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LA COUR;

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ARRET (Gragnon et Wilson).

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cons.

en

- Après en avoir délibéré, vu le réquisitoire de M. le procureur général; vu les mémoires produits au nom de Gragnon et Wilson; vu la note déposée au nom de la femme Limouzin, partie civile ; cons. qu'en l'état des faits ci-dessus, il y a lieu de rechercher s'il existe des charges suffisantes pour motiver la mise en accusation des inculpés: 1° sur le chef de détournement ou de destruction de lettres autres que les deux lettres Wilson en date des 25 mai et 22 juin 1884 : cons. qu'il ne résulte de l'information ni preuves ni indices qui permettent de tenir pour fondées les allégations de la femme Limouzin; 2o sur le chef de soustraction frauduleuse des deux lettres Wilson susvisées et de complicité : que les éléments d'une accusation de vol tombant sous l'application des art. 379 et s. du C. P. font complètement défaut, aucun fait d'appréhension frauduleuse n'étant établi; 3o sur le chef de destruction ou détournement de ces mêmes lettres et de complicité : ce qui touche Goron : cons. qu'aucune charge n'existe contre lui; en ce qui touche Wilson : cons. qu'il est constant qu'il a fabriqué les deux lettres qui ont été remises au juge d'instruction comme étant les lettres saisies chez la femme Limouzin, mais que cette fabrication n'a pu intervenir que postérieurement à la disparition des lettres originales; qu'elles n'impliquent pas nécessairement une participation aux faits qui ont amené cette disparition et qu'elles ne sauraient constituer un cas de complicité aux termes des art. 59 et 60 du C. P.; qu'il n'est pas démontré que Wilson ait provoqué la destruction ou le détournement des lettres, ni qu'il y ait aidé; que les circonstances de la cause, notamment les constatations faites et les déclarations reçues par le juge d'instruction à la date du 13 oct. semblent au contraire établir qu'il y est resté étranger; que le fait même d'avoir fabriqué les nouvelles lettres ne peut servir de base à une accusation de faux en écriture, puisqu'il est avéré que ces nouvelles lettres sont revêtues de sa signature comme l'étaient les anciennes et que le contenu des unes est conforme au contenu des autres; en ce qui touche Gragnon: cons. qu'il paraît constant qu'il a distrait, détruit ou détourné les deux lettres Wilson, saisies chez la femme Limouzin et à lui remises par Goron; qu'il échet seulement d'examiner si ce fait tombe sous l'application de la loi pénale; cons. que l'art. 173 visé dans le réquisitoire punit de la peine des travaux forcés à temps tout juge, administrateur, fonctionnaire ou officier public qui aura détruit, supprimé, soustrait ou détourné les actes ou titres dont il était dépositaire en cette qualité, ou

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qui lui auront été remis ou communiqués à raison de ses fonctions; cons. que le détournement ainsi prévu est celui, non de pièces quelconques, mais de pièces constituant des actes ou des titres; que les mots actes et titres ont en droit pénal aussi bien qu'en droit civil un sens propre et déterminé; qu'ils ne peuvent s'appliquer qu'à des lettres présentant, à raison de leur contenu, le caractère de titres ou actes proprement dits, c'est-à-dire qu'autant qu'on y trouve des cons. tatations ou des énonciations de nature à créer entre l'expéditeur et le destinataire un lien de droit, dont elles deviennent l'instrument et la preuve; qu'il ne se rencontre rien de pareil dans les lettres écrites par Wilson à la femme Limouzin, lesquelles ne sont que de simples réponses à des demandes de recommandation; que l'art. 173 n'est donc pas applicable en la cause; cons. que le fait reproché à Gragnon ne saurait non plus motiver l'accusation d'enlèvement de pièces contenues dans des archives, greffes ou dépôts publics ou remises à un dépositaire public en cette qualité, aux termes des art. 254 et 255 du C. P.; qu'en effet les lettres Wilson n'avaient point été placées dans un dépôt de ce genre; que, d'autre part, il n'est pas possible de déclarer que le préfet de police a été dans les circonstances de la cause un dépositaire public; qu'ayant agi en vertu de l'art. 10 du C. d'inst. cr., il est vrai de dire que c'était lui-même qui, par un officier de police judiciaire placé sous ses ordres, avait opéré la saisie; qu'il a donc eu les pièces en sa possession, parce qu'il les avait appréhendées en quelque sorte de sa main, mais qu'on ne saurait le considérer comme les ayant reçues à la charge d'en conserve le dépôt; - qu'au surplus, il ne résulte pas de l'information que Gragnon ait eu l'intention de causer un préjudice; que la femme Limouzin ellemême a reconnu qu'aucun préjudice ne lui a été causé; qu'en définitive ce qui est établi par la procédure, c'est que Gragnon a méconnu les règles tracées par la loi en matière de saisie ou de transmission de pièces; c'est qu'il a arbitrairement disposé des lettres saisies et cherché à dissimuler la disparition de ces lettres en y substituant des lettres nouvelles; c'est que Wilson, de son côté, a prêté son concours à cette substitution; que de pareilles pratiques doivent être hautement réprouvées, mais qu'il y a lieu de reconnaître qu'elles ne tombent sous l'application d'aucune disposition de la loi pénale; - par ces motifs, cons., en conséquence de ce qui précède, qu'il n'existe pas charges suffisantes contre les inculpés; vu l'art. 229 du C. d'inst. cr.; — dit qu'il n'y a lieu de suivre contre Gragnon, Goron et Wilson; condamne la dame Li

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mouzin, partie civile, aux dépens.

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Du 13 déc. 1887. C. de Paris (ch. des mises en acc. et ch. des app. corr. réunies). M. Try, prés.

OBSERVATION. Cet arrêt avait été frappé par la femme Limouzin d'un pourvoi qui a été rejeté, le 26 janv. 1888, faute de consignation d'amende et qui, d'ailleurs, émané de la partie civile, n'était pas recevable (V. J. cr., art. 1181 ).

I. La première solution qu'il contient nous paraît à l'abri de toute critique. MM. Faustin Hélie et Chauveau, commentant l'art. 173, enseignent, en effet, que « en parlant d'actes et titres, il est évident que la loi a entendu parler d'actes utiles dont la soustraction ou la perte pût nuire à des tiers; ainsi, par exemple, s'il s'agissait de la copie d'un titre ou d'un acte dont l'original existât, le détournement de cette copie ne pourrait constituer un crime qu'autant qu'on s'en serait servi pour causer un préjudice; car la perte seule ne pourrait léser aucun droit >>".

II.

La seconde solution nous paraît, au contraire, très contestable; la Cour déclare que le préfet de police n'est pas dépositaire des pièces saisies par lui, en vertu des pouvoirs qu'il tient de l'art. 10 du C. d'inst. cr., car il a, dit-elle, ces pièces en sa possession, « non parce qu'elles lui sont remises pour les conserver en dépôt, mais qu'il les a appréhendées en quelque sorte de sa main ».

Les art. 254 et 255, C. P., répriment les soustractions commises dans les dépôts publics et « punissent graduellement la négligence du dépositaire, la soustraction par un autre que le dépositaire et la soustraction par le dépositaire lui-même » 6.

Ils assimilent au dépôt public les mains du dépositaire qui détient une pièce en sa qualité, voulant évidemment protéger d'une façon spéciale toute pièce qui se trouve déposée soit dans un lieu, soit dans des mains que la loi a imposés aux citoyens dans un intérêt d'ordre public 7.

Assurément le préfet de police qui, soit par lui-même, soit par l'un de ses agents, procède à une saisie en vertu de l'art. 10 du C. d'inst. cr. et appréhende des pièces et papiers, est, dans le sens de l'art. 254, un dépositaire public.

Mais, dit notre arrêt, ces pièces ne lui ont pas été remises ; il les a appréhendées lui-même.

C'est là, croyons-nous, une subtilité; les pièces ainsi saisies sont remises au dépositaire par la loi, par la société; l'officier de police

4. Théorie du C. P., 6o éd., II, p. 565.

5. La jurisprudence a considéré comme constituant des dépôts publics, les bureaux des payeurs généraux (C. de cass., 25 juil. 1812, S. 1817, I, 321).

L'une des chambres d'instruction d'un tribunal (C. d'assises de la Seine, 31 janv. 1844, et C. de cass., 22 mars 1844, J. cr., art. 3537).

Un musée (C. de cass., 25 mai 1832, 10 sept. 1840, J. cr., art. 950 et 2768).

Un bureau de poste (C. de cass., 2 avril 1864, J. cr., art. 7892).

Un navire soumis au séquestre (C. de cass., 22 déc. 1832, J. cr., art. 1129). Une bibliothèque publique (C. de cass., 9 avril 1813, 25 mars et 5 août 1819), mais cette dernière solution est critiquée par les auteurs de la Théorie du Code pénal (6e éd., III, p. 241).

6. Morin, Rép. cr., vo Dépôt public, 1.

7. F. Hélie et Chauveau, Théorie du C. P., 6e éd., III, p. 244.

judiciaire qui opère la saisie devient dépositaire par cela seul qu'il appréhende ces pièces au nom de la loi. Il en est ici absolument comme il en est du notaire qui, commis pour procéder à un inventaire, après levée de scellés, appréhende des papiers et les inventorie après les avoir cotés et paraphés.

Dira-t-on que ces pièces ne sont pas, entre les mains de ce notaire, protégées par l'art. 254, parce qu'il les a non pas reçues d'un tiers, mais appréhendées lui-même ? Nous ne le pensons pas et nous n'hésitons pas à croire avec l'auteur d'un excellent article publié par le Droit, que la doctrine de l'arrêt qui nous occupe est, sur ce point, <<< aussi contraire au texte et à l'esprit de la loi que destructive des droits sacrés de la défense »> 8.

III. La troisième solution ne peut faire, en droit, difficulté : l'intention coupable est nécessaire pour l'application de l'art. 1739 comme pour celle de l'art. 254 10.

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1° Il y a escroquerie lorsque plusieurs prévenus, parmi lesquels un sénateur qui a perdu toute influence et se sait sans aucun crédit, ont, en abusant de la qualité de celui-ci, en usant de faux noms et à l'aide de certaine mise en scène, obtenu de diverses personnes des remises d'argent en leur faisant croire que, moyennant des versements d'argent faits à ce sénateur, elles pourraient obtenir la croix de la Légion d'honneur 1.

2o Il y a tentative d'escroquerie punissable lorsque, dans les mêmes circonstances, ces prévenus ont tenté d'obtenir des remises d'argent, remises qui n'ont pas été effectuées et cela par des circonstances indépendantes de la volonté des prévenus.

JUGEMENT (d'Andlau, femme Ratazzi et autres) 2.

LE TRIBUNAL; Après en avoir délibéré,

att. que de l'instruction et des débats résulte la preuve que, depuis moins de trois ans, à

8. Le Droit, 22 déc. 1887.

9. F. Hélie, Chauveau, Théorie du C. P., 6o éd., II, p. 565.

10. Ibid., III, p. 245.

1. Cf. infrà, art. 11814 et les notes; v. aussi, sur la question de savoir s'il y a escroquerie ou corruption de fonctionnaire dans le fait par un sénateur ou un député de trafiquer de l'influence que lui donne son mandat (J. cr., art. 11767).

2. V. sur les débats de cette affaire en première instance le Droit des 8, 9, 10, 11 et 12 nov. 1887.

Paris, le général comte d'Andlau, dont la situation pécuniaire était depuis longtemps déjà très embarrassée et qui avait perdu toute influence, voulant à tout prix se procurer de l'argent, tenait en son domicile une véritable agence de trafic de décorations; que, pour l'aider dans ses opérations, il a eu recours à plusieurs personnes chargées par lui de rechercher des gens qui, pouvant désirer des croix de la Légion d'honneur, pourraient en même temps lui verser des sommes d'argent variant de 10 à 50,000 fr., sous la forme de prêts ou même de dons en échange de la promesse qui leur serait faite de les faire décorer, promesse que le général comte d'Andlau, aussi bien que ses auxiliaires, savait parfaitement ne pouvoir et ne devoir jamais être réalisée; att. qu'il est constant que, dans le courant de l'année 1885, un sieur Soudée a rencontré chez la femme Despréau de Saint-Sauveur, où il avait été conduit par un nommé Buy, agent d'affaires, une autre femme qui s'est présentée à lui sous le nom de Mme de Lamotte-Duportal et qui n'était autre que la prévenue femme Ratazzi, qui avait d'ailleurs le plus grand intérêt à dissimuler son nom par suite d'une récente condamnation pour tentative de corruption de fonctionnaire; que Soudée et la femme Ratazzi ayant parlé de décoration, et la femme Ratazzi ayant dit qu'elle connaissait un général, sénateur, le comte d'Andlau, qui pourrait faire donner la croix d'honneur à la personne qui lui serait présentée par elle, il fut immédiatement convenu que Soudée en parlerait à un de ses amis nommé Blanc; que, quelques jours après, rendez-vous fut pris à un jour indiqué par le général d'Andlau lui-même entre Soudée et Blanc d'une part et la femme Ratazzi de l'autre ; que ce jour-là la femme Ratazzi, ainsi qu'elle le déclare elle-même, introduisit Blanc et Soudée dans le salon du général d'Andlau; que lors de cette présentation, 10 janv. 1886, Blanc, se conformant aux instructions qui lui avaient été données, déposa 20,000 fr. entre les mains du général d'Andlau en lui disant que c'étaient pour ses pau vres, ajoutant toutefois que le général ne pourrait disposer de cette somme que le lendemain du jour où sa nomination comme chevalier de la Légion d'honneur serait parue au Journal Officiel; que, bien que Blanc ait prétendu qu'il avait fait un prêt pur et simple de 20,000 fr. au général d'Andlau, remboursable à un ou deux mois de vue et à 3 p. 0/0 d'intérêts annuels, il n'est cependant pas douteux pour le tribunal que cette remise de 20,000 fr. n'a été faite par Blanc que sur la promesse formelle à lui faite par le général comte d'Andlau de le faire décorer; que cette promesse absolument illusoire n'ayant jamais été réalisée, Blanc voulut se faire rembourser; qu'il menaça alors de poursuivre, obtint de d'Andlau l'acceptation de traites qui furent protestées à leurs échéances, et que ce n'est que

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