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Viens m'aider à sortir du piége où l'ignorance
M'a fait tomber; c'est à bon droit

Que seul, entre les tiens, par amour singulière,
Je t'ai toujours choyé, t'aimant comme mes yeux.
Je n'en ai point regret et j'en rends grâce aux dieux :
J'allais leur faire ma prière,

Comme tout dévot chat en use les matins.

etc.

Mutato nomine de te fabula narratur.

M. de Châteaubriand ne pouvant résister au plaisir de composer des phrases sonores, sans trop s'embarrasser de ce qu'elles signifient, il lui est échappé des aveux précieux que ses devanciers en vociférations avaient eu l'adresse d'éviter. Je doute, par exemple, que personne eût pu justifier la convention nationale avec autant de succès et d'éloquence que M. de Châteaubriand :

«Transportons-nous, dit-il, à ces mo>> mens affreux ; voyons les bourreaux, les >> assassins qui remplissaient les tribunes >> qui entouraient la convention; qui mon>> traient du doigt, qui désignaient aux poi» gnards quiconque refusait de concourir » à l'assassinat de Louis XVI: les lieux pu»blics, les places, les carrefours retentis

»saient de hurlemens et de menaces; on » avait déjà sous les yeux l'exemple des mas»sacres de septembre, et l'on savait à quels >> excès pouvait se porter une populace ef>> frénée.

>> Il est certain encore qu'on avait fait » des préparatifs pour égorger la famille >> royale, une partie des députés, plusieurs >> milliers de proscrits, dans le cas où le roi » n'eût pas été condamné. >>

à

Rien de plus vrai que celá ; des personnes respectables qui disent avoir connu, ćette époque désastreuse, les sentimens secrets de la plupart des membres de la convention, assurent que les dix-neuf vingtièmes, au moins, quoiqu'ils eussent déclaré la culpabilité du roi, auraient voté pour lui, s'ils eussent eu le moindre espoir de le sauver, s'ils eussent eu un point d'appui, un noyau quelconque de forces. Mais où était ce noyau? Il était sur les bords du Rhin; il s'était enrôlé sous les étendarts de Brunswick !

Laissons M. de Châteaubriand distinguer, avec sa subtilité ordinaire, les votans sous

condition des votans sans condition; ces arguties n'endormiront personne : on se souviendra du retour que se ménage M. de Châteaubriand lui-même, en déclarant que tous, sans exception, sont coupables, par cela seul qu'ils se sont constitués juges du roi, mais que néanmoins on peut observer des nuances.

Malgré ces nuances, malgré toute la confiance que mérite incontestablement l'auteur qui a su écrire alternativement pour et contre le christianisme, pour Bonaparte et pour les Bourbons, on ne peut s'empêcher de dire que, si tous les Français qui sont demeurés attachés au sol de la patrie, ne restent pas intimement unis, s'ils cessent un seul ins tant de faire cause commune, s'ils ne se rallient pas sincèrement et indissolublement à la charte constitutionnelle, si l'on parvient à les diviser pour des intétêts secondaires, pour des nuances d'opinions, ils seront bientôt tous perdus. On les détachera successivement, les uns par l'espérance, lès autres par la terreur; les ans seront traînés à l'échafaud, les autres dans la fange; les

nouveaux nobles deviendront un objet de dérision ; le peuple entier retombera sous un joug de fer. Malheur à celui qui aura espéré se soustraire à la proscription générale, en se tenant coi! Malheur à qui croira pouvoir se réfugier sous l'égide de la loi d'oubli! Oui, le prince dubliera; mais le monde se souviendra : c'est M. de Châteaubriand qui l'a dit.

Il faudrait un ouvrage aussi volumineux que celui de M. Châteaubriand, pour relever toutes ses contradictions réfléchies, pour le suivre dans le labyrinthe de ses arrières pensées. C'est par des personnalités atroces qu'il appelle à la réconciliation; c'est par des insinuations perfides qu'il invite à la concorde il dit qu'il faut verser de l'huile sur les plaies, pendant que sa main y répand des poisons. C'est en parlant' d'humanité qu'il déchiré les entrailles ; c'est en invoquant la religion qu'il plonge le poignard dans le sein. Quelle profanation de ce qu'il y a de plus sacré parmi les hommes !C'est Némésis parlant au nom de Jéhova; c'est Tysiphone exhalant des sentimens d'a mour de sa bouche infernale.

Tout en proclamant qu'il est enfin nécessaire de se rallier à la charte constitutionnelle comme à l'ancre de salut, M. de Cha teaubriand ne tarit point sur les regrets qu'il donne à la vieille monarchie, gage inappréciable du bonheur dont les Français jouirent pendant douze siècles.

« Déplorons, dit-il, à jamais, la chute » de l'ancien gouvernement, de cet admi»rable systême (1) dont la durée seule fait >> l'éloge; mais enfin notre admiration, nos >> pleurs, nos regrets ne nous rendront pas > Duguesclin, Lahire et Dunois. La vieille >> monarchie ne vit plus pour nous que dans >> l'histoire, comme l'oriflamme que l'on >> voyait encore toute poudreuse, dans le » trésor de Saint-Denis, sous Henri IV. » Ne dirait-on pas, à entendre M. de Châteaubriand, que la France était parfaitement heureuse aux temps des Duguesclin, des Lahire et des Dunois ? c'est-à-dire, lorsqu'elle était en proie aux plus horribles.

(1) Machiavel, qui s'y connaissait, dit-il ailleurs, en fait l'éloge. Quelle autorité !

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