denegari in eos judicati actio (L. 4, §1, D., De re judic.), soit à l'égard de ceux qui agissaient pour des communautés d'habitants: actor municipum potest rem judicatam recusare: in municipes enim judicati actio dabitur (eod., §2). C'est aussi ce qu'exprimait Julien dans la loi 25, D., De except. rei jud., où l'on voit que celui qui a formé la demande d'une succession avant d'avoir la qualité d'héritier peut en former une nouvelle, en cette dernière qualité, sans être passible de la fin de non-recevoir tirée du premier jugement, Si is qui heres non erat, hereditatem petierit, et posteà heres factus eamdem hereditatem petet, exceptione rei judicatæ non summovebitur. Julien tient le même langage au sujet du negotiorum gestor. « Vous vous êtes vous-même mêlé de mes affaires, et vous avez, dit-il, formé en mon nom la demande d'un fonds. Je n'ai pas ratifié cette demande que vous avez formée, mais je vous ai donné un mandat pour former de nouveau la demande de ce même fonds. On ne pourra point opposer la fin de non-recevoir tirée du premier jugement, parce que l'état de la cause a changé depuis qu'il y a eu un mandat. Il en est de même s'il s'agit d'une action personnelle et non d'une action réelle » (L. 25, § 2, eod.).—La loi 54, D., De reivindicat., décidait la même chose à l'égard de l'avocat qui a soutenu pour son client une demande en revendication d'une chose qu'il ne savait pas alors être sa propriété personnelle : inter officium advocationis, porte cette loi, et rei suæ defensionem multùm interest; nec proptereà quis (si posteà cognoverit rem ad se pertinere) quod alii eam vindicanti tunc ignorans suam esse adsistebat, dominium suum amisit. —Enfin la loi 11, §3, D. eod. tit., prévoit l'espèce suivante : Une succession échoit à deux héritiers; l'un d'eux prétendant qu'un immeuble possédé par un tiers fait partie de la succession, forme pour sa part une demande contre ce tiers, et succombe; l'autre achète cette même part et obtient, en outre, le délaissement de sa propre portion; le premier intente alors une action en partage contre son cohéritier; peut-il être repoussé par l'exception de la chose jugée lors de sa première demande? Oui, suivant la loi précitée; car le cohéritier défendeur à l'action en partage peut faire valoir les exceptions qui compétaient au tiers vendeur aux droits duquel il se trouve. Et comme d'ailleurs la nouvelle action du demandeur est (1) Espèce: (Bessières C. Lostanges.) - En 1741, Lostanges, comme époux de la dame Caussannet, vend un domaine à Bessières. En 1785, Lostanges fils demande, en qualité d'héritier de sa mère, le délaissement de ce domaine. Il avait alors renoncé à la succession de son père décédé. En 1787, sentence du bailliage de Fijeac, qui repousse cette demande. Sur l'appel, porté au parlement de Toulouse, arrêt d'expédient, le 2 mai 1788; et le lendemain, transaction entre les parties, sur leurs droits respectifs.- En 1793, Lostanges fils reprend l'hérédité de❘ son père. - Instruit de cette reprise, Bessières forme de nouveau, contre Lostanges fils, la même demande en délaissement, comme ayant renoncé, par la reprise de l'hérédité, au bénéfice de l'arrêt d'expédient et de la transaction. Le tribunal du Lot, jugeant en dernier ressort, écarte cette nouvelle demande par une fin de non-recevoir fondée sur la chose jugée, et transigée en 1788.- Pourvoi en cassation, pour fausse application des lois sur la chose jugée. - Jugement.

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LE TRIBUNAL ;-Vu les lois 7, 12, 13 et 14, ff., De except.rei judic.; l'art. 5, tit. 27, et l'art. 1, tit. 35, ordonn. 1667, et l'ordonn. d'avril 1560; Considérant que, dans le procès terminé par l'arrêt d'expédient du 2 mai 1788, et la transaction du lendemain, Lostanges, procédant comme héritier de sa mère, n'exerçait que les droits de sa mère; que, dans le second procès jugé par les tribunaux civils du Lot et de Lot-etGaronne, Lostanges n'a été actionné et n'a agi qu'en qualité d'héritier de son père, n'a exercé que les droits de celui-ci; que les parties entre lesquelles l'arrêt d'expédient et la transaction étaient intervenus, ne procédaient donc point ici en la même qualité que dans le premier procès; qu'ainsi, en admettant, en faveur de Lostanges, héritier de son père, l'exception de la chose jugée et transigée avec lui comme héritier de sa mère, le tribunal civil de Lot-et-Garonne a fait une fausse application des lois romaines et des dispositions de l'ordonnance de 1667, relatives à la chose jugée, et de l'ordonnance de 1560, relative aux transactions ;—Casse.

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fondée sur la même cause que la première, savoir, la qualité d'hé– ritier, la circonstance que ces deux actions ne sont pas de même espèce ne suffit pas, comme on l'a vu plus haut, pour empêcher l'effet de l'exception rei judicat. Tel est aussi l'avis de M. Duranton, no 514.

283. Par application de ces principes relatifs à l'identité de qualité, il a été décidé : 1o que celui qui, après avoir renoncé à la succession de son père, et obtenu ensuite, comme héritier de sa mère, un jugement passé en force de chose jugée, ne peut, s'il vient à reprendre ultérieurement la qualité d'héritier de son père, et s'il est alors actionné à ce titre, à raison de la même chose qui a fait l'objet du premier jugement, opposer ce jugement à son adversaire (Cass., 7 mess. an 7) (1): les qualités ne sont pas les mêmes (Conf. M. Marcadé, p. 187); - 2° Qu'encore bien que l'un des cohéritiers, actionné hypothécairement pour toute la dette de la succession (dette par lui reconnue), ait été déclaré non recevable dans l'exception de prescription par lui opposée au demandeur, il peut néanmoins, sans qu'il y ait violation de la chose jugée par ce premier jugement, être admis à exciper, du chef de son cohéritier, aux droits duquel il se trouve, de la prescription de la dette, pour la part dont celui-ci était tenu (Req., 12 fév. 1829, aff. Beaumann, V. Succession);— 3° Qu'une décision, rendue entre la veuve et les héritiers de son mari, ne peut pas donner lieu, contre ces héritiers, à l'exception de la chose jugée de la part du légataire, bien que celui-ci soit en même temps héritier et qu'il ait figuré en cette qualité dans l'instance contre la veuve (Rennes, 21 fév. 1834,V. Disp. entre-vifs); -4o Que, dans le cas où un immeuble indivis a été aliéné par l'un des copropriétaires tant en son nom que comme se portant fort pour l'autre copropriétaire, l'arrêt qui annule l'aliénation pour vice de forme au profit des héritiers du vendeur et pour la part afférente à celui-ci, ne fait pas obstacle à ce que le contrat soit validé à l'égard des mêmes héritiers agissant du chef de l'autre copropriétaire dont ils sont également les représentants les béritiers demandeurs dans la seconde action agissant dans des qualités différentes et pour des portions de biens différentes, ne peuvent invoquer la chose jugée sur la première, sous le prétexte que la nullite prononcée vis-à-vis du souscripteur faisait tomber du même coup la garantie qu'il avait promise (Rej., 3 mai 1841) (2). Cela est très-exact et M. Marcadé, p. 188, est du même avis.

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284. La jurisprudence a reconnu aussi l'existence de qualités distinctes et a rejeté la prétention de faire considérer comme violant le principe qui ne permet pas de former plusieurs demandes successives dans les mêmes qualités, dans les arrêts suivants qui jugent: -1° Que le jugement rendu avec le maire d'une Du 7 mess. an 7.-C. C., sect. civ.-MM. Bayard, pr.-Beaulaton, rap.

(2) ( Hérit. d'Albert C. sect. d'Arboux.) — La cour; — Attendu que les jugement et arrêt des 12 déc. 1820 et 16 av. 1823 sont intervenus sur une demande formée au nom des enfants d'Albert, en qualité d'héritiers du comte d'Albert, leur père, contre les habitants d'Arboux en nullité de l'acte du 12 vend. an 3, et que l'arrêt attaqué a été rendu sur l'appel d'un jugement qui avait statué sur une nouvelle demande en nullité du même acte, formée contre les habitants d'Arboux par lesdits enfants d'Albert en qualité d'héritiers du président d'Albert, leur oncle;

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Altendu, d'un autre côté, que les enfants d'Albert n'ayant procédé en l'instance jugée par l'arrêt du 16 avril 1823 qu'en qualité d'héritiers du comte d'Albert, leur père, cet arrêt n'a pu ordonner et n'a ordonné, en effet, leur rentrée en possession des biens attribués aux habitants d'Arboux par l'acte du 12 vend. an 3 que pour la portion desdits biens afférente à leur père; Que les enfants d'Albert l'ont reconnu eux-mêmes, lorsqu'après le décès du président d'Albert, leur oncle, et en qualité d'héritiers de ce dernier, ils ont formé, le 10 fév. 1828, une nouvelle demande à fin d'annulation de l'acte du 12 vend. an 3 et à fin de rentrée en possession de la partie desdits biens afférente à la succession de leur oncle; Qu'il suit de la que, si, dans l'instance jugée par l'arrêt de 1823 et dans celle jugée par l'arrét attaqué, les enfants d'Albert ont demandé l'annulation de l'acte du 12 vend. an 3, ces deux instances ont eu pour objet des portions de biens différentes dont ils ont demandé la rentrée en possession, l'une en qualité d'héritiers du comte d'Albert, leur père, l'autre en qualité d'héritiers du président d'Albert, leur oncle; et que, sous ce double rapport, l'arrêt attaqué, en rejetant l'exception tirée de l'autorité de la chose jugée, n'a fait qu'une juste application de la loi;-Rejette.

Du 3 mai 1841.-C. C., ch. civ.-MM. Boyer, pr.-Moreau, rap.-LaplagnoBarris, 1 av.-gén., c. conf,-Ledru-Rollin et Clérault, av.

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