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CORRESPONDANCE authentique de la cour de Rome avec la France, depuis l'invasion de l'État romain, jusqu'à l'enlèvement du souverain Pontife, avec les pièces officielles (1).

SECOND ARTICLE.

DANS un premier article nous avons exposé les commencemens et les progrès de la querelle suscitée à Pie VII par un ennemi ambitieux et violent. Il nous reste à parler de la dernière mesure qui mit le sceau à l'iniquité, et qui consomma l'usurpation. La bulle du 10 juin 1809, avoit vivement irrité celui qui en étoit l'objet. La passion qui l'aveugloit, l'empêchoit de voir qu'il pouvoit bien être permis à un souverain de réclamer contre la violation de ses droits. On ne pouvoit sans doute regarder comme un abus du pouvoir des clefs, une réclamation si légitime, après tant d'outrages: ce n'étoient pas seulement les droits temporels du Saint-Siége qui avoient été méconnus; on avoit aussi attaqué son autorité spirituelle par les violences exercées sur ses cardinaux, ses prélats et ses officiers, et par les entraves mises à l'exer→ cice de ses fonctions pastorales. On l'avoit attaqué par les insultes publiques contenues dans des décrets flé→ trissans, et dans une gazette rédigée exprès pour avilir le Saint-Siége. On l'avoit attaqué par l'état de capti

(1) I volume in-8°. ; prix, 2 fr. 50 c. et 3 fr. 25 c. franc de port. A Paris, chez Saintmichel, quai des Augustins, et Adrien Le Clere, même quai, no. 35.

Tome I". L'Ami de la Relig. et du Roi. No. IX.

vité où l'on tenoit le souverain Pontife. Quoi qu'il en soit, le loup ravisseur s'irrita des cris de l'agneau, et l'enlèvement de Pie VII fut résolu. On fit des préparatifs pour exécuter dans l'ombre cette dernière violence. Le saint Père, qui en fut averti, adressa à ses sujets un écrit où il protestoit contre la force, tout en livrant ses mains. Ce fut la dernière fois qu'il put s'adresser à son peuple. La nuit du 5 au 6 juillet 1809, à une heure du matin, des troupes françoises se portèrent vers le palais de Monte-Cavallo, d'où le Pape n'étoit pas sorti depuis l'invasion de Rome. Des soldats franchirent les murs du jardin, tandis que d'autres escaladèrent la partie du palais occupée par les domestiques de sa Sainteté. On parvint ainsi à pénétrer. Les suisses, au nombre de trente-huit, avoient reçu ordre du saint Père de ne point opposer une résistance inutile on les désarma. Le général Radet monta aux appartemens du Pape, et y entra avec un pelotons de soldats. Il trouva le souverain Pontife à son bureau, revêtu du rochet, du camail et de l'étole. 11 paroît que sa Sainteté, instruite de la violence qu'on méditoit, ne s'étoit pas couchée. Pourquoi venez-vous troubler ma demeure? que voulez-vous? dit-elle au général. Celui-ci dit au Pape, qu'il pourroit rester à Rome, s'il vouloit abdiquer sa souveraineté temporelle. Non, reprit vivement le souverain Pontife, je ne rétracterai point ce que j'ai fait. Dans ce cas, répartit le général, j'ai ordre de vous emmener de Rome. Le Pape se leva, et sans prendre autre chose que son bréviaire, il s'avança vers la porte, donnant la main au cardinal Pacca, secrétaire d'Etat, qui s'étoit rendu dans son appartement. On les conduisit à la porte qui avoit été enfoncée. Là se trouva une voiture dans la

quelle ils montèrent. Il étoit trois heures du matin. La voiture, escortée de soldats, passa par les rues les moins fréquentées. Hors des murs, on prit des chevaux de poste, et les postillons eurent ordre de faire le plus de diligence possible. On tenoit la voiture fermée. Cet enlèvement ressembloit à celui qu'avoit éprouvé Pie VI, onze ans auparavant : c'étoit le même esprit de violence et d'impiété qui présidoit à l'un et à l'autre.

Le jour même du départ, on arriva à Radicofani, premier village de Toscane, à trente-six lieues de Rome. Il fallut s'y arrêter. La fatigue et la chaleur avoient incommodé le Pape, qui fut rejoint en cet endroit par le prince Doria, son maître de chambre, et par quelques personnes de sa maison. Malgré les précautions de ses gardiens, le bruit de son arrivée se répandit : on avoit peine à contenir la multitude qui donnoit des signes d'affliction. On repartit le 7 au soir. On passa par Sienne et Florence. Dans cette dernière ville, sa Sainteté fut séparée du cardinal Pacca, à qui on fit prendre la route de Bologne, tandis qu'on la conduisoit par la route de Pise : elle passa par Chiavari et Alexandrie, et étoit à Turin, le 17 juillet. On ne s'y arrêta pas. Le Pape se trouva mal dans un village voisin, où on voulut bien lui laisser un moment de repos. Le même jour on arriva au Mont-Cénis, et le Pape passa deux jours à l'hospice. Il en repartit, le 20, par la route de Chambéri. En sortant de Montmelian, il lui fut permis de recevoir dans sa voiture le cardinal Pacca, à qui on avoit fait reprendre la même route : ils entrèrent ensemble à Grenoble, le 21 juillet; mais ils furent séparés de nouveau et sans retour. Le peuple s'empressoit pour recevoir la béné

diction du saint Père, et quelques fidèles furent admis à l'honneur de lui parler: le clergé fut constamment écarté.

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Le 1er août, le cardinal Pacca fut conduit à Fenestrelle, sans pouvoir même faire ses adieux au souverain Pontife, qui fut mené du côté de Valence. On le conduisit par Avignon, Aix et Nice. L'évêque de cette dernière ville vint saluer le Pape. La reine d'Etrurie et son fils, accompagnèrent aussi sa Sainteté dont l'entrée eut l'air d'un triomphe le peuple témoignoient, par ses acclamations, la part qu'il prenoit à la situation du chef de l'Eglise. Pendant les trois jours que le Pape passa à Nice, ce fut un concours continuel pour le voir et recevoir sa bénédiction, et il se prêta plusieurs fois aux désirs de cette multitude. II se remit en route, le 10 août, pour Savone, où il fut logé d'abord chez le maire, puis au palais épiscopal puis à la préfecture: il étoit gardé par une compagnie de gendarmes, et on ne pouvoit lui parler sans témoin. L'évêque de Sayone même n'avoit pas cette liberté. Les cardinaux Doria, en passant par cette ville pour aller à Paris, où on les faisoit venir comme les autres, n'eurent pas la permission d'entretenir sa Sainteté ; ils ne la virent que de la place publique avec la foule. Au mois de septembre, on envoya à Savone un officier de la maison de l'empereur pour tenir la maison du Pape. On offrit au saint Père cent mille écus par mois, un train et des équipages convenables, disoit-on, à sa dignité: il refusa tout; mais l'envoyé ne resta pas moins à Savone avec les gens qu'il avoit amenés. Peu après arriva un général avec le titre de maître du palais; il monta avec beaucoup d'appareil une maison pour le Pape. On mettoit beaucoup d'em

pressement à faire en sorte que le saint Père se prêtât à ces arrangemens, auxquels il resta toujours étranger. On vouloit essayer de gagner, par de l'argent, par de vains honneurs et par le faste, celui qui avoit résisté aux menaces et aux mauvais traitemens; mais il resta inébranlable. En même temps, par une contradiction qui prouvoit les vues perfides de l'auteur de ces vexations, on empêchoit le Pape de parler et d'écrire à qui que ce fût. On le séparoit successivement du peu de serviteurs qui lui étoient restés: on le faisoit garder par un capitaine de gendarmerie, qui ne le quittoit point le jour et la nuit: enfin, on le tenoit dans une contrainte, et on exerçoit sur lui une inquisition qui n'avoit d'autre effet que de faire éclater davantage le courage, la patience et le calmedu généreux et iutrépide pontife, dans cette guerre de l'ambition et de la violence contre l'honneur, la religion et la vertu.

Tel est le récit abrégé des premières persécutions de Pie VII. Elles font le sujet du volume que nous aunonçons, et qui a d'autant plus d'intérêt, qu'il donne textuellement les pièces officielles émanées de la cour de Rome, les notes diplomatiques des ministres de sa Sainteté, et leurs réponses aux allégations et aux reproches de l'ennemi du Saint-Siége. Parmi ces pièces, il en est surtout de précieuses par leur étendue, et par les raisons et les faits qui y sont énoncés. Nous avons remarqué entr'autres une dépêche du cardinal Gabrielli, en date du 19 avril 1808, une autre du 19 mai suivant et une du 30 novembre: elles sont pleines de force et de modération, et elles suffiroient pour montrer de quel côté étoient la justice et le bon droit, s'il pouvoit y avoir, à cet égard, l'ombre d'un doute. Ces

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