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l'honneur, la morale. Rien de sacré pour lui. Egoïste endurci, il ne voyoit que lui. Il ne croyoit qu'en lui, a dit une femme d'esprit. Il nous regardoit tous comme si nous n'eussions été créés que pour être ses instrumens ou ses victimes. Il ne parloit jamais que de sa force, de sa puissance. Dieu m'a donné la force, disoit-il souvent dans ces discours d'apparat, où il semportoit de sang froid, et gourmandoit si durement ceux qui avoient eu le malheur de lui déplaire. Il avoit toujours à la bouche le reproche ou la menace. Jamais il ne lui est échappé de ces mots heureux qui annoncent une ame. Nulle trace de sensibilité. Quand il s'enfuit si lâchement de son expédition de Russie, après avoir causé la mort de tant de milliers d'hommes; quand toute la France étoit en deuil; quand chacun pleuroit un parent, un ami, il disoit froidement au Corps-Législatif Ces pertes/auroient brisé mon ame, si j'avois pu étre sensible à d'autres pensées qu'à l'intérêt et à la gloire de cet empire. Le misérable trouvoit apparemla mort de plus de cent mille hommes ne faisoit rien à l'intérêt de l'empire. Je me rappelle que dans le temps ces paroles cruelles me pénétrèrent d'indignation.

ment que

Cet hypocrite avoit organisé un systême de déception et de mensonge. Il se vantoit d'avoir des idées libérales, tout en nous écrasant de son despotisme et en nous menant à la barbarie. Il déclamoit contre

l'inquisition en Espagne, et il en établissoit une mille fois plus sévère et plus terrible. Sa police inquiète et soupçonneuse étoit un espionnage continuel. Les journaux, les pamphlets, tous les écrits publics lui étoient vendus. Il n'étoit pas permis de parler, de penser autrement que le maître, et une seule chanson a fait mettre à Vincennes un homme d'esprit qui s'étoit égayé d'une manière fort excusable. Je ne parle pas de l'arrogance de ces bulletins, dans lesquels les souverains, les ministres, les peuples étoient insultés et baffoués. On se rappelle comment ont été traitées plusieurs princesses respectables. Ce que je veux surtout remarquer ici, c'est le systême de tromperie qu'il avoit établi dans les journaux. Le mensonge y étoit d'une impudence révoltante, et la vérité y étoit effrontément blessée à chaque page. Les mots avoient perdu leur acception ordinaire. On appeloit brigands et rebelles des sujets qui combattoient pour leurs souverains légitimes. Dans ce style, le courageux la Romana étoit un traître. Amsterdam, Hambourg, Lubeck étoient ravies d'appartenir à la France. Elles envoyoient des adresses remplies de leur dévouement, et l'empereur y étoit adoré comme un bienfaiteur et un père. C'étoit la formule ordinaire. On mentoit également sur ce qui se passoit sous nos yeux. On ne manquoit pas de parler d'applaudissemens, d'enthousiasme, d'exclamations de joie, pré

cisément quand le peuple s'étoit montré plus froid et plus silencieux. Cette habitude de fausseté avoit été tellement prodiguée, qu'elle étoit devenue notoire, et elle n'a pas peu contribué à discréditer celui qui avoit recours à de si petits moyens.

Cet homme là avoit tout le génie du mal. Avide et fiscal, il savoit l'art de multiplier les impôts sous toutes les formes. Il faisoit argent de tout. Il lui falloit quinze cents millions par an, et il a dévoré à lui seul plus de trésors qu'il n'en auroit fallu pour rendre dix royaumes florissans. Tout, jusqu'à l'éducation, étoit devenu entre ses mains un objet de monopole. Autrefois on facilitoit l'instruction; lui en tiroit un tribut. Arrogant et impérieux, tous ceux qui l'approchoient avoient à souffrir de son humeur, de ses caprices, de ses boutades, de ses violences. Il apostrophoit rudement ses meilleurs généraux, et leur adressoit, en public, les reproches les plus durs. La moindre résistance à ses volontés étoit un crime. Combien ont langui des années entières, dans les prisons, pour une lettre, pour un mot, pour un soupçon! Votre nom, votre naissance, votre attachement présumé à la cause de vos rois, il n'en falloit pas davantage pour vous jeter dans les cachots, et vous y restiez oublié. C'est ainsi que des François fidèles et de généreux étrangers se sont vus condamnés à une longue détention. D'autres étoient bannis ou exilés. Un Fran

çois étoit relegué dans un village d'Italie et un italien envoyé dans un hameau de France. Là il n'en étoit plus question, et chaque jour, depuis l'époque de notre délivrance, voit rendre à la société quelqu'une de ces victimes que l'on croyoit perdue sans retour.

Mais la mesure la plus atroce, le systême le plus meurtrier, c'est la conscription; première iniquité qu'il a fallu soutenir par mille autres, et qui est devenue un code monstrueux. Par cette horrible loi les générations étoient mises en coupe réglée, comme les arbres d'une forêt. Chaque année on abattoit 80,000 hommes. C'étoit-là le taux. Mais dans ces derniers temps ce nombre ne suffisoit plus. On avoit doublé le tarif. Depuis un an surtout des levées extraordinaires s'étoient, succédées sans interruption. Plus de 1500 mille hommes avoient été appelés dans cet intervalle, On avoit fini par déclarer que tout le monde étoit soldat et que personne n'étoit exempt. On avoit décrété des levées en masse. C'étoit autant de victimes qu'on envoyoit à la boucherie. C'étoit bien véritablement un boucher qui nous exploitoit ainsi. Comptez si vous le pouvez, tout ce qu'il a consommé d'hommes depuis dix ans. Voyez ses armées énormes, ses guerres interminables, ses campagnes dévorantes, et ses batailles dont il étoit si fier. C'est depuis lui, en effet, qu'on a le plus vu de ces chocs épouvantables, où des masses immenses se heurtent sur une étendue

de plusieurs lieues. Voilà ce que son ambition a valu à l'Europe. C'est elle qui a forcé les puissances de mettre sur le pied des armées ruineuses. C'est elle qui a versé le sang de plusieurs millions d'hommes. Grâces à ce conquérant farouche, toutes les contrées de l'Europe sont couvertes de nos tombeaux. L'Italie, l'Allemagne, la Pologne, la Russie, l'Espagne ont été teintes du sang de nos frères. Qui a provoqué ces guerres affreuses? qui les a faites avec une barbarie dont les siècles modernes n'offroient plus l'exemple? qui a porté partout la dévastation et le pillage? qui a appelé dans nos cités, si long-temps paisibles, une invasion étrangère, et a provoqué contre nous des ressentimens et des vengeances dont le cri de l'humanité seule a arrêté les effets? C'est lui, c'est cet ambitieux aventurier. Son passage parmi nous n'aura été marqué que par notre sang et par nos larmes. Il aura été comme un de ces fléaux qui laissent long-temps après eux des traces profondes et déplorables, et l'histoire, en racontant tous les maux qu'il a faits, s'étonnera plus d'une fois de sa longue prospérité, et gémirà sur les tristes détails dont elle sera forcée de noircir ses pages.

Ce que nous ne devons pas oublier de remarquer en terminant ces réflexions, c'est que cet homme souillé de tant de crimes, étoit profondément irréligieux. On a dit qu'il étoit athée. Ce qui est certain,

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